L’actualité de la gnose

 

« À Salomé qui lui demandait : jusqu'à quand la mort nous tiendra-t-elle encore en son pouvoir ? Le Seigneur répondit : jusqu'à ce que, vous toutes les femmes, cessiez d'enfanter. Non que la vie soit mauvaise et perverse la création, mais tel est l'ordre de la nature* : génération et corruption s'enchaînent inéluctablement… » Évangile des Égyptiens

 

* L’ordre de la nature n’est pas vraiment perceptible par l’homme, même s’il s’y réfère souvent pour faire prendre aux autres des vessies pour des lanternes. L’ordre de la nature est un équilibre entre des forces apparemment contradictoires, mais qui sont toutes en interrelations constantes. Pas un grain de sable, pas un atome n’est indépendant dans l’univers. Tout est lié, Tout est Un.

      Qu'est-ce que la gnose ?

           La gnose est une interrogation sur le sens de l’existence. C’est une vision du monde où la Création est démonisée. Non à cause d’une prétendue faute originelle de l’homme, mais à cause de l’erreur d’un démiurge qui a créé ce monde imparfait. Les êtres vivants s’entredévorent. La vie de l’un ne se nourrit que de l’énergie de l’autre, par la mort de l’autre. L’aboutissement de toute vie, c’est la défécation.

Pour le gnostique, la corruption est inhérente au monde, mais l’homme n’en est pas coupable et n’a rien à expier.

« Les chrétiens  récupéraient le ferment de la révolte de la misère humaine en persuadant les pauvres et les exploités qu’ils deviendraient les premiers dans le ciel […] Les chrétiens avec leur mythologie compensatrice et castratrice ont totalement éludé les problèmes quotidiens de leur temps et aidé à perpétuer jusqu’à notre époque l’acceptation de toutes les injustices sociales et la soumission au pouvoir établi. Les gnostiques eux, n’ont cessé de prôner l’insoumission à l’égard de tous les pouvoirs, chrétiens ou païens… »

Jacques Lacarrière, Les gnostiques.

Cette prise de conscience de la réalité, lui fait imaginer un autre monde, un vrai Dieu, inconnaissable.

    La gnose est une attitude religieuse et philosophique, en liaison avec une connaissance (gnosis en grec), un enseignement, sur le divin et sur le monde, sur notre origine. Celui qui possède la gnose, connaît ce qu’il est, d’où il vient et où il va. C’est une initiation secrète, d’abord transmise oralement à partir de mythes et de traditions de l’Orient ancien (Seth, Thot), puis par des textes sacrés, jugés apocryphes par l’Église catholique. Déjà Platon différenciait episteme, la connaissance scientifique et gnosticke, la connaissance pure ou contemplation : un acte auto-réflexif de l’intellect se « concentrant sur lui-même », d’où ce « Gnôti seauton » (connais-toi toi-même), inscrit au fronton du temple d’Apollon à Delphes. Un principe signifiant déjà chez Orphée souviens-toi de ton origine divine. En effet Zeus après avoir foudroyé les Titans, de leurs cendres, fait naître les hommes. De même, et bien avant, dans la mythologie sumérienne, Nintu et Enki créent les hommes en mélangeant de la terre au sang d’un Dieu (voir Bienheureux les stériles).

    Pourquoi la gnose, surtout chrétienne, devint-elle un enseignement secret ? Parce qu’à la différence des religions établies, elle est asociale, elle ne peut être récupérée par un pouvoir quelconque, elle ne peut servir aucune puissance temporelle, elle n’est que spirituelle, non-économique et non-politique. Or les religions sont soutenues par les pouvoirs en place lorsqu’elles peuvent leur apporter leur appui. La gnose est donc dangereuse pour le Pouvoir, quel qu’il soit.

    Il existe une gnose taoïste, une bouddhiste, une soufie, une juive etc. Mais il s’agit ici surtout de la gnose chrétienne qui se développa pendant les premiers siècles du christianisme et qui fut en compétition avec lui.

