De la prétention messianique à la pensée unique

 

« Je n’ai jamais voulu être le potage de l’homme, et je m’en suis allée à travers la ville multitude, sans donner d’esclaves aux Césars ». Louise Michel (1830-1905)

Bienheureux les stériles est le titre du volume précédent, première tentative de réflexion pour ce troisième millénaire, sur ce que pourrait être le point de convergence du taoïsme, du http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image002.jpg bouddhisme et de la gnose chrétienne.

Voici ce que dit Jésus sur le chemin du Golgotha :

« Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez sur vous et sur vos enfants. Car voici venir des jours où l’on dira :

" Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté, heureuses les mamelles qui n’ont point allaité " ! »

Évangile de Luc, 23 : 28-29.

Il s’agit, sans doute, d’une prophétie sur la chute de Jérusalem, 40 ans plus tard, écrite, comme toutes les prophéties, encore plus tard. Mais dans le monde, des chutes de Jérusalem, il y en a tous les jours et depuis des temps immémoriaux. Et en effet, voici venir encore des jours de grandes souffrances.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image003.jpg Pourquoi naître dans un monde qui, à l’évidence, n’est pas améliorable ? Dix mille ans d’histoire de l’homme, montrent que cette prétendue créature de Dieu ne tire jamais les leçons de ses erreurs et que sa nature profonde n’a pas changé.

« L’homme est une bien étrange créature, la plus destructrice qui soit jamais apparue sur la surface de la Terre. Même les dinosaures étaient moins destructeurs que l’homme. Il n’y a que nous, que cet hideux animal bipède doté d’une conscience, qui soit à la fois capable d’une telle absurdité, et incapable de devenir meilleur. L’homme est pathétique, pathétique ! Tous ces millénaires, pour ne pas progresser d’un pouce. Le monde est couvert de violence, d’égoïsme. L’homme n’a pas fait un seul pas en avant », p 424.

« Il est impossible de créer un homme nouveau… Il existe une nature humaine qui ne peut être combattue… Il existe une nature humaine qui est individualiste, égoïste… » Tiziano Terzani, La fin est mon commencement, p 237.

En quoi d’ailleurs la nature d’une espèce vivante devrait-elle changer ? En fait, l’homme, surtout depuis l’ère industrielle, s’est certes doté de moyens lui permettant d’améliorer, croit-il, son quotidien, mais dans le même temps, il a déployé une force gigantesque de pollution et de destruction qu’il ne peut maîtriser.

On peut se laisser distraire par la télévision, la Grande École de la Médiocrité, et par les acteurs des médias qui ne recherchent que le profit ou le maintien de leur rang au sein de ce Nouveau Pouvoir. Qui peut encore croire, contre vents et marées, aux discours démagogiques des politiques qui ne s’intéressent vraiment qu’à la prochaine élection, et jamais aux prochaines générations ? Il est évident que cherchant à être élus, les politiciens ne proposent jamais de prendre les décisions, qui bien que nécessaires, sont toujours difficiles à supporter ; mais dans les pays démocratiques, ce sont bien aussi les électeurs qui détiennent le pouvoir de changer les choses, et qui, par lâcheté ou insouciance, sont responsables de l’accumulation de leurs problèmes au fil du temps… jusqu’à la guerre.

Certes, quelques rares personnes éclairées s’intéressent à la prochaine génération, parce qu’envers et contre tout, elles gardent une foi inébranlable en l’homme. L’estime que nous pouvons leur porter, n’empêche pas toutefois de répéter haut et fort, à ceux qui veulent bien entendre et voir, la mise en garde de Jésus le gnostique.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image004.jpg Que Jésus soit le fils de Dieu ou non, qu’importe ! Ce qui semble certain, c’est qu’il fut un initié qui apportait une véritable révolution de pensée aux juifs et aux païens. Le message de Jésus se différencie totalement du strict respect des rites et sacrifices de la religion juive. Son message de paix et de compassion, est une révolution. Une révolution parce que le monde de Jésus est aux antipodes de celui du Dieu de la Bible. Ses références à la Bible n’ont pour but que de la démystifier:

« Ne vous avisez pas de dire en vous-même : Nous avons pour père Abraham… » Matthieu (3, 8-9) et Luc (3, 8).

La pensée de Jésus, à travers les Évangiles apocryphes de Thomas ou de Marie-Madeleine, rappelle celle des sages de l’Extrême-Orient, pleine de respect pour la nature et de compassion pour la destinée des hommes et des animaux.

« Tout ce qui est né, tout ce qui est créé,

tous les éléments de la nature

sont imbriqués et unis entre eux.

« Qu’est-ce que le péché du monde ?

Le Maître dit : Il n’y a pas de péché.

C’est vous qui faites exister le péché.

Lorsque vous agissez conformément aux habitudes

De votre nature adultère, là est le péché. »

[…] L’attachement à la matière

Engendre une passion contre nature ».

Évangile de Marie-Madeleine


Il n’y a pas de péché dit le Maître.

Qui peut juger ce qui se passe dans le monde vivant ?

En revanche, nous pouvons être amenés à agir en contradiction avec la logique des choses, c’est-à-dire sans tenir compte de l’interdépendance des éléments qui participent au Tout.

La faute résulte de l’ignorance de ce que nous sommes et de notre place dans la nature.

L’observation de la nature nous montre ses lois et leur cohérence. Par exemple tous les déchets du monde vivant sont automatiquement recyclables : la nature est programmée pour les digérer : ils servent de nourriture pour une autre espèce ou servent d’engrais. Seul l’homme a crée des millions de tonnes de déchets qu’il s’est contenté d’enfouir sous la terre, avant de s’apercevoir, trop tard, que la place allait lui manquer. Voilà la faute, l’erreur, dont il n’a même pas eu conscience, tant il est un animal très facilement conditionnable. À côté, quelle importance ses prétendus péchés ?

Le péché ne relève que du jugement humain, prétendument religieux. Mais le jugement humain peut-être en contradiction avec la cohérence du Tout. Parce que les religions ont perdu depuis longtemps le souci du Tout.

Conditionnés par les commandements de Yahvé, qui ne concernent que les rapports entre les membres du clan, les hommes ont perdu la seule notion du Bien et se sont engagés dans l’erreur.

Le Bien, c’est ce qui est conforme à l’organisation du monde vivant (la biodiversité). Le Mal, c’est ce qui lui est contraire. Le Bien peut comporter des faits qui représentent le mal pour la morale des hommes : le serpent peut tuer un homme qui le dérange par mégarde. Un calamar pond des dizaines de milliers d’œufs. Statistiquement, tous sauf deux serviront de nourriture à d’autres êtres vivants ; cela résulte de la grande harmonie, de l’équilibre de toutes les choses dans l’univers, du Tout. Il n’y a aucune raison de mettre le nom d’un Dieu sur une telle merveille, surtout si ce Dieu, inventé par les hommes pour justifier leurs œuvres, expressions de leurs ego, dicte des lois qui vont à l’encontre de celles de la nature.

Nous sommes bien incapables, et seront toujours bien incapables de comprendre ce qui concourt à cette grande harmonie cosmique ; alors, comme le disent les taoïstes, gardons-nous de vouloir transformer la nature.

Nous verrons plus loin, que cette « nature adultère » de l’homme, c’est son karma. L’homme ne peut se libérer des liens du karma qu’en se fondant dans l’unité et l’harmonie de toute la nature.

Dans la gnose, la nature adultère de l’homme vient de sa quête de pouvoir et de son attachement au matériel, et elle s’exprime par le refus de prendre en compte la nature féminine, aussi bien celle qui est en la femme que celle qui est en l’homme.

Un enseignement diamétralement opposé à celui de la Bible :

« Vous serez un objet de crainte et d’effroi pour tout animal de la terre, tout oiseau du ciel, tout ce qui rampe sur le sol et tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui se meut et vit vous servira de nourriture …» Genèse 9, 2-3.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image006.jpg Et avec le recul, l’on voit ce que cette recommandation divine a eu comme conséquences désastreuses pour notre planète et donc pour le genre humain.

« Prendre l’homme pour l’intendant de Dieu est une conception arrogante. L’arrogance consiste ici dans l’idée de supériorité qui se cache derrière la pensée que nous existons pour la surveiller [la nature] et que nous sommes un intermédiaire hautement respecté entre le Créateur et la Création. Nous sommes trop ignorants des mécanismes de la nature pour assumer cette fonction […] Aujourd’hui, notre rôle n’est plus celui de gardien, mais celui de voleur et de manipulateurs. » Arne Næss, Écologie, communauté et style de vie (page 273).

Pour les gnostiques, le véritable adultère, c’est la séparation, le divorce entre l’homme et la nature, entre le prétendu Créateur et la Création. Ce prétendu Créateur est en fait Diabolos, le Diable : en grec classique ancien, diaballein signifie « qui désunie, qui sépare » ; tout le contraire de l’Un des gnostiques et de la Cohérence cosmique du Tao.

« Celui qui exploite la nature est moins qu’un animal. Dès que l’homme renie la nature qui est en lui, qu’il perd le sens de son identité avec toutes les choses, il s’engage sur le versant de la destruction. Il détruit non seulement la nature, mais aussi sa vie spirituelle, car les deux sont inséparables… Faisant d’elle son esclave, il devient esclave à son tour. » J.-C. Cooper, La philosophie du Tao.

Aucun idéogramme chinois ne représente le péché ; dans le taoïsme comme dans le bouddhisme, tout malheur ne provient que de l’ignorance de ses causes ; l’infraction des lois régissant l’Harmonie de la nature entraine inéluctablement des sanctions.

Ainsi est contredite par la gnose l’idée biblique selon laquelle le malheur est le résultat du péché, c’est-à-dire de la désobéissance à la Loi, le non respect du contrat avec Yahvé, et vice versa, la réussite serait le signe que l’on est en conformité avec les prescriptions divines. Tout malheur, toute catastrophe est donc le signe que Dieu a été mécontenté. Si l’on obéit à ses commandements et si l’on suit les rites, l’on peut transformer la nature, la dominer, comme la femme, ou nous livrer à une sainte guerre : si Dieu ne nous punit pas, c’est que nous avions raison et qu’Il est satisfait. Une vision du monde qui incite à l’irresponsabilité, à tout acte irresponsable, tant que Yahvé ne l’a pas défendu : « Croissez, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » Genèse 1, 28.

Ce contrat c’est la Torah qui justifi

e la guerre au nom de Dieu dans le but de la construction par le peuple élu, d’un royaume terrestre, parce que l’immortalité s’acquerrait collectivement.

Cette construction d’un monde sous l’impulsion d’une volonté supérieure qui engage un peuple, génère la notion de « Progrès », et par conséquent de conquête et de domination.

En Occident, même les agnostiques et les athées ont encore dans leur tête cet instinct de conquête attisé par les religions du Livre. Et que dire des croyants, qui comme aux Etats-Unis, sont totalement sous cette emprise ?

Selon une étude récente du professeur John Miller (Northwestern University), pour 27 % des Américains, la Bible est bien la parole de Dieu, et pour 38 % il entend les prières ! Le « Butler Act », datant de 1925, et interdisant « l’enseignement de toute théorie niant l’histoire de la création divine de l’homme telle qu’elle est enseignée par la Bible », ne fut abrogé qu’en 1968 par la Cour Suprême des Etats-Unis ! Quelle imposture à la veille du troisième millénaire !

« Y a-t-il séduction plus dangereuse que de congédier la croyance aux dieux d’Épicure, ces inconnus insouciants, et de croire à n’importe quelle divinité soucieuse et mesquine qui connaît personnellement jusqu’au moindre cheveu de notre tête et n’éprouve aucun dégoût à rendre le plus misérable service ? »

Nietzsche, Le gai savoir.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image008.jpg « La religion est la fille de l’Espérance et de la Peur ; elle explique à l’Ignorance la nature de l’Inconnaissable. » Bierce Ambrose (1842-1914), Dictionnaire du Diable.

Le rôle des religions est de créer un lien entre le divin et l’homme alors que les traditions animistes créent un lien entre la nature et l’homme. En respectant des dieux façonnés par l’homme, celui-ci, en fait, ne respecte rien.

« Nier la Nature et la vie qu’on connaît pour y substituer un système d’idées est un comportement idéologique [et] n’est que dévoiement et illusion. » Robert Blanchard, Paradis introuvables.

Déjà l’idée de création renvoie automatiquement, pour tout Occidental, à un Créateur, au Dieu biblique, en occultant donc, toute autre conception de la, ou des, divinités.

À noter que cette notion d’un Dieu créateur dans la Bible est empruntée entre autres, au mythe égyptien d’Osiris : « Je suis le Très-Haut, le créateur du Ciel et de la Terre ».

Le Dieu de la Bible est totalement décrédibilisé par son anthropomorphisme. Comment croire à un Dieu qui ressemble tant à sa « créature », qui en a les sentiments, les émotions les qualités et les défauts ?

Et cette erreur fondamentale a conditionné toute la pensée occidentale. Pour le taoïsme et le bouddhisme, c’est une bien grande erreur de croire que la divinité puisse entretenir quelque relation personnelle avec un peuple ou un individu.

« Ne vous occupez pas de Dieu. Vous ne savez rien sur lui, hormis ce que vous vous imaginez qu’il est ». Ramana Maharshi.

« Et pourquoi bavardez-vous au sujet de Dieu ? Tout ce que vous dites de Dieu est mensonger » Maître Eckhart.

« La notion du Dieu créateur est totalement étrangère à la tradition taoïste, qui conçoit la création comme une opération spontanée du Tao par l’interaction des principes yin et yang.        J. C. Cooper, La philosophie du Tao.

Interaction des principes yin et yang qui donne naissance à la diversité du monde visible et invisible.

D’autre part le Dieu de la Bible crée le monde ex nihilo, à la différence de tous les dieux des « païens », qui créent l’univers à partir d’un œuf originel ou de l’eau primordiale. Yahvé est totalement hors de l’univers, hors de la nature qu’il demande aux hommes de maîtriser, de dominer. Ce qui explique l’arrogance envers la nature des adeptes des religions du Livre.

« La dualité est là : Dieu et sa création sont distinct l’un de l’autre » Patrick Trousson, Le recours de la science au mythe.

Comment l’homme, doué de parole et de raison a-t-il pu confondre l’Idée d’un Dieu avec son père, et l’implorer ainsi : Père qui est aux cieux. Quelle dérision, quel infantilisme. Combien de mystiques ont cru voir l’image de Dieu ou perçu la Lumière divine, à l’instar de Moïse ou de Muhammad ?

La profondeur du taoïsme, du bouddhisme et de la gnose primitive est aux antipodes de ces enfantillages. Comment mettre une image sur le Tao, sur l’Eveil, sur l’Harmonie cosmique ? Comment imaginer que Dieu édicte une Loi pour les hommes ?

Si Dieu est mort depuis déjà longtemps, l'Occidental se croit encore au centre du monde, et sa culture est toujours prisonnière du judéo-christianisme, comme si, dans l'univers il n'y avait que lui et son Dieu, avec Son Idée fixe :

« Croissez, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la. » Genèse 1, 28.

« … Yahvé se conféra à lui-même la qualité d’ordre moral, mais, de ce point de vue, il laissait beaucoup à désirer ! Pourtant, le code moral du monde occidental repose encore sur celui de la Bible, avec son Dieu créant intentionnellement l’univers et donnant aux "fils des hommes" le droit divin de régner sur la Terre et sur toutes les créatures vivantes […] Et les femmes furent, tout comme la Déesse, exclues, bien entendu, de tout processus décisionnel, puisque les hommes seuls étaient désormais autorisés à pénétrer dans le Saint des Saints, au cœur sacré du temple. Adele Getty, La Déesse, Mère de la Nature vivante.

« Est-ce une coïncidence si Yahvé est le premier Dieu à régner sans déesse, qui pourra avoir un Fils, mais non une Épouse ? » Gilbert Simondon.

En fait le roi Salomon aurait fait ériger dans le Temple un arbre sacré en l’honneur d’Asteroth (ancienne Inanna, Ishtar, et future Astarté), reine des troupeaux et dispensatrice de la fertilité, mais à partir du règne du roi Josias, les scribes supprimèrent toute mention de la déesse (Livre de la sagesse de Salomon).

Dans une société patriarcale, la séparation, la division en classes sociales est beaucoup moins manifeste que la séparation, la division en sexes. La véritable classe soumise, n’ayant nul droit à la parole en matière religieuse, politique et sociale, encore aujourd’hui dans la plupart des pays, c’est celle des femmes.

Pour les écoféministes, le capitalisme est fondamentalement patriarcal, c’est pourquoi « L’économie de marché, était incapable de fournir le cadre d’une société respectueuse de l’environnement, des femmes, des enfants et de la nature ». Maria Mies, Ecofémisnisme.

L'omnipotence du christianisme repose sur un fabuleux mensonge occultant des millénaires d’histoire et de préhistoire. En s'appuyant sur la Bible, les prêtres de l'Église soutiendront que la tradition mosaïque est antérieure à toutes les sagesses grecques et orientales et qu'avec la Genèse « …nous touchons aux origines du monde » (Tertullien, 155-222). Tertullien disait aussi : « Je crois parce que c’est absurde. »

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image010.jpg Dans la Bible, Dieu donne mission à Juda et Siméon, de conquérir toutes les cités cananéennes et de massacrer tous les habitants pour prendre leur place sur cette terre qu'Il leur a promise. C’est un Dieu qui ne représente en fait, que le fondement idéologique permettant de justifier la volonté de puissance et les ambitions politiques du roi Josias (VII e siècle av. J.-C.).

Si Dieu le Père invoqué par Jésus est le même que celui de la Bible, quelle incohérence et quelle farce cet « aimez-vous les uns les autres »! Pas étonnant que les 2000 ans d'histoire du monde chrétien relèvent de la plus grande schizophrénie.

Mais Jésus n’a rien à voir avec Yahvé, puisqu’il disait que « son Père ne jugeait pas ». Comment Yahvé pourrait-il être ce Père dont parle Jésus :

« Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. Vous serez ainsi les fils de votre Père du ciel, qui fait lever son soleil sur le méchants comme sur les bons et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». Matthieu V, 44-45.

Alors que Yahvé punit ceux qui n’obéissent pas à Sa Loi, dont l’un des préceptes est « œil pour œil et dent pour dent », issu de la tradition de l’ancienne Égypte.

Nous verrons qu’il s’agit là du « Ciel » taoïste plutôt que du ciel biblique. Yahvé n’a pas envoyé son fils pour le sacrifier, pour racheter des péchés. La crucifixion de Jésus n’est que la résultante de la bêtise humaine ; de la bêtise du mâle qui ne supporte pas la concurrence, surtout celle des idées. Deux mille ans de mensonges des « Pères de l’Église » et autres exégètes, nous ont fait croire que Yahvé était le Père dont parlait Jésus. Une énorme supercherie aux conséquences incalculables.

La supercherie des religions du Livre

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image012.jpg Les religions du Livre relèvent d’autant plus de la supercherie, que comme nous l’avons déjà précisé dans Bienheureux les stériles, la Bible n’est qu’une pâle copie mélangeant les dates et les lieux de plusieurs légendes des Balkans à l’Egypte, vaste zone, qui représente en fait le véritable berceau de la civilisation occidentale.

Les rédacteurs de la Bible ont puisé en particulier dans les mythes babyloniens, écrits deux mille ans plus tôt (3000 ans av.-.C.). Les psaumes bibliques sont très proches des psaumes sumériens. Certaines litanies de l'Ecclésiaste trouvent leur source dans L'Epopée de Gilgamesh.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image013.jpg L'ivresse de Noé est copiée sur celle d'Enkidu, l'ami de Gilgamesh. Les stances prononcées par David sur Saül rappellent celles prononcées par le héros sumérien à la mort d'Enkidu.

Le plus sage des hommes créés par Enki, l'un des premiers dieux mythologiques connus, est appelé « Adapa », c'est bien proche d’« adama » la terre rouge qui a donné « Adam ». Le dieu des dieux, Anu voulut le rendre immortel, mais Enki lui ayant défendu de manger des fruits offerts, il resta donc mortel, ce qui rappelle évidemment, dans la Bible, l’épisode du fruit défendu.