    Les apôtres, prêchant aux Hébreux et à ceux qui leur étaient proches, mélangèrent le message de Jésus à la tradition sémitique afin de faciliter les conversions, en faisant croire que le Christ (Messie, en grec), était bien celui qu’ils attendaient. Ainsi furent introduites dans la gnose de Jésus des notions qui lui étaient étrangères, comme « l’expiation des péchés par la souffrance, l’holocauste de l’innocent, le sacrifice sur la croix et la formation du monde par Dieu lui-même. » Edmond Fieschi, Gnose et gnosticisme.

Le symbole du christianisme officiel n’a rien à voir avec Jésus. La croix a été choisie par l’empereur Constantin après un rêve, à la veille d’une bataille où il l’aurait vue avec cette devise : « Tu vaincras par ce signe ». Jésus, chef de guerre, quelle dérision !

Les gnostiques refusaient en effet le pouvoir rédempteur attribué à la crucifixion et plus largement à la souffrance. Pour eux le Christ n’est pas un rédempteur. Ne pouvant éliminer la souffrance, le Dieu biblique l’avait déjà justifiée en tant que châtiment pour désobéissance à ses dictats, et les chrétiens l’ont élevée en symbole de l’amour divin : l’agneau sacrifié pour « racheter » les péchés du monde

    Tous ceux qui n’acceptèrent pas ces modifications furent désignés comme gnostiques, les autres, comme chrétiens.

    Les Pères de l’Église obligèrent les gnostiques à se retrancher dans la clandestinité et firent disparaître tous leurs écrits. La gnose  n’était donc connue qu’à travers les commentaires critiques de ses ennemis. 

Au IV e siècle, lorsque le Concile de Nicée décréta quels étaient les textes reconnus par l’Église et ceux qui devaient être détruits, des  écrits religieux et philosophiques furent cachés et ne furent  redécouverts que 1600  ans plus tard. En particulier les Évangiles apocryphes de Nag Hammadi trouvés en 1945  (Évangiles de Thomas et de Philippe entre autres). Des textes, qui ont l’extrême avantage de ne pas avoir été interprétés, au cours  des siècles, à la convenance de l’Église catholique. Philippe, Thomas et Marie-Madeleine sont des disciples de Jésus, même s’il n’y a aucune preuve que ce soient eux qui ont écrit leurs évangiles. En revanche, parmi les quatre évangélistes du Nouveau Testament, seul Jean aurait connu le Christ, et seul Marc aurait côtoyé Pierre.

En fait le premier Évangile, l’Évangile primitif, serait ce que les spécialistes appellent la « Source Q », un écrit que Luc, Matthieu et Marc auraient utilisé pour composer leurs évangiles.

 

« Les reconstitutions de ce document perdu révèlent une image des communautés chrétiennes primitives très différente de ce que l’on peut déduire des lettres de Paul et de l’évangile de Marc. "Q" ignore ou n’accorde aucune importance à la résurrection de Jésus, dont la mort ne semble avoir aucun effet salvateur. Jésus, s’exprimant souvent avec un humour décapant, apparaît comme un maître enseignant une sagesse et un mode de vie inspirés par le monde animal et végétal, en opposition radicale avec les valeurs morales et sociales traditionnelles ».

Pierre-Antoine Berheim.

 

"Q" révèle également une sagesse, une philosophie qui semple empruntée aux cyniques grecs qui prônaient déjà le dénuement matériel, refusaient les contraintes sociales, religieuses et familiales et voyaient dans la nature de multiples exemples à suivre.

    Mais l’une des sources du gnosticisme est également à rechercher dans le zoroastrisme.

    L’une des sources du gnosticisme est toutefois à rechercher dans le zoroastrisme.

     Les origines

   -  Zoroastre ( vers 650 av. J-C.)

    Zoroastre ou Zarathoustra, réformateur du mazdéisme, contemporain du Bouddha, observe que les peuples semblent avoir été uniquement destinés à l'esclavage, aux massacres, aux déportations ou à un malheur continuel et sans espoir.

    Aux caprices des Grands auxquels les hommes demeurent entièrement soumis, s'ajoutent les cataclysmes naturels, les maladies, les famines ou les épidémies. Pour Zoroastre, en créant le monde, Ahura Mazda a fait également naître deux entités, deux Esprits jumeaux: Spenta Mainyu qui choisit la voie du Bien et Ahriman qui choisit la voie du Mal. Le Dieu Suprême n’est donc pas à l’origine du Mal. La création de la matière et de la vie nécessite l’interaction du bien et du mal. Comment pourrions nous vivre si nous n’avions pas « mal » en touchant un fer brûlant ? L’équilibre entre le mal et le bien est le symbole même de la vie, et même de toute existence.