Le Livre de Job, qui date du Ve siècle avant Jésus-Christ, est à l’évidence inspiré du texte mésopotamien « Le Juste souffrant », écrit également deux mille ans plus tôt (selon le Dictionnaire des Mythologies, de Jean Bottéro).

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/clip_image001.jpg Même chose dans les psaumes 74 (12-17) et 104 (26), où Dieu écrase les têtes de Léviathan : « … tu as eu la force de fendre la mer, de briser les têtes du grand dragon marin… le Léviathan ; tu l’as inventé pour jouer avec lui… » ; et dans l’Épopée, le dieu Marduk (dans l’Enuma Elish=Lorsqu’en haut), affronte pareillement Tiamat, le serpent des abysses, le monstre-mère abyssal, (en fait le symbole de la déesse Mère, la divinité primordiale avec Apsoû, la première personnifiant la mer, la seconde les eaux de la terre. Elles incarnent les lois de l’univers). Tiamat est tuée par Enlil, Enki-Ea et Marduk, ses enfants, démiurges qui s’emparent de son domaine en fondant les prémices du patriarcat. De même nous verrons que dans l’Hypostase des Archontes, texte gnostique, la Mère primordiale (Sophia), se fait déposséder de ses pouvoirs par le démiurge, l’Archonte, en fait Yahvé, qu’elle aurait engendré par erreur (voir le paragraphe « Le Principe féminin »).

Un récit de la Création dont les rédacteurs de la Bible se sont inspirés, mais en le transformant pour en faire un hymne à la gloire du Dieu patriarcal.

Nous avons déjà montré dans Bienheureux les stériles, que le récit du Déluge, tel qu'il a été écrit sur des tablettes d'argile sumériennes, 3000 ans av J. C., est quasiment mot pour mot le même que celui de la Genèse.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image015.jpg 2000 ans plus tard, c’est à dire environ 1000 ans avant J.-C., les auteurs de la Bible se sont donc inspirés également, de ces légendes. Dans la Bible on retrouve non seulement les mêmes symboles que dans L'Epopée de Gilgamesh, comme le serpent qui prive l'homme de l'immortalité, mais aussi, le même style et les mêmes expressions métaphoriques.

Les Hébreux et Abraham lui-même, ont longtemps vécu en Mésopotamie, et ils ne pouvaient ignorer les traditions et les textes des Sumériens. Ce sont les Hébreux qui ont remplacé les dieux sumériens par Yahvé. Une stratégie, dans le but de ressouder des tribus qui passaient leur temps à se quereller. Dans la Genèse, Dieu dit à Abraham : « Je te donnerai de devenir le père d’une multitude

de nations, je te rendrai fécond à l’extrême. » Genèse 17,5. Il s’agit là, dans l’Ancien Testament, d’une volonté politique populationniste afin de constituer une nation puissante en disposant de nombreux guerriers face aux adversaires. Ce qui est tout à fait légitime pour une nation à cette époque, mais qui, encore une fois, se situe aux antipodes de la pensée de Jésus.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image016.jpg « Cette monolâtrie est liée au caractère national d’un dieu qui fit alliance avec un peuple. Au moment de l’installation en Canaan, les groupes qui n’ont pas connu l’exode mais qui entrent dans la confédération israélite devaient renoncer à leurs propres cultes pour choisir Yahvé… La royauté fut choisie en réponse à une situation de crise et de faiblesse des tribus qui, isolées, n’opposaient pas un front commun et cohérent aux ennemis, notamment aux Philistins. » Sophie Cluzan, De Sumer à Canaan.

Yahvé n’est également que la continuité de Aton, le dieu unique imaginé par Akhenaton (Aménophis IV) qui régna d’environ 1358 à 1340 av. J.-C, comme le révèlent Sigmund Freud dans L’homme Moïse et la religion monothéiste ainsi que Mesod et Roger Sabbah, dans Les secrets de l’Exode.

Ces derniers relèvent de très nombreuses similitudes entre l’écriture hiéroglyphique égyptienne et l’hébreu, par exemple le serpent égyptien qui se nomme « Kof » comme en hébreu.

Chez les Égyptiens, le serpent est l’héritier de la puissance vitale issue de Râ, donc renié par Akhenaton et par Yahvé :

 

« Tu es maudit plus que tous les animaux et plus que toutes les bêtes des champs, tu marcheras sur ton ventre et tu te nourriras de poussière tous les jours de ta vie » Genèse 3, 14.

 

Les auteurs précisent que Rachi, commentateur de la Bible au Moyen Âge, explique que le serpent était à l’origine pourvu de pattes qui lui furent alors supprimées.

Dans La Déesse, Mère de la Nature vivante, Adele Getty révèle le véritable rôle du serpent dans le mythe pélasgien de la Grèce préhellénique :

« Au commencement, le monde était vide et sans forme. Puis Eurynomé, notre Mère suprême, s’éleva, nue de l’abîme, regarda autour d’elle et s’aperçut qu’elle était seule. Elle se mit à danser dans les ténèbres, et sa danse mit l’air en mouvement. Un vent venant du Nord souffla sur son visage ; notre Mère le prit dans ses mains et le façonna, lui donnant l’apparence d’un serpent tacheté. Ce serpent eut pour elle de la concupiscence, et elle lui permit de lover ses anneaux contre son corps, et il la connut. Mais il n’avait pas encore de nom. Avec le temps, notre Mère prit la forme d’une colombe, et la colombe vola sur la surface des eaux et pondit un œuf immense ; le serpent s’enroula autour pour le couver, et l’œuf s’ouvrit, et toutes les choses furent créées. Ensuite notre Mère regarda ses œuvres, et elle vit que cela était bon : alors elle établit les années et les saisons, les mois et les semaines, jusqu’à la fin des temps. Et elle divisa chaque semaine en sept nuits et en sept jours. »

Un récit de la Création dont les rédacteurs de la Bible se sont inspirés, mais en le transformant pour en faire un hymne à la gloire du Dieu patriarcal.

De même, pour Yaïr Zakovitch, spécialiste de la littérature biblique à l’université hébraïque de Jérusalem, la sortie d’Égypte sous la conduite de Moïse n’a aucun caractère historique, il s’agit d’une fiction littéraire en vue de constituer une idéologie politique et religieuse.

Et peut-être plus exactement, une idéologie politique déguisée en religion, et incluant une caractéristique fondamentale et unique, inconnue parmi les religions non-monothéistes : la répression du féminin. Les messagers de ce Dieu sont tous mâles : Abraham, Jacob, Moïse, David, Jésus, Muhammad.

À noter qu’après le Déluge, l’homme devient carnivore et c’en est fini de la paix avec les animaux. Au début de la Genèse, Dieu ne donne à l’homme que « l’herbe verte » : cet « âge d’or » se retrouve également dans les très anciennes traditions indienne et chinoise, comme dans ce texte de Lie Zi (environ 600 ans avant J.-C.) 

« L’intelligence de l’homme et celle de l’animal sont naturellement identiques. Comme nous ils souhaitent préserver leur vie du danger. Mâles et femelles s’accouplent, mères et petits s’aiment. Ils fuient les plaines et le froid, préfèrent les grottes et la chaleur… Dans la plus haute Antiquité, ils vivaient et se déplaçaient avec les hommes. Puis ils commencèrent à craindre l’homme et à s’en séparer. De nos jours alors que nous sombrons dans la décadence, ils nous fuient et se tapissent dans l’ombre pour échapper à notre cruauté .» Du vide parfait, (Rivages poche).

« À la différence des Grecs et des Romains, les premiers cultivateurs du Proche-Orient, de la Chine ancienne ou du Nouveau monde véhiculaient encore une représentation du monde pleine de respect pour la nature, appréhendée comme une unité vivante. Partout la terre était considérée comme une Grande Mère et, nonobstant les progrès de la civilisation, on se souvenait que toute intervention dans la nature troublerait l’équilibre existant et équivaudrait à un sacrilège envers les dieux ». Eugen Drewermann, Le progrès meurtrier, page 58.

La Bible est donc un faux, mais si profondément inscrit dans l'imaginaire des gens, qu'il supplante largement la preuve de la falsification.

Autrement dit, si une société a besoin de l'imaginaire pour survivre, pour préserver la structure sociale en place, sa hiérarchie, son mode de fonctionnement, le réel, et même des découvertes scientifiques, sont occultées.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image017.jpg Comprenons bien, que si l'Iliade et l'Odyssée ont été inspirées par les textes sumériens antérieurs, c'est une découverte intéressante qui ne porte pas à conséquence. Mais en ce qui concerne la Bible, c'est autre chose. La Bible, c'est Le Livre, à l'origine des trois religions monothéistes, religions de la peur. La Bible, c'est la pierre angulaire de la construction d'une vision du monde basée sur le péché, la punition, donc sur la violence, et surtout la violence faite à la femme, qui n’a même plus le droit de faire connaître son point de vue de mère, alors qu’elle donne la vie. Une vision du monde aussi tronquée, coupée de la réalité, révélant mépris et irrespect pour la nature, ne pouvait qu’engendrer les catastrophes que nous commençons à subir, depuis que l’homme, en tant que mâle, s’est inventé des moyens de nuire, qu’il est incapable de maîtriser. Une telle analyse faisant référence à la métaphysique, relève donc de l’écosophie, telle que l’entendait Arne Næss.

« Dans les articles et les livres des économistes, la nature n’est presque jamais mentionnée, et, si elle l’est, elle ne l’est qu’au sein d’argumentations très superficielles comme une ressource ou comme un obstacle. » Arne Næss, Écologie, communauté et style de vie (page 165).

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image019.jpg Dans la mythologie sumérienne, en revanche, la notion de péché originel, pierre angulaire du message biblique, est totalement absente. Le dieu Enki et Nintu, la déesse Mère, sont les seuls coupables de la création des hommes, dont la seule raison d’ « être » est de leur servir d’esclaves. Ils ne demandent pas en plus à leurs créatures de se mortifier. En fait, le péché, comme la faute, sont des concepts qui ne servent qu’à cacher notre ignorance des causes de l’intervention de certains phénomènes. Les dieux sumériens sont souvent agacés par l’indiscipline de ce troupeau d’esclaves qu’ils ont créés. Les humains représentent une population collective et chaque esclave n’a pas encore d’individualité propre. Avant de se prendre pour le fils de Dieu, avant de croire faire partie du « Peuple Élu », l’homme faisait partie d’un troupeau d’esclaves, le troupeau humain. Voilà bel et bien son origine.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image020.jpg Anu, Enlil et Enki ne sont pas jaloux de dieux que leurs créatures pourraient adorer, puisqu’il n’y en a pas d’autres. Jusqu’à ce qu’on en découvre de plus anciennes, c’est la première mythologie écrite connue. Ces dieux sont en contact quotidien avec des hommes qui ne peuvent donc que leur obéir. Le péché d’adorer un autre dieu n’est pas imaginable. Les dieux sumériens n’ont pas besoin, comme Yahvé, d’inventer le péché originel pour culpabiliser l'homme afin de mieux l'asservir… Alors que l'homme n'est coupable de rien si ce n'est de perpétuer sa race d'esclave.

En fait la Bible a repris à la mythologie sumérienne l’idée que l’homme est intermédiaire entre l’animal et les dieux, puisque l’esprit d’un dieu condamné par l’assemblée divine, lui a été insufflé lors de sa création par Nintu et Enki. L’homme ainsi créé est appelé en sumérien « awelou », c’est-à-dire : mélange de la matière et de l’esprit. Origine peut-être, du dualisme qui sévit encore aujourd’hui. À travers l’obéissance à Yahvé, l’homme continue donc son rôle d’esclave en œuvrant à l’amélioration du monde pour le bien-être des dieux. Et sans leur contrôle, évidemment, il se leurre, jusqu’à détruire ce qu’il était chargé de faire fructifier.

Alors qui allons-nous donc prier ? Jésus ? Il fut certes un grand initié, mais comment pourrait-il être le fils du Dieu de la Bible, l’un des multiples avatars des Mardouk, Enki et autre Enlil, dieux mythologiques qui cachent mal, derrière leurs récits rocambolesques, la véritable histoire des usurpateurs et des assassins des déesses mères des âges primitifs ?

Nous n’avons personne à implorer pour soulager l’être aimé qui souffre, ou sauver l’enfant dont le sort reprend la vie à peine donnée.

Prier, quelle incongruité! Quelle prétention! Croire qu'un Dieu est à son écoute, quelle folie! Celui qui prie croit que les lois de l’univers peuvent être annulées pour son bon plaisir. On devrait l’enfermer !

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image022.jpg Salut, miséricorde, pardon, renaissance, que de mots vides de sens !

« Heureusement que les dieux n’exaucent pas les prières des hommes, sans quoi ils périraient tous aussitôt car ils ne prient que pour souhaiter le mal d’autrui. » Épicure (341-270 av. J.-C.).

Si une hypothétique Intelligence de l’Univers écoutait des prières, ce seraient celles de nos gènes, mais certainement pas celles que notre ego conditionné imagine.

En fait la prière n’a qu’un rôle psychologique et social. Le croyant qui récite des prières ou des mantras, se coupe momentanément de ses préoccupations quotidiennes et des multiples pensées qui l’assaillent. La prière comme les mantras occupent le mental sur un point particulier, sur une récitation automatique qui a pour effet de calmer celui qui prie. Il croit, veut croire ou fait semblant de croire, que Dieu l’écoute, ce qui lui redonne très provisoirement la « paix de l’âme » et une certaine confiance, tout en lui apportant un semblant de sécurité vis-à-vis de ses ennemis. Remettre ses préoccupations à Dieu, c’est s’en décharger, c’est exorciser http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image023.jpg ses propres démons. Mais le mantra ou la prière ferment aussi l’esprit, le coupant de sa source et empêchant tout progrès spirituel (du moins pour celui qui pense qu’une quête spirituelle est possible par-delà les réflexes du mental).

Si la prière, telle qu’elle est comprise par les religions est une invention ridicule, elle existe en revanche partout dans l’amour de la vie. Elle est fusion dans la nature et abandon dans ses mystères (Orphisme). Prier réellement, c’est respirer, en ayant conscience que cet air nous donne la vie. Prier c’est boire à la source vivifiante, et qui n’a pas été polluée par les hommes ; c’est cueillir les fruits et les plantes poussés sans pesticides et les manger ; c’est recevoir la pluie, non acide, comme les rayons du Soleil. C’est voir en toutes choses, les signes de la Grande Harmonie de l’Univers, l’Ordre Cosmique, le Tao. Prier c’est contempler les étoiles.

« Nous ne faisons qu’un avec le monde, et par suite son infinité nous relève, bien loin de nous écraser […] Il y a là un ravissement qui dépasse notre propre individualité : c’est le sentiment du sublime. Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté…

C’est l’Imaginal d’Ibn’Arabî, le sentiment océanique de Romain Rolland, la mystique sauvage de Michel Hulin.

Non, nous ne sommes pas des fils de Dieu. Et toute théorie explicative de l’apparition de l’homme sur la terre, quelle qu’elle soit, ne peut être plus extravagante que celle de la création du monde par ce soi-disant Dieu Bon de la Bible, et pourtant si trop humain : coléreux, jaloux, envieux des autres divinités, vengeur, chef d’armées, poussant ses créatures à se massacrer les unes les autres ! Quelle caricature, à côté de toutes ces divinités que les païens côtoyaient avec tolérance et adoptaient au besoin, sans parler du panthéon hindou où les milliers de dieux représentent avec tant d’intelligence, l’ensemble des préoccupations humaines.

L’Ancien Testament n’est que la chronique de Sa Perpétuelle Colère.

" Le Seigneur est le héros des combattants » Exode XV-3.

" Ils fondront sur le dos des Philistins à l’Occident, Ensemble ils pilleront les fils de l’Orient. " Isaïe X, 1

" … Tu vivras sur les dépouilles de tes ennemis que le Seigneur ton Dieu t’auras livrées […] Quant aux villes de ces peuples dont le Seigneur ton Dieu donne le pays, tu n’y laisseras pas âme qui vive. Tu voueras à l’interdit, selon l’ordre du Seigneur ton Dieu, les Hittites, les Amorrites, les Cananéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens, afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter les pratiques abominables auxquels ils se livrent en l’honneur de leurs dieux, et que vous ne péchiez point contre le Seigneur votre Dieu ". Deutéronome, XX, 14-18.

" Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dépossédez auront servi leurs dieux […] Vous démolirez leurs autels, briserez leurs stèles ; leurs pieux sacrés, vous les brûlerez, les images sculptées de leurs dieux, vous les abattrez, et vous abolirez leur nom en ce lieu. "Deutéronome.

" Quand le Seigneur ton Dieu t’aura introduit dans la terre que tu dois posséder, et qu’il aura chassé devant toi de nombreuses nations, les Hittites, les Gergéséens, les Amorites, les Cananéens, les Phérézéens, les Hévéens, et les Jébusens, sept nations plus nombreuses et plus robustes que toi, quand le Seigneur ton dieu te les aura livrées et que tu les aura battues, tu les voueras à l’interdit, tu ne concluras point de pacte avec elles et tu ne leur feras point grâce. Point de mariage entre vous : tu ne donneras pas ta fille à leur fils, tu ne prendras pas leur fille pour ton fils". Deutéronome VII, 1-3.

Nous dirions aujourd’hui qu’il est ici question d’épuration ethnique et religieuse ; mais une note en bas de page 204 de la Bible de Maredsous indique néanmoins.

« Le Deutéronome n’exprime ici qu’un pieu désir rétrospectif de pureté religieuse ; en fait, les Israélites ne purent que s’infiltrer parmi les anciens occupants de la Palestine, auxquels ils s’amalgamèrent, et ils ne furent que rarement en mesure d’appliquer les règles de l’interdit ».

Il n’en demeure pas moins que les croyances de ces peuples « conquis », disparurent d’Israël et du royaume de Judas. Soumis à un tel Dieu mâle créateur du monde, les hommes de peuvent que s’abandonner à leurs instincts de compétition et de domination. L’agressivité qui en est le moteur conduisant à l’individuation forcenée et à la séparation vis-à-vis de l’autre et vis-à-vis de la nature.

Mais la plupart des exégètes de la Bible, comme René Girard dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, ne cherchent pas à savoir quelles furent, le plus souvent, ces victimes. Sans doute parce qu’il s’agit des défenseurs de la Mère, sacrifiés sur l’autel du patriarcat. René Girard n’y voit que le mécanisme victimaire. Un bien grand mot, à l’instar de « bouc émissaire », pour désigner ce qui, en fait, ne résulte que de la nature cruelle de l’homme, en l’occurrence du mâle, et de ses conséquences. Une façon sournoise également de disculper le mal, en faisant croire que de lui, peut naître le bien ; comme dans le récit de Joseph, vendu par ses frères pour vingt pièces d’argent, alors que le fils préféré de Jacob, les accueillera à bras ouverts en Égypte et fera leur fortune.

En fait, il n’y a de mal, de malédiction et de catastrophes dans la Bible, que lorsque le peuple élu désobéit à Dieu. Il s’agit de lui inculquer le risque qu’il prend à chaque fois qu’il persiste dans son erreur.

Un dieu personnalisé, donc un Dieu Ego, un dieu égoïste, un dieu paternaliste qui donne l'espoir à l’esprit faible afin qu’il croie en Lui. L’espoir que l’on met en Dieu nous lie à lui, nous rend dépendant de lui Dieu nous rassure et nous console de nos faiblesses. Un Dieu qui juge et qui distribue ses bienfaits et ses punitions ; parfois miséricordieux, parfois vengeur, un Dieu bien trop humain.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image024.jpg Dieu est l'Optimiste. Il est satisfait de Son Oeuvre.

Pour celui qui prend le temps d'observer le réel, l'idée de Dieu est une provocation, une méchante plaisanterie.

Non seulement le concept de Dieu est totalement vide de sens, mais il est dangereux! L'homme ne s'est-il pas approprié la terre sous le prétexte que Dieu la lui avait donnée ? Quelle arrogance envers la nature ! Et les souffrances de l’homme ne seraient que la conséquence de ses péchés, de sa désobéissance à Dieu ? Alors que les souffrances de l’homme ne sont que le résultat de son instinct de domination sur les autres et sur la nature. Ce que nous faisons à la nature, nous le faisons à nous-mêmes. Nous devenons aussi désertiques que la terre que nous détruisons.