Souvenons-nous qu’à peu près à la même époque le Bouddha ainsi que les taoïstes, différencient ce qui est Permanent, l’Harmonie et l’Equilibre du monde, le Tao, et tout ce qui est impermanent, le monde matériel : « Tout ce qui est composé sera décomposé ». Tout ce qui est matière naît et meurt, sauf les particules élémentaires qui la composent. 

 

Le Mal est donc inhérent au monde, et en fait,  Ahura Mazda est le symbole de la transcendance de toutes les contradictions, comme Lug, le dieu lumineux des Celtes (à l’instar également du Tao qui permet le dépassement des contraires).

    Si le zoroastrisme prône la vie sédentaire et pastorale, plutôt que celle des nomades et des chasseurs, c’est pour se tenir autant que faire se peut, à l’écart du mal. À cette époque, les nomades vivaient surtout de razzias.
C’est là que Zoroastre fait intervenir Ahura Mazda, pour aider les sédentaires à s’approprier les terres parcourues par les nomades. Les mazdéens sont donc partisans de la lutte agressive de l’Ordre contre l’Erreur.
Leur Dieu est un Dieu de Justice qui ne connaît pas la miséricorde et qui emploie au besoin la violence et la guerre. Le Zoroastrisme dont les origines sont indo-iraniennes, a pu influencer la religion juive puis chrétienne et enfin musulmane.

    Toutefois ce recours  possible à la force ne se retrouve pas dans le christianisme primitif, non-violent à l’instar du bouddhisme et du taoïsme, prêchant compassion et miséricorde. Taoïsme, bouddhisme et christianisme primitif à la différence des religions de la Bible, sont des visions du monde, caractéristiques des voies spirituelles capables de s’affranchir des barrières culturelles et sociales. Seules, elles peuvent donc être qualifiées d’universalistes.

    Le zoroastrisme est une religion de l’espoir avec l’avènement à la fin des temps, du Royaume de Justice. C’est la promesse d’une vie après la mort : en traversant le Pont de Činvat, les âmes sont dirigées vers le paradis, l’enfer ou le purgatoire. Enfin, à la fin des temps, l’avènement du Saoshyant permettra  la résurrection et la régénération du monde. Le thème de la résurrection du Christ fut à l’évidence inspiré du zoroastrisme ainsi que des mythes égyptien (Osiris) et grec (Dionysos).

Les adeptes de Zoroastre, les Parsis, c’est à dire les Purs, donnèrent leur nom à la Perse. Mais la conversion forcée à l’islam de toute la population iranienne, lors de la conquête de la Perse par le calife Omar (581-644), n’a laissé subsister qu’environ 40.000 fidèles parsis, en Iran, aujourd’hui.

    -  Manès, ou Mani (216-274)

    Perse né en Babylonie, Manès est un Parsi, il se voit comme le « sceau des prophètes », titre repris par Muhammad quatre cents ans plus tard. Le manichéisme a d’ailleurs fourni à l’islam une partie de sa prophétologie et formulé pour lui quelques unes des bases de son rituel (prières, jeûne, aumône).

    Au retour d'un voyage en Inde, la vision du monde de Manès se modifie, il se déclare même le successeur du Bouddha.

    Pour lui, toutes les religions détiennent une part de la vérité indivisible. Sa doctrine se veut donc une synthèse entre Zoroastre, Bouddha et Jésus.

    L'existence du Mal est scandaleuse, incompréhensible, inexplicable, inacceptable, inexcusable, insoutenable. Heureusement, si le corps est issu de la matière, donc des Ténèbres, l’esprit vient du Royaume de Lumière.

    « D’origine sanscrite, le mot "guru" résume une formule symbolique que traduisent les syllabes "gu" (ténèbres) et  "ru" (lumière). » Edmond Fieschi, op.cit.

    Manès révèle donc l'illusion de toutes choses et prône l'ascétisme. En conséquence, il faut s'abstenir de toute œuvre destinée à modifier ou à améliorer l'emprise de la matière. C'est à dire ne pas bâtir, ne pas semer, ne pas récolter, et si possible, ne pas procréer !