« La religion d’Israël, une influence essentielle pour le christianisme, eut dès les commencements un rapport précaire à la nature. Originaire de la croyance aux "Dieu des Pères", l’Ancien Testament véhiculait une religion du clan, se fondant sur la croyance de l’importance particulière du peuple juif suite à la révélation faite au père du clan. Au centre de cette religion, il n’y avait que l’homme ou l’histoire d’un seul peuple ». (page 58).

[…] L’idée biblique de Création ne fut pas le résultat d’une expérience profonde du "monde", mais d’un conflit de croyance ou de pouvoir avec les dieux cananéens.

Comme tous les peuples agricoles, les habitants originels de la "terre promise" comprenaient alors la fécondité terrestre comme une union sacrée entre Mère nature et Dieu céleste ; à cette conception qui impressionna également les Hébreux, les Prophètes opposèrent la foi des Pères dans le désert : ce ne fut pas Baal, mais le Dieu des Pères qui avait créé et entretenu et la pluie, et les fruits de la terre, et l’univers entier. (page 59).

[…] La religion d’Israël demeure au fond une religion du désert qui, par crainte des dieux de Canaan, n’est jamais parvenue à voir la terre avec bienveillance et chaleur, telle une Grande Mère.

[…] La peinture biblique de la nature s’épuise en une série d’apparitions divines sous forme de tempêtes, foudres et tonnerres, et même celle-là ne témoigne pas d’une pensée et d’une sensation originales, mais reprennent la liturgie cananéenne de Baal. Ce qui est authentiquement hébreu, c’est l’idée que Dieu a fait du monde un "marche-pied" à l’usage de l’homme - une expression qui signifie au fond la soumission d’un ennemi.

[…] Avec son anthropocentrisme philosophico-naturaliste, le christianisme fut précisément sur ce point en contradiction avec les philosophes éclairés de la Grèce qui savaient très bien que le monde ne pouvait avoir été crée à l’intention de l’homme seul [...] La découverte de l’image héliocentrique du monde par Copernic et Galilée eut raison de la « vision du monde » chrétienne qui fut touchée en plein cœur. Eugen Drewermann, Le progrès meurtrier, (page 60).

La démesure du christianisme européen qui voulu conquérir et évangéliser le reste du monde est unique dans l’histoire. Les Amérindiens virent, pour leur malheur, arriver les colonisateurs avec bienveillance, comme s’ils étaient les envoyés du ciel ; quant aux Asiatiques, ils se méfièrent de ces barbares incultes venus de l’Ouest, et les tinrent à distance, sans jamais songer à envahir les pays qui les envoyaient.

Et jusqu’à une époque récente, les Européens n’ont jamais imaginé tenter d’adopter le point de vue de l’autre, du « sauvage », puis du colonisé, du néo-colonisé, de l’« émergent ». C’est ainsi qu’ils ne comprirent rien au changement du monde.

La prétention messianique

L’idée de l’intervention divine dans l’histoire crée un système de croyances totalitaires et donne à la souffrance une valeur rédemptrice. Si l’animisme intègre l’homme dans la nature, le rédemptionnisme anthropocentrique, tel un virus idéologique, l’en sort et l’isole pour mieux l’asservir et l’inciter à détruire la nature, sous prétexte qu’elle est extérieure à lui, qu’elle lui est offerte par le Dieu. Alors que l’homme est totalement dans la nature et en connexion étroite avec toutes les espèces. Et s’il vit parfaitement en harmonie avec elle, en quoi aurait-il besoin de rédemption ? C’est la vision païenne de la vie, l’art de vivre du paysan en contact constant avec la nature (païen vient de paganus en latin, le paysan).

Quelle prétention et quelle hypocrisie aussi, chez les religieux qui se servent de Dieu pour justifier leurs abus de pouvoir sur la nature et sur les autres hommes !

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image026.jpg « Nous terminons le travail de Dieu… Dieu a besoin de nous, car nous sommes les seuls pouvant améliorer le monde. » David Ariel, Mystic Quest.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image027.jpg Et on a vu ce que ça donnait ! Que de crimes commis sous la houlette de Dieu. Que d’exterminations avec Sa bénédiction, des bûchers des cathares au massacre des Amérindiens.

Faire croire que c’est Dieu qui guide les hommes, et qu’Il les couvre de Sa Providence, est une spécificité des religions du Livre. Une immense supercherie, qui ne se retrouve pas dans les autres traditions, toutes dépendantes des lois de la nature et qui considèrent que les hommes, les animaux, les plantes, et les étoiles participent à la grande Harmonie du monde. Alors que l’Église, et plus tard encore plus la Réforme, considéraient ceux qui vénéraient la nature comme des idolâtres (voir plus loin les conceptions de Francis Bacon sur la nature).

En revanche si les « Lumières » se soucient parfois des lois de la nature, ce n’était que pour y trouver une confirmation à leurs préjugés, comme l’obligation faite aux femmes de rester à la maison pour s’occuper des enfants.

Que savons-nous du monde pour l’améliorer ? Même au début du XXIe siècle, nous n’avons pas encore réalisé la révolution philosophique due à la physique quantique et à la nouvelle vision systémique de la science.

« … Les représentations chrétiennes ainsi que l’atmosphère ecclésiastique me paraissent totalement étrangères au monde qui s’étend au-delà du mur de l’église. Lorsque, laissant derrière moi église et ville, je m’enfonce dans la nature, il m’est impossible de sentir celle-ci en chrétien […] Parce qu’elles forment un monde qui croît du dedans, je ne puis sentir en chrétien les choses de la nature. Je ne puis imaginer qu’elles tirent leur existence d’ailleurs, d’une source située "derrière les étoiles". En bref, je n’arrive pas à sentir que leur existence provient d’un Autre, qualitativement extérieur à tout ce qui pousse et vit. J’éprouve au contraire avec force que ce monde est mû du dedans, et d’un dedans si profond qu’il est aussi le mien, plus sûrement moi-même que ma conscience individuelle. Alan Watts, Amour et connaissance.

Selon Pierre Hadot (Le Voile d’Isis), les philosophes de l’Antiquité n’auraient pu imaginer regarder la phusis,  la nature et sa puissance génératrice, autrement qu’avec bienveillance, admiration et respect. Seul Platon ne perçoit dans ce monde que le reflet du monde des Idées, immuables et éternelles. Et le néoplatonisme puis le christianisme ont relégué la nature au second plan. Il ne restera plus aux Lumières et à la science naissante que de la mépriser et de s’échiner à la maîtriser, à la dominer, à la violer.

« Dans la perspective créationniste chrétienne, la Nature est un objet fabriqué par un artisan distinct d’elle et qui la transcende. Œuvre de Dieu, elle n’est plus divine. Il n’y a plus de présence divine dans la nature. Cette représentation n’a pu que confirmer les savants [Descartes, Bacon, Newton,] dans leurs recherches sur le caractère foncièrement mécanique des phénomènes de la nature » Pierre Hadot, Le voile d’Isis.                                               

« Alors que Zeus voulait se réserver le secret du feu et des forces de la nature et que Prométhée voulait le lui arracher, le Dieu biblique fait de l’homme le "maître et possesseur de la nature" ». Pierre Hadot, ibid.

Si les gènes des étourneaux les poussent à survivre, ce n’est pas pour le bien-être de l’homme, mais pour qu’ils remplissent leur rôle qui est de semer partout, grâce à leurs déjections, des graines de plantes et des noyaux de fruits (c’est ainsi qu’en détruisant certaines espèces vivantes, l’homme se détruit lui-même). La nature est d’une grande cohérence, elle se soucie peu de morale et n’a aucune raison de préférer une espèce plutôt qu’une autre.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image029.jpg Spinoza déjà en 1656, avait été exclu de la communauté juive et dut subir mille tracas parce qu'il contestait que le monde ait été fait pour l’usage de l’homme, sous le prétexte d’ailleurs absurde que ce dernier a été créé à l’image de la divinité. C’est pourquoi, sans doute, dans l’Égypte ancienne, les dieux avaient des têtes d’animaux, afin que les hommes ne cherchent pas à s’identifier à eux.

Si Zeus punit Prométhée pour avoir donné le feu aux hommes, sachant qu’ils en feraient un mauvais usage, le Dieu de la Bible ne cesse en revanche d’inciter son peuple à la conquête ; Il lui a donné la Terre, Gaïa, la Grande Mère nourricière en cadeau, un Organisme vivant dont l’homme est partie prenante, mais que cette créature ratée ne se lasse pas de dégrader, de briser, comme si ce n’était que son jouet.

Selon Les légendes des Juifs de Louis Ginzberg, de nombreux anges, menés par Lucifer (Porte de Lumière), désapprouvaient la création de l'homme, parce qu'il leur paraissait évident qu'il serait menteur et querelleur (comme le pense également le dieu Enlil dans la mythologie sumérienne). Mais Dieu qui ne supporte aucune contradiction les déchut. Les agitations de l’homme se retournent aujourd’hui contre lui.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image030.jpg Si les écologistes nous incitent avec raison à respecter la nature, l'homme étant « plus bête que les bêtes », comme disait Diogène, il ne veut pas comprendre ce message, d'ailleurs très mal ciblé. En effet la nature se moque complètement qu'on la respecte ou non. Elle n’est pas née d’hier. D'un cataclysme à l'autre, elle retournera encore la terre et ses misérables habitants avec. C'est lui-même et ses semblables que l'homme doit respecter s'il ne veut pas mourir étouffé par ses propres déchets. Mais voilà, l’homme est le seul animal incapable de se respecter lui-même.

Si l’homme doit préserver la nature c’est dans son seul intérêt, puisqu’il est la première et la seule victime consciente de ses propres errements. Nous verrons que dans la nature rien n’est isolé ; micro-organismes, insectes, plantes, animaux sont tous, sans aucune exception, nécessaires à la biodiversité, c’est-à-dire à la vie sur la terre, à toutes les espèces, et donc entre autres, à l’espèce humaine. C’est ce qu’on appelle l’écologie H, selon laquelle il s’agit de préserver la nature au nom de la survie de l’humanité. L’écologie non-H, selon laquelle il faut protéger la nature pour elle-même, n’est pas critiquable en soi, mais comme nous venons de le montrer c’est une tautologie qui ne peut guère mobiliser un maximum de personnes. Seule la peur, c'est-à-dire la prise de conscience des conséquences désastreuse des actes stupides des hommes, peut arriver à modifier leurs mentalités.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image032.jpg « Il se pourrait […] que nous ne soyons plus jamais capables de comprendre, c’est à dire de penser et d’exprimer, les choses que nous sommes cependant capables de faire. » Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne.

« Qu’un mal immense puisse être commis avec une absence d’intentions mauvaises est évidemment un scandale qui n’a pas fini de bouleverser les catégories qui servent encore à juger le monde. » Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé.

Mais si l’espèce humaine n’est pas capable de protéger son environnement, c’est qu’elle ne mérite pas de survivre… Ou qu’elle a fait son temps.

« Cette civilisation mérite-telle d’être sauvée ? […] Cela me fait penser à la Bhagavag-Gita : fais ce que tu dois faire ; ensuite que le monde se sauve, ou qu’il ne se sauve pas, ce n’est plus ton affaire », p 430. Tiziano Terzani, La fin est mon commencement.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image033.jpg Aujourd’hui où, pourtant, les médias prennent un malin plaisir à montrer à chaque instant la bêtise et la cruauté de l’homme prédateur, seule la Démagogie de l’Espoir règne. La littérature est encombrée de prétentieux et surtout de prétendus philosophes, qui piaillent à tous vents, leur espérance en un monde meilleur, comme s’ils étaient tous brusquement devenus des adeptes inconditionnels de la méthode Coué.

Dans La Mégamachine, Serge Latouche rappelle qu’il y a trente ans, Jean-Jacques Servan-Schreiber, avait prédit que le micro-processeur allait sauver le tiers monde et supprimer le sous-développement. Pendant que les rêveurs (qui toutefois savent très bien où se trouve leur propre intérêt), s’abandonnent à leurs fantasmes messianiques, les lobbies et les prédateurs des multinationales s’en donnent à cœur joie en spoliant à qui mieux mieux le Tiers-monde, pour inonder les benêts occidentaux repus, de marchandises à bas prix, dont ils n’ont pas vraiment besoin et qui régulièrement vont grossir des décharges qui, malgré l’obligation du recyclage, ne cessent pourtant de gagner du terrain.

« Des efforts de chaque jour pourront modifier le cours de l’histoire … Il existe un moyen de contribuer à la défense de l’humanité, c’est de ne pas se résigner…» Ainsi Ernesto Sabato, à 91 ans, malgré son extrême lucidité, avait encore foi en l’homme, à l’aube de ce XXIe siècle où tout se délite, où la capacité de nuisance de l’homme peut enfin se répandre sur la planète entière, et que rien ni personne ne peut plus y échapper.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image035.jpg Même si certains veulent les imposer à la terre entière, l’amour, la solidarité, les droits de l’homme, ne sont pas des valeurs universelles, mais les outils hypocrites de l’ego. En fait, seule la bêtise est égale dans le temps et dans l’espace, depuis la fin de la culture de la « Grande Mère ». Les catholiques ont cassé à coups de burin les testicules des http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image036.jpg statues grecques ; les révolutionnaires de 1789 ont cassé à coups de masse les statues de saints dans les églises ; les Talibans ont dynamité des bouddhas millénaires et d’autres islamistes ont anéanti les deux symboles phalliques de la superpuissance occidentale, qui elle-même, a assassiné partout sur la planète, là où il y avait des ressources à spolier.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image034.jpg « … La cause de la maladie moderne est la conviction que l'homme peut se guérir lui-même… » Nicolas Gomez Davila, Les horreurs de la démocratie.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image037.jpg Emmanuel Levinas (1906-1995), Franz Rosenzweig (1886-1929)… et autres Rédemptionnistes, contempteurs du désenchantement lucide, ne sont que des croyants béats, des apologues des espoirs vains, alors que leurs rêves de révolution se sont effondrés sous les totalitarismes et que nos sociétés libérales courent sans frein dans le mur. Le récit de leurs douleurs et des malheurs du monde est encore le ferment de leurs espérances.

Comment tant de penseurs ont-ils pu voir en eux des philosophes, alors que leur pensée ne fait que tourner en rond autour de la Torah ? Leur évidente et gravissime erreur est de croire, malgré les leçons de l’Histoire, que la morale est le fondement de toute philosophie, alors qu’elle ne cesse de virevolter en fonction des lieux et des époques.

Déjà Nietzsche reprochait aux grandes doctrines philosophiques, et l’on pourrait ajouter à toutes les idéologies, de n’être que des expressions très élaborées des croyances et superstitions populaires, et qu’elles ne faisaient pas vraiment preuve d’esprit critique. « Dieu est mort », annonça-t-il après avoir réglé leur compte à tous les prétendus philosophes qui n’étaient en fait que de simplistes théologiens.

 

« Chez le philosophe il n’y a absolument rien d’impersonnel ; et sa morale tout particulièrement indique qui il est, c’est-à-dire suivant quelle hiérarchie les instincts les plus intimes de sa nature sont disposés les uns par rapport aux autres. »

Nietzsche, Le gai savoir.

 

« Le temps viendra où l’on préférera pour se perfectionner en morale et en raison, recourir aux Mémorables de Xénophon, plutôt qu’à la Bible et où l’on se servira de Montaigne et d’Horace comme de guides

sur la voie qui mène à la compréhension du sage et du médiateur le plus simple et le plus impérissable de tous, Socrate. » Nietzsche, Humain trop humain.

 

« Si les Anciens ne peuvent produire que leur philosophie, les Modernes, quant à eux, n’ont jamais pu et ne peuvent aller plus loin que la théologie…

Les plus récentes révoltes contre Dieu ne sont autre chose que les ultimes efforts de la théologie, c’est-à-dire des insurrections théologiques… »

Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

 

De prétendues philosophies ou idéologies sont encore ancrées dans des controverses multimillénaires et ne cherchent pas à profiter des découvertes scientifiques de leur siècle, alors qu’elles sont pourtant autant de nouvelles clefs pour appréhender le monde. Même si leurs applications par les adorateurs de Mammon, se font « sans conscience ».

 

« On doit encore ranger la plus grande partie de la pensée consciente parmi les activités instinctives et ce jusque dans le cas de la pensée philosophique »

Nietzsche relève également dans Par delà bien et mal que la fausseté du jugement d’un parti ou d’une idéologie permet de conserver, de préserver le parti ou l’idéologie. Sans cette fausseté du jugement leur édifice risquerait de s’écrouler, alors, quoi qu’il puisse en coûter, il faut la maintenir. Et pour Nietzsche, la plus durable de toutes ces erreurs a été celle de l’Esprit pur et du bien en soi, commise par Platon.

« Célébrer la marche en avant des hommes, c’est toujours se mettre en posture de diviniser l’humanité (comme le fait Auguste Comte) ou bien d’idolâtrer l’Histoire (comme le fait Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, Hegel avec sa conception théophanique du temps ou le marxisme avec son fantasme d’un communisme achevant le processus historique) ». Jean-Michel Besnier, Peut-on croire encore au progrès ?

Il s’agit non seulement de percevoir l’incohérence du monde, mais aussi l’enchevêtrement des erreurs passées, tissant une force de multiplication des désastres à venir ; comme de nombreux torrents se rejoignant, emportent tout sur leur passage et viennent à bout des digues les plus résistantes.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image038.jpg « Depuis qu’il est au monde des philosophes et des guerres, les philosophes enseignent que les guerres sont contre-nature, et les guerres continuent leur résistance et les philosophes leur enseignement. » René Quinton (1866-1925), Maximes.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image039.jpg Contre l’évidence de la cruauté instinctuelle de l’homme, ils veulent encore croire que la raison et la liberté sont innées en lui, alors qu’on ne naît ni raisonnable ni libre. Là où l'on a pas le choix, à l'évidence, l'on est pas libre.

L’homme ne peut être créé et libre, puisqu’il n’a pas fait lui-même le choix de la vie, et qu’il dépend alors, d’une autre source que lui-même. La liberté se conquiert par un effort de connaissance en vue de la maîtrise de soi, donc par la connaissance de soi.

Sans doute dans un contexte plus matérialiste, Michel Onfray parle de sculpture de soi, ce qui suppose, qu’on enlève de la matière ; la sculpture est soustractive. La connaissance de soi également.

 

Pour Jiddu Krishnamurti, il est vain d’entreprendre des rapports réels avec autrui, si nous ne cherchons pas d’abord à nous comprendre nous-mêmes.

 

« Nous connaître est la dernière chose que nous voulons, bien que ce soit la seule fondation sur laquelle on puisse bâtir. Avant de pouvoir créer, avant d’être à même de condamner ou de détruire, nous devons savoir ce que nous sommes.

[…] Si vous ne vous connaissez pas, si vous n’êtes pas conscient de votre façon de penser, des raisons pour lesquelles vous tenez à certaines opinions, à certaines croyances sur l’art et la religion, sur votre pays, sur votre voisin et vous-même, bref si vous n’êtes pas conscient de tout ce qui fait votre conditionnement, il vous est impossible de penser avec vérité sur quoi que ce soit. Si vous ne voyez pas clairement votre conditionnement, lequel est la substance de votre pensée et son origine, ne voyez-vous pas que votre recherche est futile, que votre action n’a pas de sens ? »

Jiddu Krishnamurti, La première et dernière liberté. P 43 et 44.

 

Et nous comprenant nous-mêmes nous pouvons comprendre les autres, et enfin, les écouter. Et bien écouter est un art qui s’apprend :

« Nous vivons derrière un écran fait de préjugés, religieux ou spirituels, psychologiques ou scientifiques, ou composé de nos soucis quotidiens, de nos désirs et de nos craintes. Et abrités derrière tout cela nous écoutons. Donc nous n’entendons en réalité que notre propre bruit, notre son et non pas ce que l’on nous dit. Krishnamurti, La première et dernière liberté. P 28.