    « La vie n’est qu’une passerelle, emprunte-la, mais ne construis rien sur elle ». (Parole attribuée à Jésus et que l’empereur Akbar (1542-1605 ), a fait inscrire en arabe sur la mosquée du « Vendredi » à Fatehpur-Sikri en Inde).

    Cette vision d’un monde mené par le Malin, attirait à lui les déshérités et les révoltés et engendrait la contestation de l’ordre établi. Il était donc urgent pour les pouvoirs en place, de faire passer Manès pour fou. Il est mort dans un cachot où il a passé ses dernières années, attaché par de lourdes chaînes.

    Pourtant le manichéisme se répandit partout, de l’Afrique du Nord (avec Augustin) à la Chine. Mais les manichéens subirent aussi les plus féroces persécutions.

Manès était avant tout un auteur ; il a écrit de nombreux ouvrages en araméen oriental, pour que son message demeure dans les siècles des siècles. Mais ses ennemis se sont acharnés à les faire disparaître, et sa doctrine n’est connue qu’à travers quelques commentateurs critiques.

    Le manichéisme demeurait, en fait, l'ennemi le plus redoutable de toutes les religions et en particulier du christianisme qui n'a eu de cesse de le dénigrer. Aujourd'hui encore, « manichéen » est toujours employé dans le sens péjoratif de « borné ». Le dualisme  manichéen a été caricaturé puisque le « Principe du Mal » n’est pas un dieu égal au Dieu bon, ni chez Zoroastre ni chez Manès.

    « Si les hérisiologues consentaient (et ce serait là, de leur part, un minimum d’objectivité), à employer le vocabulaire des "hérétiques" qu’ils étudient et non point celui des "inquisiteurs", s’ils appelaient le bon principe "Vrai Dieu" à la façon des cathares, peut-être trouveraient-ils plus naturel et sans doute plus "scientifique" de ne point faire de l’autre, le Faux, son égal. » René Nelli (1906-1982), Les Cathares.

   D’ailleurs la critique de dualisme de la part de l’Église relève d’une grande hypocrisie, puisque l’ensemble de ses positions reposent sur lui, le christianisme est dualiste par essence : péché originel, lutte du bien contre le mal, rôle de Satan etc. Et la théologie affirme bien la distinction entre Dieu et le monde.

Alors que pour Henry Corbin, Sohravardî (1155-1191), mystique iranien qui fit se rejoindre les pensées d’Hermès Trismégiste, de Platon et de Zoroastre, la sagesse de l’ancienne Perse fut à l’opposée de toute philosophie dualiste concernant la Lumière et les Ténèbres.

 La pensée de Manès est très riche et toute en nuances ; sous l’influence du  bouddhisme, elle prend précisément en compte la nécessité pour l'homme de se situer dans un monde dont le Bien et le Mal sont les composantes incontournables. L’on devrait d’ailleurs dire Bien et Mal, comme Nietzsche qui considère que ces deux idées sont inséparables : l’on ne peut penser à l’une sans penser à l’autre. Or en disant le Bien et le Mal on les sépare et l’on est alors persuadé qu’il existe donc des moyens pour éradiquer le Mal.

 

 « Pour la pensée hindoue, il n’y a pas de problème du mal. Le monde relatif, conventionnel, est nécessairement un monde où s’affrontent des oppositions. La lumière est inconcevable sans l’obscurité, l’ordre ne signifie rien sans le désordre, le haut sans le bas, le bruit sans le silence, le plaisir sans la peine ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

 

De même Jakob Böehme conçoit la divinité, non comme statique, mais comme la résultante de forces opposées.

La Lumière et les Ténèbres ont dû fusionner pour créer la matière :

    « … A l'intérieur même de la lumière il y a l'obscurité… A l'intérieur même de l'obscurité il y a la lumière… »( Un maître zen ).

  « La matière est de la lumière condensée. La lumière est la forme la plus subtile de la matière. La lumière vient de se révéler à nous comme susceptible de se condenser en matière, tandis que la matière est susceptible de s’évaporer en lumière ». Louis de Broglie. 

    Toutes ces conceptions sont en contradiction flagrante avec la Bible où Yahvé, prétend avoir créé Behémoth, Léviathan et autres Lucifer… afin que l’homme soit prétendument libre de choisir le mal ou le bien.

    C’est ainsi que pour Plotin (205-270), adversaire des gnostiques, c’est parce que l’homme peut faire le mal consciemment, qu’il se distingue de l’animal. C’est le corrélat de sa liberté, qui lui permet de choisir entre faire le bien ou le mal, choisir son destin, c’est à dire, exister. Au Paradis, Adam vivait, mais n’existait pas. Il aurait gagné sa liberté par la désobéissance. Le prix de la liberté serait donc l’injustice, le crime et la misère du monde ? Pour disculper Dieu, Plotin n’est pas à une astuce près.

    Toutefois, en faisant abstraction de toute religion, n’est-ce pas là, en effet, la véritable histoire de l’humanité. Les êtres humains, dans la préhistoire, dans des micro-sociétés régies par la Mère, vivaient en accord parfait avec la nature. Ils étaient proches des animaux, loin des idées, des idéologies, et donc loin du libre-arbitre, et loin de pouvoir faire le Mal en soi, puisque les rites et les us et coutumes lassaient peu de place pour enfreindre une morale qui n’existait pas encore, qui n’avait pas encore été formulée.

Cette interprétation du péché originel rejoint d'ailleurs le mythe de Prométhée, qui désobéit à Zeus en donnant le feu à l'homme, et symboliquement également les armes, l'art de la guerre, la technique, et la « science sans conscience [qui] n'est que ruine l'âme » (François Rabelais, Pantagruel), puisque Zeus devait penser, comme Lucifer dans Les Légendes des juifs, que l'homme était incapable de maîtriser ses forces, et surtout de modérer ses désirs qui le poussent à dépasser la mesure et donc son destin.

   En fait, c’est avec la culture judéo-chrétienne, et l’exclusion d’Adam du paradis pour avoir « péché », pour avoir désobéi, que les notions de mal et de bien ont pris une telle importance et ont contribué à fonder la morale occidentale tout en créant l’illusion de l’espoir.

En fait, l’homme créé par Dieu et libre d’accomplir le bien ou le mal est un mythe social. Petit à petit la société se complexifiant, il a fallu rendre l’homme, sorti de l’animalité donc irresponsable,  responsable.

Afin qu’il soit responsable il fallait lui donner le libre-arbitre, la capacité de différencier bien et mal. Or ces notions sont essentiellement sociales et non naturelles, non universelles. D’ailleurs les premières règles, les « codes », comme celui d’Hammourabi,  furent en fait des sanctions décrétées par le roi, face aux conflits individuels. Les rois suivants conservant ou modifiant cette liste de sanctions en fonction de l’évolution de la société et de leurs humeurs. Dès que cette liste est devenue trop importante et trop complexe, l’idée d’un Dieu dont l’autorité n’était pas contestable, sauf châtiment suprême, décrétant ce qui était bien et ce qui était mal, s’est révélée nécessaire autant que simplificatrice.

Le rôle de la religion monothéiste dans la conception du bien et du mal est flagrant dans la société occidentale. C’est le dieu de Moïse qui a fait croire à l’homme qu’il était libre de choisir entre le bien et le mal afin de le convaincre de sa responsabilité et de la justification de sa condamnation en cas de non respect de la loi divine, puis de la loi laïque, directement inspirée des « Tables de la Loi ». 

L’évolution culturelle de la société, liée à une certaine  démagogie politique, a façonné la notion d’« abolition du discernement » qui a conduit la justice à déclarer l’irresponsabilité de l’auteur d’un crime. Démagogie réelle, et pourtant cachant une réalité ontologique qui renvoie l’homme à sa nature d’animal social, irresponsable en effet de ses instincts et des conditions de vie le plus souvent absurdes qui lui sont imposées par la société.

 

« La feuille jaunie de l’arbre n’est pas plus responsable de son état que le malfaiteur dans la société.» Khalil Gibran, Le Prophète.

 Pour un gnostique, le Dieu législateur et vengeur de la Bible, est une idée farfelue, ridicule, la divinité ne peut être personnifiée, c’est une réalité absente, inconnaissable.

   En ce sens, Manès ou Mani était un gnostique.

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