L’homme n’est pas d’abord libre, mais d’abord responsable de sa propre construction. L’homme social n’est raisonnable qu’après élevage, éducation. Avec le risque évident de se retrouver la victime des conditionnements et des endoctrinements sociaux, tant il aime la facilité et les chemins tout tracés. Il existe donc autant de façons de se comporter raisonnablement que de types de société.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image040.jpg La raison, comme la loi humaine, est essentiellement relative et non absolue. Le plus souvent nous croyons agir avec raison, alors que nous sommes soumis à nos émotions. Pendant qu’on installait dans les églises la Déesse Raison à la place des crucifix, on allait troquer, contre de la verroterie, des Africains pour les vendre aux Américains (l’esclavage ne sera définitivement aboli qu’en 1833 en Grande Bretagne et en 1848 en France)..

Faire de la raison une divinité, où croire qu’elle peut résoudre tous nos problèmes est une absurdité qui nous est révélée dans toute son ampleur par cette confiance absolue, donc aveugle, dans la science et la technique. En fait la prétention de l’homme, du mâle, sa cupidité, son instinct de domination a fait que la science et les techniques se sont développées quasiment exclusivement dans les domaines de l’industrie, de l’utilitaire, et donc du militaire. Même les progrès dans le domaine de la santé ne sont réalisés que pour des raisons marchandes.

Le débordement de la prétendue rationalité scientifique ou technique dans tous les domaines, amène les savants eux-mêmes à être incapables de prévoir les dégâts causés par leurs inventions. Et dans cette ère du tout automatique, en fait, personne ne contrôle plus rien.

Cette tragique foi inébranlable en lui ou en Dieu, issue principalement du patriarcat biblique, pousse l’homme à se multiplier malgré l’esclavage, les guerres, les massacres, les trahisons… et ainsi à alimenter le processus de l’autodestruction de son espèce.

« En Occident, les sciences et les techniques ont, dans presque tous les domaines, confondu connaissance et contrôle : l’idée de base étant que, pour comprendre la nature, l’homme doit commencer par la dominer. Et c’est très délibérément que j’emploie le mot homme, car je suis en train de parler du lien aussi essentiel que dramatique existant entre la vision mécaniste du monde et le système de valeurs en vigueur dans une société patriarcale, ce système qui inculque au mâle, dès l’enfance, un désir pathologique de contrôle et de domination […] De nos jours encore, la science et la technique sont utilisées conjointement à des fins nuisibles, dangereuses et anti-écologiques. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 340.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image041.jpg « L’homme a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction que nous portons dans nos gènes… La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté… » Patrick Declerck, Garantie sans moraline.

« Ne pas perdre de vue que les opprimés sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs… » Cioran, Précis de décomposition.

Toute pensée optimiste se contente en fait d'obéir aux vociférations de Yahvé et ne mérite pas de s’appeler philosophie.

Or toute la pensée moderne de l'histoire, un véritable ragoût philosophique, prend ses racines dans la croyance http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image042.jpg biblique en la divine providence et surtout, dans la rédemption, dans le Grand Pardon de Dieu, quelques soient les crimes de l’homme contre ses semblables et les irrémédiables dégâts infligés à la nature.

Contre toute évidence, ils croient en Dieu, alors qu’ils refusent, contre toute évidence, de croire au Diable. Pourtant les bienfaits de Dieu en ce monde sont bien rares, alors que la nature elle-même nous montre sa cruauté à tout instant et partout. Seule la cruauté de la nature est visible à tout un chacun et omniprésente.

La nature ne nous montre-t-elle pas que l’innocent est sans cesse la proie du prédateur ? Mais les valeurs humaines ne sont pas à chercher dans la nature qui est totalement a-morale. La nature ne comporte ni criminels ni innocents, et on n’y survit que par le sang versé. Il n’y a pas de vie sans surabondance de vie, et donc sans la nécessité d’une régulation, c’est-à-dire de prédateurs efficaces.

Et c’est un leurre de croire que l’humanité n’est pas soumise aux mêmes lois.

Notre manière de vivre doit s’inspirer de l’observation de la nature, afin de comprendre son fonctionnement, de vivre avec, et sachant que l’on fait un avec elle, de se méfier de nous même. Le comportement des animaux nous enseigne comment vivre.

" Le fennec ne s’arrête pas à tous les arbustes. Il en est, chargés d’escargots, qu’il dédaigne. Il en est dont il fait le tour avec une visible circonspection. Il en est qu’il aborde sans les ravager. Il en tire deux ou trois coquilles, puis il change de restaurant. Joue-t-il à ne pas apaiser sa faim d’un seul coup, pour prendre un plaisir plus durable à sa promenade matinale ? Je ne le crois pas. Son jeu coïncide trop bien avec une tactique indispensable. Si le fennec se rassasiait des produits du premier arbuste, il le dépouillerait, en deux ou trois repas, de sa charge vivante. Et ainsi, d’arbuste en arbuste, il anéantirait son élevage. Mais le fennec se garde bien de gêner l’ensemencement […] Tout se passe comme s’il avait la conscience du risque. S’il se rassasiait sans précaution, il n’y aurait plus d’escargots. S’il n’y avait point d’escargots, il n’y aurait point de fennecs." Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes.

Quelle prétention dangereuse de vouloir remplacer les lois de la nature par les nôtres ! Nous voulons maîtriser la nature en croyant gagner ainsi notre liberté sur elle, quel leurre, quel piège ! En fait le fennec possède la conscience suprême que les êtres humains ont perdu. Car le fennec, a une conscience, et la particularité de cette conscience est qu’elle est dans toutes choses. Le fennec a conscience de toutes choses et non pas seulement de son propre corps. C’est pourquoi intuitivement il connaît les lois qui règlent son environnement immédiat.

Pour les chamanes, les pierres, les plantes et les animaux ont conscience de la vie, ils ont des intentions et communiquent entre eux par des moyens que nous ne comprenons pas encore. Selon l’ethnobotaniste Romuald Leterrier (La danse du serpent), les plantes ont conscience d’une agression et peuvent la communiquer à leurs congénères afin qu’ils se protègent.

« On est complètement dans une logique d’intentionnalité mais aussi dans une logique de mémoire, de faire un plan, de prévoir et d’anticiper une menace pour s’en défendre […]

Lorsque l’on envisage un arbre en tant qu’un individu unique, l’on fait une erreur. C’est une colonie, une entité collective, un ensemble d’individus ».

 

Pour les chamanes déjà, les plantes représentaient un esprit collectif. Et cette conscience, l’homme l’appelle instinct, afin de mieux mépriser et dominer le végétal et l’animal, sans état d’âme.

L’auto-organisation qui gère le monde vivant comme l’inanimé révèle une perfection extraordinaire, difficile à comprendre même pour les plus grands savants qui, après les formes fractales de Benoît Mandelbrot, ont imaginé, comme Adrien Bejan, un monde constructal, qui fait encore la part belle au darwinisme, en se demandant comment la Nature peut-elle se comporter en un si merveilleux ingénieur, alors qu’elle n’est dotée d’aucune volonté propre, ni capable d’échafauder une finalité ? Pour eux, c’est toujours l’évolution qui a sélectionné au cours du temps, les formes les plus adaptées. Mais comment concevoir que cette perfection qui est globale, qui concerne le Tout, puisse être le résultat d’un chemin parcouru par tâtonnements ?

Un arbre, avec son tronc, ses branches et ses feuilles, qui se structurent pour s’exposer à un maximum d’ensoleillement, et ses racines qui présentent un immense réseau dans le sol pour drainer un maximum d’eau et de sels minéraux, forme en fait, une collectivité avec les autres arbres environnants grâce à des gaz qu’ils dégagent ou à de microscopiques champignons qui les relient par leurs racines.

C’est ainsi que Jeremy Narby a montré qu’une variété d’acacia communique avec ses congénères lorsqu’ils sont attaqués par de trop nombreuses antilopes. Non seulement l’arbre produit dans ses feuilles basses des tanins les rendant plus amères, mais tous les autres acacias, même éloignés font de même, comme s’ils avaient été mis au courant. Une forêt n’a pas de cerveau, elle est un cerveau.

 

« Leurs cellules communiquent entre elles via des signaux moléculaires et électriques, dont certains ressemblent étonnamment à ceux qu’utilisent nos propres neurones » L’intelligence dans la nature.

 

Jeremy Narby décrit aussi des geais à gorge blanche, qui après avoir caché leur nourriture tandis que d’autres oiseaux les observaient, changeaient leur cachette de lieu après le départ des observateurs, ce qui révèle mémoire et prévoyance.

La plupart de nos scientifiques, sont à des années lumière de cette vision de la nature, et leur aveuglement est bien ridicule.

 

« À ceux qui disent que la conscience est partagée avec certains animaux, je réponds qu’on n’a jamais vu des chimpanzés se réunir en forêt pour discuter de leurs origines »

Yves Coppens, Paris-Match 9-15/06/2011.

 

Les animaux ne perdent pas de temps à se réunir en forêts pour discuter de sujets inutiles. La conscience de leur espèce et de la nature en général, a pensé pour eux, et leurs attitudes sont guidées par la logique globale des choses.

De grands mammifères confinés sur des îles ont tendance au cours de leur évolution à voir leur taille se réduire. Comment cela pourrait-il se produire sans un niveau de conscience agissant au-delà de celle de chaque animal particulier ?

Des squelettes d’éléphants préhistoriques nains ont été mis au jour sur les îles de méditerranée, comme la Sicile, Malte ou la Crète. Le « nanisme insulaire » est un phénomène bien connu des biologistes. Pour que le métabolisme d’une espèce réagisse à la pression d’un environnement restreint et de ressources limitées il faut bien une prise de conscience.

Le chamane s’imagine être tel ou tel animal et ressent ce que ressent l’animal, parce qu’il est totalement immergé dans la même biocénose ; il fait un avec cette nature. D’ailleurs, le sage qui a su maîtriser son ego a compris l’essence du Tout, c’est-à-dire que l’humanité est un seul organisme, qu’aucun être vivant n’est isolé des autres et que pour le meilleur et pour le pire, il est donc aussi l’autre. Lorsque ce sage observe l’autre, qu’il soit humain ou animal, il entre en lui et le comprend parce qu’il se comprend lui-même. En fait l’homme et l’animal ont les mêmes peines et les mêmes joies. Seul peut-être, l’homme, à cause de sa mémoire encombrée s’embarrasse de fausses espérances.

Mais tous ensemble, insectes, animaux et humains, même si nous ne savons pas comment, nous participons à la création permanente d’un monde sans commencement ni fin, à un organisme cosmique qui ne connaît ni la naissance ni la mort.

Goethe disait déjà qu’on ne peut comprendre la nature qu’en reconnaissant qu’elle est constamment en cours de création.

Jean-Marie Pelt dans La vie sociale des plantes, relève que les plantes vivent en communautés, appelées associations de végétales, liées aux caractéristiques du milieu, et remarque qu’avec le développement de l’agriculture industrielle et de l’urbanisation, elles ont tendance à disparaître, même en forêt. Des espèces se retrouvent donc isolées et vulnérables.

Les sociétés humaines subissent les mêmes errements, les lieux de vie sont éclatés : grandes cités avec la concentration des logements, vastes voies de communication, supermarchés, lieux de travail, zones de loisirs, des structures qui isolent et renforcent les ego au détriment de ce qui fut la vie du village.

En fait, plus nous avons à affronter l’extrême complexité de la vie civilisée, plus nous devons rétrécir nos sens.

« La liberté de l’homme était engloutie dans la nature, elle s’en est dégagée ; mais elle en est issue … Là où [la nature] disparaît, la société moderne est obligée de fabriquer une sur-nature… Demain l’homme devra rempoissonner l’Océan comme il empoissonne un étang… Mais alors l’homme doit imposer à l’homme toute la rigueur de l’ordre… Et le réseau des lois doit recouvrir jusqu’au moindre pouce de la surface du globe. En substituant l’inhumanité d’une police totalitaire à celle d’une nature totale […] Mégalopolis est une cité assiégée, mais elle ne l’est que par sa propre masse. Aussi ne peut-elle être sauvée que par le sacrifice, chaque jour plus poussé de ses libertés […] Si la marée urbaine devait monter encore, alors [l’homme] n’aurait plus le choix qu’entre périr physiquement ou spirituellement, en cessant d’être un homme : en renonçant à la sensibilité et plus encore à la conscience. » Bernard Charbonneau, Le jardin de Babylone.

Nous ne pouvons qu’observer les lois de la nature, afin de les comprendre et de « vivre avec ». Quelle prétention dangereuse de vouloir les remplacer par nos propres lois ! Pour les sages taoïstes, toute invention et tout perfectionnement technique sont nocifs. Sous le prétexte de rectifier la nature, il est dangereux de la violenter : http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image098.jpg

« Ce qui est courbe doit rester courbe » (Cité par Marcel Granet dans La pensée chinoise).

« Les Noirs blancs sont venus un jour avec des buffles de métal. Ils ont arraché des arbres en grand nombre et en quelques jours la terre se trouva écorchée. Sa chair rouge, celle que nos houes ne nous ont jamais révélée, fut exposée au grand jour, comme sur l’étal d’un boucher . Nous regardions cette terre et nous savions qu’elle souffrait. » Pierre Rabhi, Parole de terre.

Le leurre des messianiques n’est que plaisanterie, charlatanisme.

Faire semblant de s’intéresser à ses frères, c’est la frénésie qui dans le même élan, s’est emparée de tous les bien-pensants.

« En allant vers l’autre, en lui tendant la main, on va vers Dieu… »,

« Le meilleur de nous même vient de l'autre… »

« Le Moi prend dimension d'humanité quand il déserte son être et s'en va pour l'Autre. » Boris Cyrulnik.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image043.jpg Comment sait-il qui est vraiment l’« autre » ? Á l’évidence l’« autre » est aussi cupide, envieux, égoïste, fourbe et sournois que moi ; nous sommes de la même trempe et nous devons plutôt nous méfier des autres et de nous-même. Pourquoi un tel acharnement à ne pas voir la réalité, pourquoi de tels mensonges, alors que la haine, l’exploitation, l’hypocrisie ou l’indifférence sont partout et qu’on est tous, autant que nous sommes, fondamentalement complices de ce que nous sommes en train de faire du monde ? De par les siècles et les lieux, l’Autre fut prédateur, dominateur, esclavagiste. Ce prétendu homo sapiens n’a pourtant qu’une idée dans sa cervelle de singe : faire le beau devant les femelles. Son cortex est incapable de résister à son principal instinct de mâle.

« … Il faut s’attendre à ce que la seule morale qui survivra à l’effondrement de l’âme humaine soit celle du gain, de la convoitise et du pouvoir. Il est à craindre que ce ne soit pas l’éthique de la science qui triomphe, mais bien l’éthique du capital et de ceux qui le gèrent. Une éthique qui trompera l’homme… » Michel Fleury, L’atome et l’éternité.

L’intelligence de l’homme lui permet même de justifier l’injustifiable et l’innommable. Non pas il y a des siècles, mais aujourd’hui encore plus qu’hier. Nous verrons comme les responsables politiques et l’ensemble des médias ont dénigré les penseurs écologistes et leurs analyses globales, qui après guerre attiraient l’attention sur les dangers pour la planète, de la croissance économique. Au début du XXIe siècle, tous ces dangers se sont réalisés et chacun est bien obligé de tenir compte de l’écologie. Pourtant elle n’est encore acceptée par les industriels et les politiques qu’en tant que facteur de croissance. Et les médias sont unanimes à retransmettre leurs énormes mensonges, injures et quolibets quotidiennement déversés sur les « objecteurs de croissance ». Dans les grandes justifications humaines, foisonnent les mensonges et les fausses raisons. Comment celui qui ne cherche pas la vérité en lui-même pourrait-il la trouver à l’extérieur ?

Le seul Autre digne de considération, c’est celui qui a compris que toute chose, en bas comme en haut, est en interconnexion permanente avec le reste du monde, et que rien n’est isolé dans l’univers. Cet Autre, c’est aussi l’animal et tout ce qui vit : la rivière, la forêt et la montagne qui doivent nous inspirer le respect, parce que bien plus que la seule société des hommes, l’ensemble de tout ce qui est, même ce qui nous paraît inanimé, a une importance fondamentale sur Terre… et dans le Cosmos. Lucrèce déjà (vers 98-55 av. J.-C.) nous montrait dans De rerum natura que nous ne sommes que partie d’un tout et que le comprendre, c’est nous voir comme « choses de la nature ».

Richard Dawkins montre par de nombreux exemples que ce qui pourrait paraître pour de l’altruisme est en fait de l’égoïsme génétique. L’altruisme n’est qu’une façon de conforter le Moi. Et la croyance en notre Moi, en notre individualité propre, permet de faire passer la pilule de l'existence, alors que la course à l’immortalité de nos gènes est le principe premier.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image045.jpg « Nous sommes des machines destinées à assurer la survie des gènes, des robots programmés de façon aveugle pour transporter et préserver les molécules égoïstes appelées gènes ». Richard Dawkins, Le Gène égoïste.

Par la reproduction, le gène passe d'un organisme à l'autre de génération en génération. Il passe d'une « machine à survie » à l'autre, mais dans quel but ? Cette volonté des gènes de se transmettre pour perdurer est-elle comme le vouloir de Schopenhauer, aussi aveugle qu'illusoire ?

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image047.jpg De toute façon, les gènes se soucient peu du bien, du mal et de la souffrance subie par les êtres vivants qui croient lutter pour leur survie et celle de leur espèce. Alors que pour les gènes, c’est leur propre perpétuation qui leur importe.

En fait, depuis, les chercheurs généticiens ont découvert que les gènes n’ont pas l’importance qu’on leur a attribué, mais que leur « environnement » est primordial, d’où d’ailleurs, les difficultés rencontrées lors de manipulations génétiques sur les animaux. Parce qu’il faut tenir compte de l’auto-organisation de l’organisme. Et cette auto-organisation ne nous fait-elle pas penser à une sorte de conscience particulière ?

Tous ceux qui emploient à tort et à travers le mot altruisme, savent-ils seulement de quoi ils parlent ? Certes, pour le commun des mortels, il s’agit d’aider l’autre, ce qui relève donc le plus souvent de l’égoïsme génétique. Mais on emploie le même terme pour comparer l’altruisme ou le défaut d’altruisme d’un chrétien, d’un gnostique, d’un http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image048.gif bouddhiste ou d’un taoïste, et cela ne veut plus rien dire.

L’altruisme, pour un sage, c’est tout faire pour que celui que l’on aide, ne tombe pas dans la spirale infernale des désirs et des passions. Sa façon d’aider, c’est de montrer à l’autre la Voie, le chemin de la sagesse et de la maîtrise de soi, et ce n’est donc surtout pas de lui permettre de satisfaire tous ses désirs, puisque ce serait le seul moyen de l’écarter de la spiritualité. De même la religion catholique nomme « péché » ce qui déplait à Dieu le Père, et celui qui se laisse aller à ses mauvais penchants sera puni, il risque l’Enfer. Cela n’a rien à voir avec le bouddhiste ou le taoïste qui ne doit pas se laisser entraîner par ses passions, par l’envie, la colère et autre avarice parce que ce sont des obstacles à la réalisation de soi et que la Voie demande des efforts, par la nature des choses et non par peur d’un châtiment, d’une punition qui ne peut venir de nulle part, si ce n’est de soi-même.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image049.jpg Jean-Paul Sartre, après avoir lucidement découvert que « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », écrasé par sa solitude, fatigué de sa vaine quête de l’être, s’oublie lui-même en se plongeant dans la comédie sociale, en tant qu’ « être se voulant responsable de lui et de l’autre, sans qu’aucun des deux n’aliène la liberté de l’autre ».

Pourquoi devrions-nous être responsables de l'autre? Sommes-nous son père, sa mère ? Son père et sa mère l’ont abandonné, et c’est vers moi qu’il devrait se tourner ? Comment peut-il savoir quelle est la meilleure voie pour l’autre ? Notre savoir est-il si universel qu’il nous permette de conseiller ou d’aider l’autre ? Nous baignons la plupart du temps dans des connaissances qui nous ont été inculquées et que nous n’avons pas sollicitées.

Se noyer dans la foule n’a jamais effacé l’angoisse de la solitude de celui qui n’a pas pris conscience que les réponses à ses questions sont en lui-même. L’Être, c’est la vacuité du soi, c’est ce qui reste quand on a tout enlevé, ou du moins, lorsqu’on a mis au jour, tous les conditionnements sociaux et animaux, et en particulier, toutes nos croyances.

« Si nous n’avons pas de croyances [engendrées "par le désir insatiable de sécurité intérieure"] auxquelles notre pensée nous a identifiés, l’esprit n’étant identifié à rien est capable de se voir tel qu’il est, et c’est là que commence la connaissance de soi. » Krishnamurti, La première et la dernière liberté. P 78.

« Vous accumulez des objets uniquement pour voir dans les yeux des autres que vous êtes riches. Votre identité est faite de votre reflet, et les autres ne peuvent refléter que des choses, ils ne peuvent pas « vous » refléter. C’est pourquoi la méditation est nécessaire […] Votre identité dépend des autres. Ne vous épuisez pas avec les autres. Vivre continuellement avec les autres créera en vous une hypnose… La méditation est nécessaire pour vous dégager de l’autre, des yeux des autres, du miroir des autres. » Osho, L’évangile de Thomas.

Une façon de comprendre le proverbe « Charité bien ordonnée commence par soi-même », sous l’angle uniquement spirituel.

« Pouvez-vous vous désintéresser d’autrui pour vous rechercher vous-même ?

… Quiconque a la Vertu soulage son semblable, qui ne l’a point le charge en vain ». Lao-tseu (Ve siècle av J .-C.).

Le désir de reconnaissance sociale est en fait la névrose de ceux qui se fuient eux-mêmes.

Pour ne pas perdre sa nature, le taoïste ne s’attache pas aux coutumes. Le « soi » ne doit pas se laisser contaminer par « l’autrui ». Cité par Marcel Granet, La pensée chinoise.

Ou encore dans le bouddhisme :

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image053.jpg « "Chaque homme est son propre refuge", dit le Bouddha. Il exhortait ses disciples à être un "refuge pour eux-mêmes" et ne jamais chercher refuge ou aide auprès d’un "autre". Il enseignait, encourageait et stimulait chacun à travailler à son émancipation… Par la culture de l’Attention à l’égard du corps , des sensations, de l’esprit et des objets mentaux… » Walpola Rahula (1906-1998), L’enseignement du bouddha.

« Ceux qui sont pleins de désirs mondains ne peuvent rien pour la cause d’autrui ...» Milarépa (1040-1123), Les cent mille chants.

« Le Nibbâna doit être réalisé à l’intérieur de nous même […] Nous ne devons compter sur aucune force extérieure à nous, le bouddhisme est l’école de la totale responsabilité ». Jean-Pierre Schnetzler, La méditation bouddhique.

À la différence des religions du Livre, le bouddhisme n’admet pas l’existence d’une loi morale voulue par Dieu, et à laquelle l’homme doit obéir. L’homme est un être responsable et libre. S’il ne se livre pas à des excès, s’il respecte la vie et les autres, c’est pour ne pas s’enchaîner à des conditionnements et à un enchevêtrement de causes et d’effets qui feraient obstacle à sa « vision parfaite », et qui l’éloigneraient donc de l’Éveil.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image055.jpg « Que chacun pense donc à lui-même ; il est ridicule et insensé de se reposer sur les autres…

« Pour être capable d’aider les autres, il faut d’abord apprendre à s’aider soi-même. Un grand nombre de personnes, à l’idée d’apporter une aide aux autres, se laissent prendre par toutes sortes de pensées et de sentiments, simplement par paresse. Ils sont trop paresseux pour travailler sur eux-mêmes ; mais il leur est très agréable d’aider les autres. C’est être faux et hypocrite envers soi-même… » Piotr Demianovitch Ouspensky (1878-1947), Fragments d’un enseignement inconnu.

Plus près de nous, Daniel Accursi dans La pensée molle, a mis au jour le chantage levinassien :

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image056.jpg « En faisant de l’autre un créancier dont la créance est sans fin, Levinas invente l’économie de la torture…. Une machine qui ne cesse de tourner jusqu’à ma mort. Et si je refuse de payer, de me sacrifier pour autrui, je tombe dans la barbarie, nous prévient Levinas. Extraordinaire tour de passe-passe. Le débiteur qui en réalité n’en est pas un, doit tout à un créancier qui lui-même n’en est pas un ».

Le messianisme marxiste est également en bonne place parmi les sornettes que n’arrêtent pas de nous répéter les philosophes patentés de la pensée consensuelle.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image057.jpg « Il y a dans le marxisme, c’est très juif, une folle surestimation de l’homme. Il nous a fait croire que nous étions des êtres susceptibles de justice sociale. Une erreur terrible qui s’est payée par des dizaines de millions de morts… » George Steiner, Le Magazine littéraire, juin 2006.

« Les philosophes se bornent à interpréter le monde alors qu’il s’agit de le transformer ». Karl Marx.

« Le messianisme marxiste… conserve malgré son matérialisme, le motif religieux de son schéma de l'histoire. »

« La conscience moderne de l'histoire s'est certes débarrassée de la foi chrétienne… mais elle s'en tient à ses postulats et à ses conséquences. » Karl Löwith, Histoire et Salut.

Tous les stratagèmes, les pièges, les fraudes et les hypocrisies de cette pseudo-philosophie altruiste, sont évidemment aux antipodes de la recherche de la connaissance de soi, aussi bien gnostique que bouddhiste. Mais c'est surtout un leurre puisqu’en cherchant l'autre, c'est encore pour valoriser son ego, puisqu'on cherche toujours, même si c'est inconscient, à se situer au dessus de l'autre.

« La connaissance de soi est la découverte d’instant en instant, du mécanisme de l’ego, de ses intentions et de ses visées, de ses pensées et de ses appétits ».

« L’ego est un processus très complexe qui ne peut se découvrir que dans les rapports de relation, dans nos activités quotidiennes, notre façon de nous exprimer, de juger, de calculer, de condamner les autres et nous-mêmes. Tout cela est révélateur de l’état conditionné de notre pensée ».

Jiddu Krishnamurti, Le Livre de la Méditation et de la Vie. P 41-43.

C’est toujours et encore le même instinct de domination pour imposer son droit chemin, son secours et sa vérité. C’est en fait le refus de comprendre pourquoi l’autre pense ou vit différemment. C’est notre ego qui veut encore et toujours demeurer le maître de cérémonie, le grand organisateur.

Ces bonnes âmes toujours prêtes à voler au secours de l’humanité savent aussi très bien tolérer les petits et grands potentats qui sèment partout dans le monde violence, haine et désespoir et « les milliards qui se pavanent et rock’n’rollent de continent à continent ». Daniel Accursi, La pensée molle.

L’amour de l’humanité, le masque de la tromperie, une supercherie qui cache de juteux business.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image058.jpg Cette pléthore de philosophes souriants, rassurants, n’ont à la bouche et sous leur plume, que les mots humanité, citoyenneté, solidarité, des valeurs disparues dans le maelström de la dictature mondiale de la Marchandise. D'ailleurs, ces valeurs, ont-elles un jour vraiment appartenu à l’homo opprimens?

Ces prophètes de l'illusion font penser aux héros de Samuel Becket dans En attendant Godot, qui, comme l'explique magistralement Günther Anders (1902-1992) dans L'obsolescence de l'homme, sont incapables de perdre l'espoir parce que ce sont des ignorants ou des idéologues naïfs et désespérément optimistes. C'est de leur inaptitude à être nihilistes, même dans la situation la plus désespérée, que les personnages tirent leur force comique.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image059.jpg « Il n'y a rien de plus drôle que la crédulité absolue quand elle est absolument injustifiée. » Günther Anders.

L’espoir est une tromperie qui engendre la déception, donc le désespoir.

L’espoir est une bouée de sauvetage totalement virtuelle, qui permet aux faux prophètes de la béatitude, de croire qu’ils pourront échapper à leur condition d’animaux dénaturés. Le Diable se nourrit de nos espoirs, il nous flatte en nous parlant de notre libre-arbitre, après nous avoir conditionné comme des chiens de Pavlov.

« L’espoir est une grande erreur magnifique. » Georges Steiner.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image060.jpg D'autres s'inquiètent hypocritement de la déshumanisation du monde. Mais quand a-t-il été humanisé ? Sous les croisades, sous l'Inquisition, sous la Terreur, sous la colonisation, sous l’occupation nazie, sous la nouvelle tyrannie de la marchandise et des flibustiers de la Finance mondiale ?

Encore un leurre, une hallucination, une vessie prise pour une lanterne.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image061.jpg Selon le philosophe Alain, la civilisation serait une mince pellicule lentement formée au long des siècles, un choc suffit à la déchirer, et la barbarie surgit à travers la déchirure. Quel manque de clairvoyance, alors que l’Histoire nous montre que toutes les civilisations depuis la fin de l’ère de la déesse Mère, se sont bâties sur la barbarie ! Les hommes ont inventé l'humanisme, pour se cacher à eux-mêmes que leur espèce était la plus innommable parmi le règne vivant.

L’humanisme, une hypocrisie, pour oublier la responsabilité de l’homme dans l’avènement des enfers qu’il a créés, et de ceux qu’il prépare à ses enfants, par le cynisme des uns et la naïve complicité des autres.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image062.jpg N’est-ce pas par humanisme, que les Occidentaux ont apporté la violence et la guerre dans les coins les plus reculés du monde, sous prétexte de civiliser des peuples qui ne leur demandaient rien ?

« Il n’y a d’autre enfer pour l’homme que la bêtise ou la méchanceté de ses semblables. » Sade, La philosophie dans le boudoir.

On se débarrasse de nos ferrailles amiantées en Chine, de nos ordinateurs hors d’usage en Inde, de nos déchets toxiques en Afrique… On nous montre la misère, mais jamais les causes de la misère, dans lesquelles nous sommes toujours impliqués, puisque notre confort de petits bourgeois en dépend.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image063.jpg Ces soi-disant penseurs cherchent par les moyens les plus sournois à faire oublier, que « la seule issue pour un philosophe consiste à être la mauvaise conscience de son temps… sa tâche est l’irrespect, l’effronterie, l’impertinence… » Michel Onfray, Politique du rebelle.

Ne pas confondre, surtout, cette impertinence dont parle le philosophe, avec celle que la télévision étale sous nos yeux hypnotisés : l’irrespect et l’impertinence du dérisoire, du pipi-caca des enfants de maternelle, pour occuper ces attardés mentaux que sont les téléspectateurs endoctrinés, et surtout pour les habituer à vivre dans un monde sans aucune valeur, sans aucun sens de leurs responsabilités, dans le seul but de pouvoir vendre tout et n’importe quoi, pour le seul profit de la Finance mondiale, entité absurde qui n’a d’autre légitimité qu’elle-même.

« … L’organisation industrielle, comme la "post-industrielle", comme la société technicienne ou informatisée, ne sont pas des systèmes destinés à produire ni des biens de consommation, ni du bien-être, ni une amélioration de la vie des gens , mais uniquement à produire du profit. Exclusivement. Tout le reste est prétexte, moyen et justification. » Jacques Ellul, Le bluff technologique (1988 !).

« Il est angoissant de voir des techniques hyper-puissantes utilisables sans contrôle par des entreprises n’ayant d’autre loi que le profit, des seigneurs de la guerre ne rêvant que de leur domination, des bureaucrates ne recherchant que l’efficacité oppressive, dans un monde sans âme, sans cohérence et sans projet. » Serge Latouche, La Mégamachine.

Et en effet, le problème n’est pas dans la guerre, mais dans l’homme. Et en particulier dans l’homme en tant que mâle. Les idéologues messianiques croient encore que des hommes peuvent sauver le monde. Dix mille ans d'Histoire ne les ont pas suffisamment éclairés. Ils sont emprisonnés irrémédiablement dans ce qu'Épicure comme Diogène le Cynique n'ont cessé de débusquer : les contraintes et les conditionnements sociaux.

« Quels sont les barreaux de ta cage ? Essaie de les repérer puis de les analyser avant de les briser et de prendre ton essor ! » Jacques de Coulon.

Comment le plus grand nombre pourrait-il repérer la vérité dans un univers de conditionnements ? L’histoire montre que la majorité ne suit jamais la justice, qu’elle est versatile et lâche. La foule sauve Barrabas et non Jésus. Rien ne semble avoir changé en deux millénaires.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image066.jpg « Rien ne m’est plus contraire que la majorité: car elle se compose d’un petit nombre de meneurs énergiques, de coquins qui s’accommodent, de faibles qui s’assimilent et de la masse qui suit cahin-caha, sans savoir le moins du monde ce qu’elle veut… Quel est le meilleur gouvernement ? Celui qui nous enseigne à nous gouverner nous-mêmes ». J. W. Goethe (1749-1832).

C’est tellement plus facile de mentir, alors que la vérité demande efforts et prise de risques. Toute relation sociale ne peut être basée que sur l'hypocrisie, comme tout homme qui n’accepte pas la totalité de son Être, est obligé de mentir.

« Dès l'aurore, dis-toi d'avance : aujourd'hui je rencontrerai un indiscret, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. » Marc Aurèle (121-180), Soliloques.

La vérité fait peur aux hommes, elle les angoisse. Ils préfèrent se voiler la face, plutôt que de prendre conscience des contradictions du conditionnement social.

« Je savais que le monde avait toujours été et serait toujours tel qu’il était à présent. Ce que les moralistes appelaient le mal était en réalité l’ordre des choses. » Isaac Bashevis Singer (1904-1991), Shosca.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image067.jpg « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,

N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal.

Le Mal est le point central de la nature de l'homme, parce qu’il est le moteur de la vie. Il n’y a pas de vie sans destruction de la vie. C’est ainsi, et l’homme a inventé la morale afin de refuser cette réalité qu’il ne veut pas voir.

Et ainsi par son ignorance il reste esclave de ses attachements, de ses aversions et de ses passions (le Bouddha).

À noter que ce qu’on appelle par simplification « nature de l’homme » est le résultat certes de ses instincts animaux, mais surtout de ses conditionnements sociaux, qui, si profonds, sont en effet, devenus une « seconde nature », pourtant très diverse selon les époques et les lieux.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image068.jpg Qu’une religion soit basée sur l’amour (Jésus) ou sur la guerre sainte, le jihad (Muhammad), le résultat est le même : l’asservissement, l’abus de pouvoir, le meurtre. Certains affirment que l’homme est libre de faire le bien ou le mal ; c’est un leurre, tout ce qui est matière est fait de bien ET de mal. C’est-à-dire qu’il n’y a ni bien ni mal, tout dépend de notre attitude. C’est l’attachement à la matière qui est contre nature (donc adultère, dans l’Évangile de Marie-Madeleine). Or le judéo-christianisme veut faire croire que le mal peut se changer en bien. Et dans ce but totalement utopique, la fin justifiera les moyens : la guerre, la révolution ou le terrorisme pour des lendemains qui chantent. Et c’est ainsi que le mal va gagner sur le bien, et rompre l’équilibre, l’harmonie de la nature.

C’est pourquoi l'être humain n’a aucune excuse pour ses crimes, ses violences, ses mauvaises fois sans cesse répétés au cours des siècles.

Le messianisme est un espoir, un vœu pieu, une superstition, un idéalisme, alors que l'Épicurisme est un art de vivre.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image021.jpg L'Épicurisme a été, et est encore, combattu par les soi-disant philosophes messianiques judéo-chrétiens parce qu'il ne se soucie pas du social. Ses recettes ne concernent que l'individu qui au contraire doit s'affranchir des contraintes sociales, politiques, religieuses.

La pensée unique

Il est très difficile à un être humain de se libérer des conditionnements sociaux. Cela nécessite une attention, une concentration, une vigilance, un qui-vive, de tous les instants ; c’est un mode de vie et une vision du monde.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image069.jpg Il faut savoir qu’un groupe d’individus peut faire croire n’importe quoi, même l’impossible à tous ceux qui n’ont pas le réflexe de systématiquement tout remettre en question. Il y a plus de cinquante ans déjà, le professeur Salomon Asch (Université de Pittsburgh, USA) fit l’expérience suivante : il demanda à des étudiants de classer par taille, des traits sur une feuille de papier ; un exercice d’une grande facilité. Mais par fausse distraction, il leur faisait connaître les réponses (qui en fait étaient erronées). Les trois quarts des étudiants se laissaient influencer et donnaient des réponses pourtant évidemment fausses. Notre réalité est modifiée par l’opinion des autres. Quant au professeur Greg Berns (Université d’Atlanta), il a étudié une personne prenant une décision contre l’avis d’un groupe : son imagerie cérébrale révélait une grande peur.

L’intelligence de l’homme est un mythe créé par lui-même pour se persuader qu’il est supérieur à l’animal. Ce mythe représente le premier de ses conditionnements sociaux, le cadre étroit de sa pensée unique.

Qu’est-ce que la pensée unique ?

D’abord, c’est une pensée simpliste, accessible à tous.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image071.jpg « Une grande partie des hommes, pendant tout le cours de la vie, ne s’élèvent pas jusqu’à la pensée proprement dite, jusqu’à la vraie pensée, et demeurent dans la sphère de l’opinion. » Fichte Johann Gottlieb (1762-1814), L’initiation à la vie bienheureuse.

La pensée unique doit être correcte, molle, consensuelle, bienveillante parfois jusqu’à la viscosité.

Elle est le plus souvent moralisante, au besoin larmoyante mais pourtant toujours dominante.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image073.jpg « L’habitude de penser en formules est à peu près universelle… Car notre système d’éducation est basé sur l’enseignement de ce qu’il "faut" penser et non de "comment" penser .» Aldous Huxley (préface à La première et dernière liberté de Krishnamurti).

La Loi soumet chaque jour davantage la liberté d’expression au politiquement correct.

Le politiquement correct est l’expression de la lâcheté consensuelle au service de groupes de pression dont les intérêts sont évidemment contradictoires. Pour les satisfaire, les politiques ne peuvent être qu’incohérentes et destructrices de la cohésion sociale. C’est malheureusement l’avatar de la démocratie qui prend le relais : la "démagocratie": la « démagocratie », en fait ce que Jean-Jacques Rousseau définit comme l'ochlocratie, la dégénérescence de la démocratie. http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image074.jpg En politique, les extrêmes sont capables du pire, et, entre les deux, l'on est capable de rien, puisque ce sont alors les groupes de pression qui mènent la barque. Ils tirent chacun de leur côté, à hue et à dia. C’est pourquoi la barque finit par chavirer ou par s’écraser sur le premier écueil.

Des groupes de pression dont les moyens financiers de plus en plus importants transforment la « démagocratie » en « corruptocratie ». Autant dire qu’il n’y a plus de démocratie, l’opposition, les syndicats et les journalistes bénéficiant de prébendes et d’avantages divers.

De toute façon la démocratie est une gageure dans un monde devenu bien trop complexe, et totalement reformaté par un enchevêtrement de techniques de plus en plus sophistiquées, au service d’une globalisation qui noie tout problème dans un maelström indescriptible. Les électeurs sont donc obligés de faire confiance à une nouvelle caste, celle des experts et autres soi-disant spécialistes, intouchables et pourtant toujours humains, donc corruptibles, et capables d’erreurs ou de mensonges, aux très lourdes de conséquences.

Le consensus de pensée est impossible dans un pays démocratique. Parce que certains, par intérêt, par opportunisme, acceptent sans aucun état d’âme de faire preuve de mauvaise foi. D’autres sont si endoctrinés par leur famille de pensée, religieuse, politique, clanique ou ethnique, qu’ils ne peuvent examiner avec une réelle objectivité les autres façons de voir le monde. La plupart, par paresse intellectuelle, parce qu’il est ardu de rechercher la vérité, s’en remettent en toute insouciance à l’avis du dernier qui a parlé ou au journal télévisé.

Il semble d’ailleurs impossible de trouver deux personnes totalement d’accord sur une question quelle qu’elle soit. Lorsque l’on est en présence d’ententes, c’est toujours après un certain nombre de compromis.

C’est pourquoi le sage ne parle pas, et n’enseigne que par l’exemple.

Les problèmes de l’heure sont pour la plupart planétaires, mais l’idée d’un gouvernement mondial démocratique est malheureusement une utopie. Nous n’avons donc aucune illusion à nous faire. Il faudrait dix ou cent générations pour y arriver. Depuis que le raisonnement à été donné à l’homme (par qui ?), il ne sert, en fait, qu’à justifier la plupart de ses actes foncièrement exécrables. Et il semble donc que ses prédations ne finiront qu’avec lui.

« Ne pas perdre de vue que les opprimés sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs… » Cioran, Précis de décomposition.

« L’homme [le mâle !] a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction que nous portons dans nos gènes… La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté… » Patrick Declerck, Garantie sans moraline.

L’autre pensée est donc incorrecte parce qu’elle n’a d’autre source que le mal-être, l’incompréhension du monde ; elle est donc questionnement , provocation, révolte, rébellion.

Elle ne peut donc s’exprimer que de manière sauvage, insolente, polémique ou festive.

Mais pour mériter réellement le terme de pensée, il lui faut encore être totalement indépendante. C’est une pensée qui a su s’abstraire des multiples conditionnements sociaux et en particulier des idées reçues, des lieux communs et des préjugés.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image076.jpg «« Le point de départ d’une pensée vraie est dans la connaissance de soi… Si vous n’êtes pas conscients de tout ce qui fait votre conditionnement, il vous est impossible de penser avec vérité sur quoi que ce soit…

« Pour voir comment fonctionne notre pensée, il nous faut être extraordinairement sur le qui-vive, devenir de plus en plus conscient des complexités de notre pensée, de nos réactions et de nos émotions…

« Une croyance religieuse ou politique nous interdit de nous connaître. Elle agit comme un écran à travers lequel nous nous regardons »

[…] Mon problème n’est pas de savoir si je dois croire ou non, mais de me libérer de mon désir de sécurité psychologique. […] Ces questions ne sont encore que des expressions de cette même soif intérieure de certitude, quelle qu’elle soit, lorsque tout est si incertain dans le monde. » Krishnamurti, La première et dernière liberté. P 80

Pour Spinoza (1632-1677) comme pour Schopenhauer (1788-1860), nous pensons bien connaître le réel alors que notre mental ne fait que nous donner une représentation du monde. Ils pensent donc que nous ne pouvons pas connaître les choses comme elles sont réellement, mais seulement comme elles nous apparaissent et que, par conséquent, nous connaître nous-mêmes est un travail de tous les instants.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image077.jpg La seule chose qui importe est de chercher à être de plus en plus conscient, de plus en plus vigilant, or la connaissance de soi ne s'acquiert que par l'observation personnelle et non par l’érudition. L’objectif des hommes de culture, c’est de distraire leurs semblables. Distraire au sens latin, c’est à dire, de les arracher à eux-mêmes ; de leur faire prendre des vessies pour des lanternes, de les faire s’identifier à des héros de théâtre, de roman, aujourd’hui de cinéma et de télévision, pour les empêcher de réfléchir sur leur condition. Divertir c’est aussi faire diversion, parce qu’il y a beaucoup à cacher.

La culture transporte et diffuse les idées reçues et les opinions du plus grand nombre, manœuvrées par les pouvoirs en place.

« Alors que nous ne savons même pas comment il se fait que nous soyons conscients et intelligents, il paraît bien imprudent de prétendre savoir quel rôle revient à l’intelligence consciente et, plus encore, de la croire à même de gouverner le monde ». Alan Watts, Amour et connaissance.

« Elle [la culture] empêche de créer, paralyse. Elle est processionnaire, elle est prosternation… » Daniel Accursi, La pensée molle.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image078.jpg Dans une de ses lettres Épicure écrit : « Fuis toute culture », afin d'accéder à l'autodidaxie. Parce que la démarche philosophique consiste d'abord à revenir aux évidences. La connaissance authentique et l'éducation véritable de soi, procèdent de l'observation de la nature et non de la tradition, de l'étude de la rhétorique et des activités politiques. C’est ainsi que le Maître du « Jardin » découvre l’infinité de l’univers et la pluralité des mondes.

 

« Oui, il existe d’autres terres, en d’autres endroits de l’espace, d’autres races humaines, d’autres espèces animales et sauvages » Lucrèce, De natura rerum.

 

Pour avoir proclamé la même chose, plus de quinze siècles plus tard, Giordano Bruno fut brûlé par l’Église.

Il imagine la création des corps par la combinaison du hasard (de la probabilité) et de la nécessité, tout ce que l’obscurantisme monothéiste niera.

Pourtant la physique quantique révèle aujourd’hui que l’instabilité, le désordre, permet aux particules de ricocher les unes sur les autres et de réussir ainsi à se trouver pour s’assembler.

Les taoïstes Lao-tseu (Ve siècle av J.-C.) auteur du « Tao te king » et Zhuangzi (environ 350 av. J.-C.) auteur du « Tchouang-tseu », disaient que la connaissance étant infinie, c’est une perte de temps que d’essayer d’en acquérir une partie, évidemment infime, qui nous amènerait donc à nous leurrer sur le monde.

Il s’agit là bien sûr de la connaissance donnée par l’érudition et non de la Connaissance intuitive des choses dont parle la gnose.

 

« Ma vie a un terme, or la connaissance n’en a pas : avec ce qui a un terme, poursuivre ce qui n’en a pas, c’est dangereux [épuisant] ; et, quand c’est dangereux [épuisant], vouloir encore et toujours mettre en œuvre la connaissance, c’est encore et toujours épuisant ». Tchouang-tseu, cité par François Jullien dans Nourrir sa vie.

 

François Julien montre que la pensée taoïste et celle d’Aristote se situent aux antipodes. Aristote et les Occidentaux ne s’intéressent jamais à nourrir leur vie, à nourrir leur nature, à préserver leur vitalité, mais plutôt à l’activité intellectuelle, au logos. Le corps est abandonné au profit des savoirs.

Cela sera lourd de conséquences quant à l’attitude de l’Occidental face à la nature.

Nous devons en effet rester constamment vigilant face à la connaissance humaine imparfaite, si parcellarisée, sans unité, qui permet toutes les falsifications et déformations au service des idéologies religieuses, politiques et sociales.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image030.jpg Diogène le Cynique (413-323 av. J.-C.) se moquait également de la culture, parce que pour lui, la philosophie devait d’abord être vécue, accessible à tous, elle passait par une prise de conscience de soi, indépendante des réactions du monde extérieur sur les sens. Pour Diogène la philosophie ne passe pas par une accumulation de connaissances. On voit clairement que la philosophie antique, à la différence de la prétendue philosophie de la plupart des penseurs contemporains fut une façon de vivre plutôt que des constructions de systèmes.

« Ce qui force le respect, c'est que Diogène vit comme il le pense. Il ne fait pas semblant. En voilà un qui met en accord ses gestes et ses phrases. Un philosophe en acte, pas un discoureur. Encore moins un bel esprit faisant à chaque instant le contraire de ce qu'il dit. » Roger-Pol Droit.

Peter Sloterdijk dans Critique de la raison cynique, relève que dans le kunisme antique, c’est par la pratique d’une meilleure vie qu’on apprend quelque chose de raisonnable et non l’inverse, et que la socialisation par la formation est « un abêtissement a priori, après lequel il est à peine imaginable qu’un apprentissage offre encore une chance que les choses s’améliorent un jour ».

À noter que Peter Sloterdijk emploie le terme de kunisme pour parler du cynisme philosophique de Diogène de Sinope, qui est une façon de voir la réalité telle qu’elle est, afin de le différencier du cynisme vulgaire d’aujourd’hui, qui caractérise celui qui profite de la faiblesse d’autrui, ce qui est aux antipodes du cynisme antique.

Selon "Le Robert", cynique vient du mot latin cyniscus et du mot grec kunikos, qui signifient «qui concerne le chien». Kuôn, kunos, signifiant «chien», était l'injure adressée à une femme considérée comme effrontée et sans principe.

D'ailleurs les cyniques vivaient comme des chiens pour provoquer. Par leur impudeur et leur impudence, ils cherchaient à renverser les fausses valeurs sociales et les préjugés. D’autre part, le cynique abhorre le travail et passe son temps à observer le monde et surtout les hommes, comme le chien observe son maître et finit par le connaître bien mieux qu’il ne se connaît lui-même. Le chien peut prévoir les moindres réactions de son maître, à force d’observer ses habitudes. De même le philosophe cynique provoque ses contemporains et prévoit leurs réactions conditionnées, leurs arguments fallacieux, leurs attachements dérisoires, leurs nombreuses faiblesses, leur prétention et leur égotisme démesuré.

L’homme devrait s’observer aussi bien que son chien l’observe.

La philosophie cynique comme le bouddhisme révèle que les malheurs des hommes viennent de ses attachements.

Devant jeûner parce que n’ayant reçu aucune aumône ce jour là, le Bouddha dit dans le Dhammapada :

« Heureux vivons nous, nous qui n’avons pas d’attachements mondains… »

De même quelqu’un s’étonnant que Diogène tende la main devant une statue, celui-ci répondit qu’il s’exerçait à l’insuccès.

« Le comportement cynique [de Diogène] rend inutile la logique marchande, met à mal le commerce et invite à limiter la circulation des richesses, donc l’enrichissement des riches. » Michel Onfray, Cynismes.

Pour Diogène, il n’existe qu’une loi, celle de la nature ; si elle est dure et nécessite une grande maîtrise de soi, elle n’est ni artificielle ni imposée par les « autres ». Il s’agit donc de ne pas dépendre des conventions et du regard d’autrui.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image080.gif Les cyniques furent les précurseurs des stoïciens (Zénon, Sénèque, Épictète, Marc Aurèle). Rappelons que le stoïcien doit avoir le courage de changer ce qu’il peut changer, d’avoir la sérénité d’accepter ce qu’il ne peut pas changer, et la sagesse de savoir faire la différence entre les deux. Pourquoi résister, alors que l’on sait que l’on est impuissant à changer les choses. C’est encore l’ego démesuré qui veut croire à sa toute-puissance, au détriment de la vitalité, de la santé du corps et du mental. Il faut savoir lâcher prise pour s’épargner la souffrance.

« La santé par-dessus tout l’emporte tellement sur les biens extérieurs qu’en vérité un mendiant bien portant est plus heureux qu’un roi malade ». Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie.

Quotidiennement, nous épuisons nos forces à lutter contre un enchaînement d’évènements mineurs, alors que c’est notre manque de conscience d’être qui en grossit l’importance. La connaissance de soi apporte la confiance en soi et permet de se sentir suffisamment fort pour ne pas craindre de se laisser emporter par le courant. Accepter les choses telles qu’elles sont, mais également accepter les autres tels qu’ils sont.

 

« La connaissance de soi n’a pas de limite ; elle ne mène pas à un accomplissement, à une conclusion. C’est un fleuve sans fin. Plus on y plonge, plus grande est la paix que l’on y trouve. Ce n’est que lorsque l’esprit est tranquille grâce à la connaissance de soi (et non par l’imposition d’une discipline) qu’en cette tranquillité, la réalité surgit. Alors seulement est la félicité, l’action créatrice ». Krishnamurti, La première et la dernière liberté. P 54.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image079.jpg Vouloir convaincre l’autre avec véhémence, c’est encore faire la part belle à son ego, vouloir le mettre en valeur. C’est pour le mâle, vouloir montrer un substitut démesuré de son sexe. C’est pourquoi tout discours est faussé au départ ; celui qui parle ne peut se disculper d’être, dans une certaine mesure, un charlatan… même votre serviteur !

Quelle prétention de l’ego, de croire qu’on va changer l’autre, alors que c’est son histoire, dont nous ne savons rien, qui l’a construit tel qu’il est ! Seule l’expérience de la vie et le travail sur lui-même, pourront transformer l’« autre ».

La conscience de soi est rendue difficile par notre habitude de toujours juger, de condamner, d’avoir une opinion sur tout.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image081.jpg Ne jamais juger ni les évènements ni les êtres. La Vérité est comme un immense puzzle, et quoi que nous fassions, malgré tout notre savoir, nous ne disposons que de quelques pièces. Dès que nous avons réussi à en assembler quelques-unes, nous croyons y voir clair, nous nous empressons d’y coller une étiquette alors que nous ne percevons qu’une infime partie de la fresque.

« Ainsi qui sait s’arrêter là où tout homme ne peut plus connaître atteint la connaissance suprême… » Lao-tseu.

Par facilité et manque de rigueur nous nous complaisons dans nos vues fragmentaires. Pour être libéré des reflets incessants, soyons comme le « parfait miroir » des anciens maîtres taoïstes, qui voit tout, mais ne prend rien, ne choisit rien, ne condamne rien.

« Les anciens disaient que l’esprit est originellement vide, grâce à quoi il peut répondre (par résonance), sans préjugés, aux choses de la nature. Seul l’esprit vide peut répondre à la nature. […] Toutes choses, belles ou laides, sont reflétées à la perfection dans un miroir. Mais sans jamais refuser de rien montrer, le miroir ne retient rien. » Chi Shan Chi, cité par Alan Watts dans Amour et connaissance.

L'action d'un être est le résultat d'une des multiples équations de sa vie qui comporte des millions de paramètres, en interaction constante. Même s'il croit être libre, il a été en fait conditionné à agir de la sorte. Si nous connaissions tous ces paramètres qui le déterminent, nous n'aurions plus rien à dire.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image082.jpg Les idéologies ne partent pas de l’observation de la nature mais de l’idée de Providence. Toute idéologie est optimiste puisqu’elle croit pouvoir refaire le monde. Elle se trompe donc, et elle trompe les hommes en les embarquant dans une conquête contre-nature, et qui les engloutira pour n’avoir pas respecté la vie sur cette terre. Cette terre, qui d’ailleurs, ne leur appartient nullement.

« Les guerres idéologiques tendent à la destruction mutuelle car les principes ou les idéologies opposées sont inconciliables. Les guerres de conquête, en revanche, sont beaucoup moins destructrices car l’agresseur s’efforce toujours de ne pas anéantir ce qu’il veut s’approprier. » Alan Watts, Le bouddhisme zen.

« … L’optimiste se trouve toujours contraint d’aller chercher hors du réel ou hors du présent ses infâmes "raisons" d’espérer : Dieu, Avenir, Au-Delà, Progrès… » Théophile de Giraud, Manifeste anti-nataliste.

Les réflexions sur le monde, jusqu’à la dernière décennie du XX e siècle, sont obsolètes. Le destin de l’humanité n’a plus rien à voir avec ce que l’homme a pu imaginer ; les écrivains de science fiction, éloignés par essence du sérail des messianistes obnubilés par leur foi en la divine providence, furent de meilleurs prévisionnistes que les savants et les philosophes toujours persuadés qu’ils furent, de la suprématie incontestée de l’être humain.

Est pessimiste celui qui est dans le doute, dans l’insécurité, parce qu’il n’a pas de croyance religieuse ou politique. En revanche, est optimiste l’idéologue, celui qui a trouvé un sens à sa vie, grâce à une croyance, à des certitudes, et qui pense donc être en sécurité. Le problème avec l’optimiste, c’est que s’il a trouvé un sens à sa vie, il croit fermement qu’il s’agit du sens de la vie, et il veut donc l’imposer aux autres.

En fait le mot pessimisme a été inventé, non par ceux qui sont lucides sur le monde et le voient tel qu’il est, sans les fioritures et les enluminures de la foi, mais par les messianistes de tous bords. La prise de conscience par les bouddhistes, de l’impermanence de toutes choses (mot refoulé des dictionnaires occidentaux), est pessimiste pour ceux qui ne peuvent s’abstraire du judéo-christianisme, même pour les agnostiques, tant ils sont soumis à leurs attachements si éphémères. Ils veulent tant perdurer, dans l’au-delà, ou par leurs enfants, par leurs œuvres les plus monumentales possibles, par leur nom, par leurs traces laissées dans l’histoire. Aujourd’hui, le summum de la joie, c’est de « passer à la télé », d’être vu par des millions de gens, qu’importe qu’on n’ait rien à y dire. Quel chemin, en effet, depuis les sages de l’Antiquité ! Notons que Pierre Hadot, interprète beaucoup plus justement que ses prédécesseurs, la formule d’Héraclite « La nature aime à se cacher », comme « Ce qui apparaît tend à disparaître », c'est-à-dire qu’il existe une forme d’identité entre vie et mort.

« Parle si tu as des mots plus forts que le silence. » Euripide (480-406).

Seule la libre pensée caractérise l’honnête homme.

Mais toute libre pensée engendre des controverses, il s’agit donc au préalable de prendre conscience de la relativité générale de la signification des mots employés. Le sens des mots, vient de leur usage, et il peut varier même au sein d’un même groupe culturel.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image084.jpg « …Qu’est-ce au juste, que la "même langue" pour deux êtres humains ? Le décodage est une démarche si conventionnelle et rapide que c’est à peine si on la remarque. Il est, au sens propre, quasi mécanique. Mais cela n’enlève rien à sa complexité inhérente ni à sa susceptibilité à l’erreur… Jamais deux individus de sexe, d’âge, et d’origine identiques ou de sensibilité comparable n’entendent exactement la même chose par le même mot. »

George Steiner, De la traduction comme « condition humaine » (texte inédit paru dans le Magazine littéraire, juin 2006).

Malheureusement personne n’a de temps à perdre avec une telle mise au point.

Il y a tellement de choses plus intéressantes à chercher que ce qui se cache derrière les mots. Le dernier petit ami de telle chanteuse, les pronostics du prochain tiercé ou les chances de notre équipe nationale lors de la prochaine Coupe du Monde méritent, en revanche, d’être communiqués à tout un chacun et de toute urgence.

Pourtant, à un certain niveau de réflexion, on ne peut se comprendre en utilisant le langage sans précaution.

« Il faut apprendre un langage spécial parce que dans la langue ordinaire, il est impossible de se comprendre… »

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image085.jpg « Chaque mot peut avoir des milliers de significations différentes selon le bagage dont dispose celui qui parle et le complexe d’associations en jeu au moment même… »

« Chaque idée est une équation dont nous ne pouvons connaître l’ensemble des paramètres… »

« On doit aussi apprendre à dire la vérité… les gens pensent dire la vérité mais ils mentent continuellement. Ils se mentent à eux-mêmes et mentent aux autres. Personne ne se comprend soi-même ni ne comprend les autres… » P.D. Ouspensky, Fragments…

« On croit les choses parce qu’on a été conditionné à les croire. » Aldous Huxley (1894-1963), Le meilleur des mondes.

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Blaise Pascal (1623-1662), Pensées.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image086.jpg Les mots n’existent que pour que les membres de la société sachent ce que celle-ci attend d’eux. En l’absence de l’instinct collectif, qui a sans doute été perdu au cours des âges, le langage permet au sujets sociaux de se comprendre afin qu’ils œuvrent à la bonne marche de la société. Le langage permet d’imposer à tous, la norme ( nul n’est censé ignorer la loi ), c’est le liant social, l’instrument du conformisme social.

Le premier mot que le docteur Moreau apprend à ses créatures si monstrueuses et qui pourtant nous ressemblent tant, c’est «Il faut respecter la loi » (L’Île du Docteur Moreau, H.G. Wells).

C’est qu’en effet le langage est destiné aux esclaves.

Qu’ils soient riches ou pauvres n’est pas la question.

« Et le Verbe s’est fait chair », pour donner des ordres :

« tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » ! (Genèse 3, 9).

Les mots ne sont pas faits pour aider l’homme à trouver les réponses aux questions qu’il se pose sur l’existence et sur l’absurdité de sa condition.

De même l’écriture a été inventée pour tenir la comptabilité des paysans et des commerçants. Puis elle a servi à fixer des règles (code d’Hammourabi). En fait pour le dieu Amon, l’écriture est maléfique.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image087.jpg « Elle produira l'oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l'écriture, c'est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d'eux-mêmes qu'ils chercheront à susciter leurs souvenirs; tu as trouvé le moyen, non pas de retenir mais de renouveler le souvenir, et ce que tu [Thot (Hermès Trismégiste)] vas procurer à tes disciples, c'est la présomption qu'ils ont la science, non la science elle-même ; car, quand ils auront beaucoup lu sans apprendre, ils se croiront très savants, et ils ne seront le plus souvent que des ignorants de commerce incommode, parce qu'ils se croiront savants sans l'être ». Texte tiré du Phèdre de Platon.

Et en effet, lorsque les religions se sont emparées de l’écriture, elles ne l’ont plus lâchée, tant elle facilitait l’endoctrinement. Pendant des siècles, les seuls ouvrages imprimés ne furent-ils pas religieux ou écrits à la gloire des tyrans ? Et aujourd’hui l’écrit a été supplanté par la télévision. Et celle-ci est détenue par les puissances de l’argent, par Mammon et ses experts en conditionnement !

Pour les taoïstes également les mots sont incapables de transmettre la Vérité, qui en fait, est au plus profond de nous même, et intransmissible :

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image089.jpg « Le tao que tout le monde apprécie est dans les livres. Le livre n’est composé que de mots. Ce qu’il y a de précieux dans le mot, c’est l’idée. Mais l’idée relève de quelque chose qui est ineffable. Le monde apprécie les mots et les transmet par les livres. Bien que tout le monde estime les livres, je les trouve indigne d’estime, car ce qu’on y estime ne m’apparaît pas estimable. De même que ce qui peut être vu, ce sont les formes et les couleurs, ce qui peut être entendu ce sont les noms et les phonèmes. Hélas ! tout le monde considère que les formes et les couleurs, les noms et les phonèmes représentent la réalité des choses et cela n’est pas vrai. C’est en ce sens que "qui sait ne parle pas, qui parle ne sait pas". Mais comment le monde s’en rendrait-il compte ? » Tchouang-tseu.

Ainsi tout dialogue philosophique est une gageure, les mots n'ont pas été conçus pour chercher un sens à l'existence.

Qu’est-ce que chacun met derrière « âme, esprit, conscience, foi, égalité, liberté, solidarité, culture, bonheur », sans parler de « Dieu » ou des mots savants qui ne préoccupent que quelques cercles ? Des fictions humaines !

« Vous ne faites que cacher votre confusion au moyen de l’autorité que vous accordez à des mots » Krishnamurti, La première et la dernière liberté.

Comment les mots pourraient-ils exprimer la réalité de l’univers que nous ne pouvons même pas imaginer ?

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image090.jpg Qu’est-ce que les lois universelles de la nature, fondements de la métaphysique des mœurs selon Emmanuel Kant ?

«Agis comme si la maxime de ton action pouvait être érigée en loi universelle de la nature …»

 

Si Kant, au lieu de faire sa promenade quotidienne dans les rues de Königsberg, l’avait faite dans la jungle indienne, face à un tigre appliquant à la lettre le loi universelle de la nature, qu’aurait-il fait ? Lui ou ses gardes du corps auraient tué le tigre, afin qu’ils ne les inscrivent pas à son menu du jour.

Les lois universelles de la nature font également bien rire les malfrats, des plus petits aux plus grands. Pour Kant, la « raison pure » nous permet d’éviter d’être le jouer des passions, des pulsions et des désirs. Le problème c’est que la « raison pure » n’existe pas.

C’est sans doute à la suite de la « raison pure » que des gens très sensés, comme Voltaire, ont investi dans la traite des noirs et que d’autres ont fait l’apologie du colonialisme. Colonialisme qui a en effet permis à plusieurs pays européens dont l’Angleterre et la France de profiter durant des décennies d’une croissance à deux chiffres et d’une amélioration très sensible du niveau de vie de leurs populations. C’est également grâce à la « raison pure » que Kant définit l’homme comme « le seigneur de la nature et par conséquent, que les êtres dénués de raison n’ont aucune valeur, et comme il est dit dans la Bible, qu’ils ne sont là que pour satisfaire nos besoins. Dans « Géographie », Kant ne s’intéresse aux animaux qu’en fonction de leurs bizarreries ou du danger qu’ils représentent.

Un état d’esprit, comme nous le verrons plus loin, qui a incité l’homme à détruire tout ce qui se trouvait à sa portée dans la nature, pour sa seule volonté de puissance et la satisfaction incessante de son ego démesuré. Une vision du monde bien éloignée de celle d’Aristote pour qui « la nature ne fait rien en vain ».

 

Les traditions anciennes savaient bien que toute conscience morale qui ne se réfère pas à une autorité transcendante n’existe pas. Et que par conséquent, les valeurs ou les devoirs qui en découlent ne peuvent avoir de consistance.

« Il ne sert à rien de prêcher la morale et la charité, ou toute autre vertu conventionnelle, tant qu’on est pas soi-même totalement indifférent au renom et au succès » Tchouang-tseu

En fait de morale universelle, depuis la révolution industrielle et grâce au progrès des sciences et des techniques, tous les soi-disant responsables de nos sociétés ainsi que les moralisateurs attitrés, n’ont eu de cesse de détruire la nature, sous le prétexte de faire le bonheur de l’homme, alors qu’ils ne cherchaient en fait, qu’à s’enrichir. Pourtant on continue d’employer des mots à forte connotation crypto-chrétienne ou meta-chrétienne qui ne signifient plus rien, charité, solidarité, humanité, et qui ne sont que des exutoires pour ne pas s’attaquer aux véritables causes : un système économique dominé depuis dix mille ans par les hommes (les mâles) et dont le seul objectif est le pouvoir absolu et la cupidité, et les seuls outils, la violence et la corruption.

Charité, solidarité, égalité, sont des pures chimères au sein de systèmes qui reposent sur des principes qui leurs sont totalement contradictoires, comme concurrence, productivité, expansionnisme des marchés, etc.

« Ce sont les systèmes qui sont devenus importants, et de ce fait, l’homme – vous et moi – a perdu toute valeur et ceux qui ont le contrôle des systèmes (religieux ou économique, de droite ou de gauche) assument l’autorité, le pouvoir, et par conséquent vous sacrifient, vous l’individu ». Krishnamurti, La première et la dernière liberté. P 33.

La gnose, comme le bouddhisme, enseigne à modérer les ardeurs de l’ego, c’est alors que des mots comme égalité et solidarité peuvent avoir un sens.

Mais comment un être à l’ego démesuré pourrait-il savoir ce que signifie l’égalité ou la solidarité ? Il s’agit de mots hors de lui, mais dont il se sert, en toute mauvaise foi, pour satisfaire son ego, et rien de plus.

À noter que selon le dictionnaire historique de la langue française, « solidarité » vient de « solidité » et a été inventé pour renforcer le pouvoir des créanciers, des banquiers, les « créanciers solidaires ».

Faire la charité, c’est cautionner un mauvais système qui ainsi va perdurer et continuer à engendrer la pauvreté.

Certes l’on peut admettre sans aucune réticence, que le progrès n’est pas à mettre en cause par lui-même, mais que ce sont les hommes (les mâles), leur nature étant ce qu’elle est, qui l’utilisent à mauvais escient. Ils ne cherchent qu’à satisfaire seulement leurs désirs et leur volonté de puissance et de domination, sur les autres et sur la nature, avec, bien évidemment, toutes les bonnes intentions du monde, puisqu’en plus, ils sont foncièrement cupides et hypocrites. Et bien sûr, le système de l’économie de marché, leur donne la possibilité d’aller ainsi, au bout de leurs rêves malsains.

Kant est persuadé de faire reposer sa philosophie et sa morale sur la Raison, alors qu’elle ne repose que sur le Rêve messianiste :

« Je m’aventurerai en conséquence à prétendre que la race humaine s’avance continûment en civilisation et en culture comme son but naturel, aussi fait-elle continuellement des progrès vers le mieux en relation avec la fin morale de son existence. »

Cette citation de Kant, relevée par Serge Latouche dans La Mégamachine ( page 157), ne peut que faire rire jaune aujourd’hui.

Entre Néron et Hitler, où est l’évolution morale, le progrès spirituel ? Entre les « cours des miracles » de Londres et de Paris au XIXe siècle et nos banlieues « zones de non-droit » d’aujourd’hui où est le progrès social ?

Depuis la fin du règne des déesses mères, il existe une étroite relation entre ce qui est fait aux femmes et ce qui est fait à la nature. Et avec les progrès fulgurants de la science et de la technique, cette mentalité de prédateurs des savants des « Lumières » s’est rendue responsable de la situation catastrophique de notre environnement actuel.

Norbert Rouland dans Aux confins du droit, relève également que Francis Bacon recommandait de traiter la nature en « femme publique » pour lui « arracher ses secrets » et « l’enchaîner selon nos désirs ». Cette mentalité de prédateurs des savants des Lumières, est responsable de la situation catastrophique de notre environnement actuel.

Parmi les modernes, seul Jean-Jacques Rousseau met en garde contre ce déferlement d’agressivité vis-à-vis de la nature.

 

« Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu nous préserver de la science, comme une mêre arrache une arme dangereuse des mains de son enfant ; que tous les secrets qu’elle vous cache, ce sont autant de maux dont elle vous garantit et que la peine que vous trouvez à vous instruire n’est pas le moindre de ses bienfaits. » Discours sur les sciences et les arts.

 

« On classifie les cultures de façon raciste en donnant toute la supériorité à la culture scientifique et technique de l’Occident qui a conquis le monde par la supériorité de l’armement, le mensonge et la cupidité […] Toute culture n’est pas bonne. N’est bonne qu’une culture d’épanouissement de la personne, c'est-à-dire de l’individu pour lui-même et dans ses relations avec les autres ». Paul Chauchard, 3e Millénaire n° 1 (1986).

Mais cette religion du Progrès a toujours, aujourd’hui, ses adeptes aveugles. Serge Latouche relève une déclaration d’Yves Coppens, professeur au Collège de France, dans Le Monde du 3 septembre 1996, et l’on en vient à se demander si ce n’est pas de l’ironie, parce que, sinon, c’est véritablement inquiétant :

« Qu’on cesse donc de peindre l’avenir en noir ! L’avenir est superbe. La génération qui arrive va apprendre à peigner sa carte génétique, accroître l’efficacité de son système nerveux, faire les enfants de ses rêves, maîtriser la tectonique des plaques, programmer les climats, se promener dans les étoiles, et coloniser les planètes qui lui plairont. Elle va apprendre à bouger la Terre pour la mettre en orbite autour d’un plus jeune soleil[…] Elle va conduire, n’en doutons pas, l’humanité vers une réflexion meilleure, une liberté plus grande encore et une plus grande conscience des responsabilités qui accompagnent cette liberté. » La Mégamachine, p 193.

Même en ce qui concerne le progrès moral, les penseurs d’aujourd’hui semblent plutôt avoir reculé par rapport au Bouddha, à Lao-tseu, aux stoïciens, à Socrate et à tant d’autres, qui en plus, vivaient leurs idées. Aujourd’hui, nos « sages » se contentent de rabâcher leurs vieilles lunes sur les plateaux télévisés pour vendre leurs livres ! Ils pondent un livre par an afin d’être invités dans les Fêtes du livre et sur tous les plateaux de télévision. De Montaigne à Schopenhauer les penseurs étaient moins prolifiques, mais ils avaient malgré tout quelque chose à dire.

Inéluctablement les hommes ont bâti des empires tout en détruisant d’autres ; certains ont imaginé des cités idéales et d’autres se sont acharnés à construire des enfers, également pour le bien de tous.

Les animaux suivent leurs instincts qui sont dictés par la nature. Les hommes depuis qu’ils disposent de la parole et de la raison, décident eux-mêmes de leurs actions et ont quitté la place qui leur était dévolue au sein de la nature. Le résultat est évident, leurs œuvres sont Incohérence.

Voilà pourquoi Zeus les a punis comme il a puni Prométhée, voilà pourquoi Yahvé a jeté Adam et Ève du paradis. Voilà pourquoi le conseil des dieux sumériens a voté le « déluge » à l’unanimité.

Ce décalage extraordinaire entre ce que l’homme aurait pu faire et ce qu’il a fait, a amené certains à imaginer une malédiction pesant sur lui depuis la nuit des temps : c’est le péché originel selon la Bible ou la faute d’un démiurge et de ses archontes selon les gnostiques, ce qui, finalement ne change pas la donne.

Plus l’homme accumule ses incohérences, plus il édicte des lois pour se contrôler lui-même, et toujours grâce à la parole et à la raison, plus il invente des astuces pour les détourner et pour s’enferrer dans la souffrance.

« Un progrès relatif dans un domaine déterminé amène dans un autre une régression correspondante ; nous ne disons pas équivalente, car on ne peut parler d’équivalence entre des choses ni de même nature ni de même ordre. C’est ce qui arrive pour la civilisation occidentale : les recherches faites uniquement en vue des applications pratiques et du progrès matériel ont entraîné, comme elles le devaient nécessairement, une régression dans l’ordre purement spéculatif et intellectuel ; et comme il n’y a aucune mesure entre ces deux domaines, ce qu’on perdait ainsi d’un côté valait incomparablement plus que ce qu’on gagnait de l’autre ; il faut toute la déformation mentale de la très grande majorité des Occidentaux modernes pour apprécier les choses autrement. René Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues. (1921)

Le seul mot qu’une société devrait afficher sur le fronton de ses édifices publics c’est « Responsabilité », alors que les mythes démagogiques de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, n’ont pour effet que d’inciter les hommes à l’irresponsabilité et à chercher toujours, des boucs émissaires à leurs misères, c’est-à-dire ailleurs qu’en eux-mêmes.

La seule preuve, c’est que dans la République de 1789, ce sont les mâles qui ont inscrit ces mots sur la pierre des mairies, à l’intention des hommes seuls, mais jamais des femmes, qui pourtant ont donné leur part de souffrance à cette aventure révolutionnaire. La République les laissèrent enfermées dans le carcan juridique de la soumission, et elles n’acquirent le droit de vote qu’un siècle et demi plus tard. Sans doute, si la « parité » avait été instaurée à l’aube de la Révolution, l’Histoire compterait-elle une page écrite en rouge sang de moins, celle de la « Terreur ». En pleine Révolution française, et après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Olympe de Gouges, parce qu’elle revendiquait l’égalité des droits entre hommes et femmes, fut guillotinée (en 1793).

« La suprématie du mâle est sans doute déjà un anachronisme mais un anachronisme encore plein de vigueur et dominant partout […] Cependant je ne crois pas que le pouvoir ait changé ou changera de nature pour autant qu’il soit exercé par des femmes à l’intérieur d’un cadre socio-économique qui, lui, est resté le même ». Falconnet et Lefaucheur, La fabrication des mâles.

« Égalité dans la différence […] Ce serait idéal, si les rapports humains pouvaient être égalitaires […] Mais qui donc ignore qu’ils ne le sont nulle part ? Pour pouvoir le devenir il faudrait que ce fût partout. Partout règne l’oppression […] Comment en serait-il autrement dans un monde mâle, c’est à dire compétitif ? Dans cette perspective, la différence (c’est-à-dire l’altérité) est toujours au dépend du différencié. » Françoise d’Eaubonne, Le Féminisme ou la mort. P 27

La morale de Kant fait appel à la propre responsabilité de tout un chacun pour équilibrer les relations des hommes. Mais chez le mâle humain, le sens des responsabilités est loin d’être un caractère inné ; il résulte de l’éducation. http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image091.jpg En revanche, le sens des responsabilités a toujours été dans l’esprit des sociétés matrilinéaires ou matrilocales, basées sur la redistribution. N'en déplaise à Simone de Beauvoir et à ses adeptes. Par nature, les femmes sont dotées du sens de la responsabilité vis à vis de leurs enfants, pas les hommes. L’optimisme éthique de Kant est une sorte de christianisme laïque qui ne repose donc sur aucune légitimité, ce qui est absurde. Même la crainte de Dieu n’a pas toujours réussi à donner un sens à la vie de l’homme, à le maintenir dans la morale dictée par la religion, parce que celle-ci est artificielle, elle ne relève que de l’Idée, et non de l'observation de la nature.

À l’aube du XXIe siècle, l’irresponsabilité ayant gagné toutes les couches de la société, il est devenu évident que la morale kantienne est une gageure.

« Ce que Kant appelle les trois idées transcendantales ont été laminées : le sujet comme moi substantiel, le monde comme organisation des phénomènes dans le temps et dans l’espace, Dieu comme pensée organisatrice de l’ensemble du réel. Ayant rongé ses propres racines, la pensée philosophique européenne se trouve aujourd’hui dans une grande détresse ». Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident.

 

Il suffit de réfléchir sur la bonne intention de la libéralisation de l’avortement pour s’en convaincre. C’est le type même de la loi qui révèle une grande confiance en l’homme, qui subsume la prise de conscience de tout homme et de toute femme en ses responsabilités. Un leurre grave de conséquences quand on voit que l’avortement sert en fait à remplacer de plus en plus les moyens de contraception d’une jeunesse à qui, par démagogie électoraliste et marchande, on a enlevé tout sens critique, toute capacité de réflexion : une grossesse sur quatre se terminait en avortement en Provence-Alpes-Côte-d'Azur en 2002. Un abus innommable. Une statistique qui cache, qu’à peine majeures, certaines jeunes filles ont déjà avorté quatre à cinq fois ! Donner la liberté sans éducation est plus que de la démagogie, c’est un crime de lèse-humanité. Dans toute démagogie il y a incohérence : en l’occurrence, la facilité d’accorder le droit à l’avortement, sans véritable éducation sexuelle des jeunes, et alors qu’aucun moyen n’est donné pour que les jeunes filles puissent se procurer la pilule gratuitement et de leur propre initiative (encore trente ans après la loi)! Sans parler de l’effarante irresponsabilité et de la très grave inconscience en la matière des garçons, entretenues par l’idéologie soixante-huitarde. L’occultation des principes fondamentaux de l’éducation, n’a en fait, servi qu’à laisser le champ libre à la société du spectacle et de la surconsommation.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image092.jpg

De son côté, Descartes s’est retrouvé dans l’incapacité de véritablement faire table rase. Il persistait encore à introduire dans le raisonnement la notion floue de l’âme et à faire une distinction entre celle-ci immatérielle et le corps matériel. Un dualisme qui crée un antagonisme, une confrontation entre l’esprit et le corps en classant et séparant les faits psychiques et physiques. Il n’est plus possible alors d’analyser les uns à la lumière des autres. , ni de prendre conscience de leurs interactions. Pour Descartes l’esprit et le corps (la matière) sont si différents que rien ne peut les relier, en dehors de Dieu qui les a créé l’un et l’autre.

La méthode de Descartes est réductionniste ; elle énonce que pour comprendre un phénomène il faut le découper en autant de sous parties à résoudre. Or les interactions entre les parties ne sont plus perceptibles. Et à son époque le judéo-christianisme imprégnait tant les esprits, que l’auteur du Discours de la Méthode ne put se passer de Dieu, comme point d’appui à sa logique.

« Il commence par douter de tout et finit par tout croire », disait de lui, un de ses contemporains (Cité par A. Schopenhauer dans Parerga & Paralipomena).

Cette conception du monde selon Descartes et Newton a façonné la culture de l’Occident qui l’a même imposée au reste du monde. Elle a régenté le monde scientifique mais aussi nos relations sociales, politique et économiques et surtout notre approche de la nature. L’univers est représenté comme une grande machine avec ses rouages dont on va analyser chacun séparément. C’est la méthode de séparation, en faisant abstraction de toutes les interactions et les interdépendances entre ces rouages, parce qu’ils ne sont pas immédiatement visibles. Le biologiste calque son raisonnement devant la vie sur celui de l’horloger devant l’horloge.

 

« Le modèle « newtonien » en vigueur a ses limites, il ne peut pas expliquer l’efficacité et la rapidité des processus biologiques. Deux molécules qui doivent réagir y sont vues comme des objets passifs dérivant dans la cellule au hasard, mais devant impérativement se rencontrer physiquement et s’enclencher avec précision comme une clef dans une serrure. À l’échelle de ces molécules, la cellule a des dimensions énormes (comme à l’échelle de la région parisienne une Renault 4L rouge devait dénicher une Fiat Panda bleue pour s’y encastrer doucement, mais sans la moindre information de position et en laissant faire le hasard de la circulation aux heures de pointe !). D’autre part les molécules « chantent »… Chaque type de molécule possède sa signature, avec un spectre de fréquences bien identifiées, que prédit la physique quantique. Alors on peut tout à fait imaginer que la chimie du vivant exploite ces chants de molécules pour véhiculer l’information d’un point à l’autre de la cellule, d’un organe ou d’un organisme, à la vitesse des ondes, pour faire « communiquer » entre elles les molécules.

… La morphogénèse, le développement des organismes multicellulaires, la neurobiologie, ne peuvent que bénéficier de ces concepts pour expliquer le haut degré de « cohérence des êtres vivants »… Morvan Salez, docteur en astrophysique (Nexus juin 2012).

 

Relevons que déjà Plotin (205-270), selon Pierre Hadot, nous proposait une théorie de la morphogenèse spirituelle : «  Vivant dans le dédoublement, le calcul, le projet, la conscience humaine croit qu’on ne peut trouver qu’après avoir cherché, qu’on ne peut construire qu’en assemblant des pièces, qu’on ne peut obtenir une fin qu’en en prenant les moyens. Partout elle introduit une médiation. La Vie, qui trouve sans chercher, qui invente le tout avant les parties, qui est en même temps fin et moyen, en un mot, qui est immédiate et simple, est donc insaisissable à la réflexion. Pour l’atteindre, comme pour atteindre notre moi pur, il faudra laisser la réflexion pour la contemplation ». Plotin ou la simplicité du regard.

La conception du monde, vue par le Tao, ne se fonde pas sur la séparation entre l’esprit et la matière, l’homme est totalement intégré à la nature, il ne fait pas deux avec elle, comme en Occident. Ni matériel ni spirituel, le corps et l’esprit sont deux productions du souffle vital (pneuma, tchi, qi ou ki).

L’entité pensante chère à Descartes n’existe pas. Pour dire Je pense donc je suis, encore faudrait-il savoir ce qu’est la pensée, et connaître les conditionnements qui la limitent.

Le mental n’est qu’un instrument, un outil de l’organisation sociale. C’est une illusion (Maya) comme tous les sous-outils de l’organisation sociale : le libre-arbitre, les valeurs morales, religieuses ou culturelles.

 

« Le monde que tout le monde voit, n’est pas le monde, mais un monde que nous enfantons avec nos semblables » Humberto Maturana et Francisco Varela (cité par Fitjof Capra dans Les connexions invisibles p 77.

 

La pensée n’est pas une entité, une personne, mais un simple instrument de communication.

L’esprit et la conscience ne sont pas des choses, mais des processus mentaux.

 

« L’activité organisatrice des systèmes vivants, du plus simple au plus complexe, est une activité mentale. Les interactions d’un organisme – plante, animal ou être humain – avec son environnement, sont des interactions cognitives […] L’esprit – ou plus précisément l’activité mentale – est immanent à la matière à tous les niveaux de la vie […] La cognition concerne l’ensemble des processus de la vie – y compris les perceptions, les émotions et les comportements – et n’exige pas nécessairement la présence d’un cerveau et d’un système nerveux. ». Fritjof Capra, Les connexions invisibles p 55.

 

Selon le physicien américain, l’autopoïèse (du grec auto soi-même, et poièsis production, création) est la propriété d’un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir sa structure malgré le changement de composants.

Le bouddhisme représente une autre conception du monde et une autre conception de nous-mêmes dans ce monde. Il pose la question : qu’est mon moi, ma main, mon sang, ma cervelle ? Si ma main n’est pas « je », mon mental non plus.

« L’idée est le résultat du processus de la pensée qui est une réponse de la mémoire et la mémoire est toujours conditionnée […] Si l’action est façonnée par une idée, elle ne peut jamais apporter une solution à nos misères, parce qu’avant d’être effective, nous devons d’abord connaître l’origine de l’idée qui l’a déterminée ». P 68-69.

« Il est évident que toute pensée est conditionnée ; il n’existe pas de pensée libre : elle est le fruit de notre conditionnement, de notre vécu, de notre culture, de notre climat, de notre environnement social, économique et politique […] Il n’existe aucun conditionnement qui soit noble ou meilleur qu’un autre ».

Jiddu Krishnamurti, Le Livre de la Méditation et de la Vie. P 164-165.

 

« Lorsqu’ils [les chercheurs en sciences cognitives] affirment que l’esprit est indissociable du corps, ils ne veulent pas seulement dire que nous avons évidemment besoin d’un cerveau pour penser. Des études effectuées dans le nouveau domaine de la linguistique cognitive donnent à penser que la raison humaine ne transcende pas le corps, comme l’a soutenu une grande partie de la philosophie occidentale, mais qu’elle est fondamentalement modelée par notre nature physique et notre expérience corporelle. C’est dans ce sens que l’esprit humain est incarné : la structure même de la raison est issue de nos corps et de nos cerveaux.

[C’est ainsi] qu’une grande partie de notre pensée est inconsciente et opère à un niveau inaccessible pour notre conscience éveillée ordinaire. Cet " inconscient cognitif " n’inclut pas seulement toutes nos opérations cognitives automatiques, mais aussi nos connaissances et nos croyances tacites. Sans que nous le sachions, il modèle et structure toute notre pensée consciente… »

Fritjof Capra, Les connexions invisibles. P 84.

Déjà pour Épicure, la pensée ne vient pas du dedans, c’est le résultat d’un échange de chacun avec le monde qui l’entoure. Et ainsi, le mal n’est pas le fait de la réalité mais de la façon de la percevoir.

Aujourd’hui, « Je pense donc je suis », semble un archaïsme. Pour Martin Heidegger, « l’homme ne pense pas encore ». Et aujourd’hui encore moins qu’hier, puisque la télévision occupe tous ses instants de « liberté ». Sans « attention », sans une extrême vigilance, toute liberté pousse l’homme vers un nouvel esclavage.

Georg Christian Lichtenberg (1742-1799) corrige même le « je pense » [donc je suis], en « cela pense ». Pour Nietzsche, dans Le gai savoir, la pensée vient quand elle veut et non pas quand je veux. Et pour Maurice Merleau-Ponty, la vraie formule est « On pense, on est ».

 

« Il n’y a pas de "je" ni d’unité sociale complètement isolable » Arne Næss, Écologie, communauté et style de vie.

 

Pour Arne Næss, ce "je pense donc je suis" a amené l’homme à dominer la nature, sans se rendre compte qu’il n’en était qu’une petite partie, qu’il en dépendait totalement, et que les attaques qu’il ferait à Gaïa se retourneraient inévitablement contre lui.

Notre individuation dépend de tellement de paramètres tous imbriqués, tous jouant de façon interdépendante, qu’il ne peut y avoir de « Je suis », ou alors par facilité, parce que le langage ne nous offre pas d’autre terme ; un « Je suis » de « paille », comme il y a des « hommes de paille ».

Les formes, les couleurs, les sons, les odeurs, les sensations de température ou l’appréciation de l’espace ne sont que des apparences.

Le « moi » n'est qu'un ensemble d'éléments à un moment donné : corps, pensées, perceptions, sensations, idées, sentiments, émotions…

Le « Je », le « moi » n’est jamais absolu, indépendant de ce que le corps social souhaite qu’il soit. Le « Je » n’est jamais isolé. Il est essentiellement relatif parce que constitué. Il s’agit donc de chercher de quoi il est constitué, de quoi il dépend, afin d’affaiblir sa présomption, de le décrédibiliser, afin de rendre à l’individu la propre compréhension de lui-même. C’est-à-dire d’arriver à la vacuité, c'est-à-dire à la conscience que tout ce que l’on croyait être important est néant, et non que l’on est néant.

C’est ainsi que la méditation, pour Jiddu Krishnamurti, n’est pas une technique, mais une façon de vivre, puisqu’elle a pour premier objectif, par l’attention, d’accoutumer l’esprit à cette relativité du « moi », à la compréhension du non-soi, qui permet le « calme mental ».

La méditation vient avec la compréhension et la compréhension avec la méditation. C’est comme l’adage selon lequel lorsque l’élève est prêt, le maître arrive.

« Les milésiens [sages de l’école de Milet, VI e siècle av. J.-C.] furent nommés « hylozoïstes », ou « ceux qui pensent que la matière est vivante », parce qu’ils ne faisaient pas de distinction entre animé et inanimé, esprit et matière. […]

Ils voyaient toutes les formes d’existence comme des manifestations de la physis, [nature, naissance des choses]*, dotée de vie et de spiritualité. […] [En revanche] le dualisme cartésien autorisait les scientifiques à considérer la matière comme inerte et complètement séparée d’eux, et à voir le monde matériel comme une multitude d’objets assemblés en une énorme machine […]

Ce modèle s’accompagnait de la représentation d’un dieu souverain dirigeant le monde d’en haut en lui imposant sa loi divine.[…]

Le fameux adage cartésien cogito ergo sum, « je pense donc je suis », a conduit l’homme occidental à s’identifier à sa conscience, au lieu de considérer l’ensemble de son organisme.[…]

Séparée du corps, la conscience se voit investie de la mission illusoire de le contrôler, causant ainsi un conflit apparent entre la volonté consciente et les instincts inconscients. Chaque individu se décompose dès lors en un grand nombre d’éléments, selon ses activités, talents, sentiments, croyances, etc. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages 20, 22 et 23.

* Empédocle (Ve siècle av. J.-C) précise qu’il n’y a naissance de rien, c’est-à-dire qu’il s’agit en fait de mélange, d’échange, de choses existant déjà.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image093.jpg Ludwig Wittgenstein (1889-1951), quant à lui, ne voit dans la philosophie que des quiproquos et des malentendus engendrés par nos manières de parler. Avec des mots nous pouvons seulement décrire des faits comme « Passe-moi le sel » et encore… Quant à discourir sur le monde ou sur l’existence, c’est trop affaire de contexte, de circonstances souvent indescriptibles et indicibles. Les mots qu’on va utiliser n’ont pas été conçus pour de telles digressions, il ne peut s’ensuivre qu’une mauvaise compréhension générale, des illusions métaphysiques, un verbiage inutile. Confucius (v. 551-479 av. J.-C.) recommandait également, avant toute discussion, de se mettre d’accord sur le sens précis des mots.

On ne peut penser ce que le langage ne peut exprimer. Et vice-versa, on ne peut exprimer par le langage, ce qu’on ne peut penser, l’ineffable, le transcendant.

« Tous les peuples vivant sur la Terre pensent et sentent de la même manière, mais l’absence de mots, chez les uns ou les autres, peut empêcher certains sentiments d’apparaître »

Le marchand de mots, tiré de « Contes philosophiques du monde entier » de Jean-Claude Carrière.

Il n’y a pas de langage en soi, mais des « jeux de langage » qui ne peuvent être indépendants d’une activité, d’une situation bien déterminée, ou d’un endoctrinement bien programmé.

« On ne peut pas "penser" à ce que l’on ne connaît pas, on ne pense qu’à ce que l’on connaît ». P 336

« Vous ne pouvez pas "penser" à l’inconnu, "méditer" sur la vérité. Dès que vous "pensez" à l’inconnu, vous avez affaire à une projection du connu. Vous ne pouvez pas penser à Dieu, à la vérité.

[…] L’esprit [le mental] est l’instrument du connu, il ne peut donc pas découvrir l’inconnu ; il ne peut qu’aller du connu au connu.

[…] La totale connaissance de soi est la fin du connu et l’esprit [le mental] est alors complètement vide de connu. Ce n’est qu’alors que la vérité peut venir à vous. » P 205 et 206.

Jiddu Krishnamurti, La première et la dernière liberté.

C’est pourquoi il faut être très vigilant vis-à-vis des conditionnements sociaux. Si dès le jeune âge l’on nous inculque des contre-vérités, jamais il ne sera possible de retrouver notre être profond, si tant est qu’il existât.

« Les limites de mon langage signifient les limites de mon univers ». [Par conséquent] « Ce qu’on ne peut dire, il faut le taire. » Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image094.jpg « [Pour Wittgenstein], les différentes langues constituent des systèmes qui prédéterminent les formes et les catégories par lesquelles l’individu communique avec les autres, analyse le monde, en remarquant ou en négligeant tel ou tel aspect de l’univers, et finalement construit sa propre conscience de soi. » Pierre Hadot, Wittgenstein et les limites du langage.

    « Wittgenstein reproche à la science moderne de donner l’apparence que tout est expliqué, alors qu’il n’en est rien. Car nous ne pouvons sortir du monde pour le traiter comme un objet d’étude. Nous sommes dans le monde comme nous sommes dans le langage. »  Pierre Hadot, Le voile d’Isis.

 

Pour René Guénon (Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues), les langues de l’Occident sont peu métaphysiques et manquent donc de termes pour une interprétation correcte des doctrines orientales. « Dans notre condition d’homme isolé, seules les choses finies sont compréhensibles et exprimables »

Pour l’enseignement bouddhique, la Vérité est insaisissable et inexprimable. On ne peut dire qu’elle est ou qu’elle n’est pas (Subhûti). Plus nous sommes pénétrés de la compréhension du monde, plus nous montons dans la transcendance, plus le discours se restreint, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune parole ni pensée. À la différence du savoir qui relève de l’accumulation de connaissances, la compréhension de quelque chose, tient compte de ses relations et interactions avec un ensemble plus vaste et de leurs conséquences. La compréhension totale est donc a-priori infinie et dépasse les capacités humaines. C’est pourquoi les sages ne peuvent l’approcher que par la méditation ou l’illumination (le satori). C’est cette compréhension qui les a fait « changer d’être ».

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image095.jpg « Puisque notre langage et nos concepts sont relatifs au monde, ils sont impuissants à exprimer la réalité supra-mondaine, et la négation de tout ce qui constitue l’expérience ordinaire est donc la seule attitude appropriée ». Jean-Pierre Schnetzler, La méditation bouddhique.

« La compréhension vient avec la perception de ce qui "est". Savoir avec exactitude ce qui "est", le réel, l’actuel, sans l’interpréter, sans le condamner ou le justifier, est le commencement de la sagesse. » Krishnamurti, La première et la dernière liberté.

« [Pour Ramakrishna], l’Absolu, le Non-conditionné ne peut pas être exprimé en fonction du conditionné… L’infini ne peut se décrire dans la langue du fini. » Romain Rolland, La vie de Ramakrishna.

S’il y avait un livre qui arrive à parler de l’inconnu avec des mots du connu cela se saurait.

En paraphrasant un conte hindou, disons qu’une grenouille qui est née dans un puits et n’en est jamais sortie, comment parlerait-elle de la mer ? Elle ne peut penser à la mer, elle n’a pas de mot pour la mer, et elle traite de fou l’oiseau qui lui raconte la mer.

« Il n’y a pas de doctrine ésotérique, même orale, énonçable en langage vulgaire. Il n’y a que des formules guides pour arriver à la connaissance intuitive ». Milarepa, Jacques Bacot.

De même pour son enseignement, le bouddhisme zen utilise les Koans, de petites histoires avec de fausses questions et des réponses absurdes afin de montrer les limites de la logique, pour présenter une autre vision des choses, dans le but d’élargir l’espace de compréhension. Parce que chercher la compréhension du Tout et de l’Un par les mots, est la preuve de l’égarement. Et plutôt que de continuer dans la voie de l’égarement, mieux vaut tout arrêter et ne plus chercher, afin, au moins, de stopper la confusion mentale ( dont sont victimes la plupart des philosophes qui s’acharnent tant à avoir raison, même contre les faits, contre « ce qui est »).

« [Les koans] ne sont pas dits pour que nous les comprenions, pour que nous les analysions, mais pour que nous les recevions – comme des questions parfaites – dans une région inconnue de nous-mêmes.

Ils sont un défi à l’intelligence raisonnante. Ils doivent mobiliser non seulement notre pensée mais tout notre être ».

Jean-Claude Carrière, Contes philosophiques du monde entier.

Les koans enseignent donc à répondre à toute question, quelle qu’elle soit, sans réfléchir, naturellement, spontanément, sans analyser les divers choix, parce que la réponse de l’Éveillé provient de sa nature profonde, de l’esprit originel, non-né, l’esprit de Bouddha, et non de l’intellect. Il ne s’agit pas de refuser de réfléchir, mais de dépasser les blocages et les hésitations de la pensée et de l’action, qui résultent de phénomènes inhibiteurs inconscients. Pour « éveiller l’esprit sans l’appuyer sur rien », il s’agit en fait, de trouver la réponse en dehors de nos mémoires, en dehors de nos habitudes de raisonner à partir de ce que l’on a appris, c’est-à-dire de ce que notre environnement familial, social, culturel et religieux nous a appris.

Exemple de Koan :

Un buffle entre par la fenêtre. Sa tête, ses cornes, ses quatre pattes ont toutes passé. Pourquoi sa queue ne peut-elle pas passer ?

Peut-être cela signifie-t-il que cette pièce n’est pas assez grande pour que la queue puisse y entrer ? Il ne manque pas grand-chose. De même notre mental n’est pas assez vide pour que le Tout y entre, pour que nous le ressentions sans a priori. Ne peut y pénétrer que quelques parties, parce que le reste est encombré de milles affaires du passé.

Avec le koan, chacun voit sa vérité qui sort du puits de l’inconscient.

Ainsi la physique moderne, pour nous, est un koan. La lumière est un paradoxe, elle est composée de photons qui sont particules et ondes, ils défient l’entendement commun. La lumière réunit les contraires. Pour nous, elle est un koan. Déjà Lie Zi (environ 600 ans av J.-C.) disait : « Les paroles les plus profondes ne se prononcent pas ». Pour le bouddhisme comme pour le taoïsme, la perception permet de connaître d’un objet sa forme et sa couleur, mais non sa « nature intrinsèque ».

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image096.jpg Les Turcs en ont même fait l’un de leurs proverbes : « Le sage ne dit pas ce qu’il sait et le sot ne sait pas ce qu’il dit ».

Et pour William Blake « le fou ne voit pas le même arbre que le sage ».

D’abord parce que le sage ne pourra pas être compris, ou sera mal compris de ceux qui n’ont pas emprunté le même chemin spirituel. Ce que sait le sage risque de choquer le bon sens et les préjugés de son interlocuteur, et de créer un conflit inutile. Le sage perçoit la schizophrénie du monde, mais il ne peut l’exprimer, la décrire, sans passer lui-même pour un malade mental, c’est pourquoi il parle par paraboles ou se retire dans le Silence. Ainsi le principe de l’arcane dit : « Ne parle aux gens qu’en fonction de ce qu’ils sont capables de comprendre ».

« Un maître prit un jour la décision de ne plus parler. Un de ses disciples lui demanda :

-         Maître, si vous ne parlez plus, comment pourrons-nous transmettre votre enseignement.

Le maître lui répondit :

-         Est-ce que le ciel parle ? Et pourtant les saisons se succèdent et les créatures se multiplient. »

Jean-Claude Carrière Contes philosophiques du monde entier.

http://philippe.annaba.free.fr/pretention-messiatique_fichiers/image097.jpg « [Pour Tchouang-tseu] le langage crée des dichotomies que les petits esprits prennent pour des oppositions réelles, ce qui suscite entre eux des conflits interminables. Ces combats futiles les épuisent et finissent par les détruire ...

« …Le sage ne se laisse pas enfermer dans les formes du langage, dont il perçoit l’arbitraire, mais "se laisse guider par le manifestation des choses". Il les voit se manifester à lui, ou en lui, et se règle sur ce qu’il voit. Les choses ne cessant de changer, il "adapte son langage au changement" ». Jean-François Billeter, Études sur Tchouang-tseu.

« C’est en transcendant les circonstances changeantes et ses jugements appropriés à ces circonstances dont l’essence est l’impermanence que le saint taoïste saisit l’infini et s’y installe. » Tchouang-tseu.

« Le sage ne parle pas, averti qu’il est des pièges du discours, des aveuglements inhérents à tout débat. Les auteurs taoïstes ont radicalisé une suspicion ancienne et partagée par tous vis à vis du langage, jusqu’à élaborer le thème de l’enseignement sans paroles… » Romain Graziani.

Et en effet, même le soleil n’est pas permanent ; dans quatre ou cinq milliards d’années, il ne brillera plus. Seul est permanent le Principe ( le Tao) qui unit et désunit les particules élémentaires au sein de cet Équilibre, de cette Harmonie, qui est, a été et sera. Et dans toutes les parties du monde matériel, du monde sensible et visible, se trouvent l’éternité, la Permanence, ces particules élémentaires qui ne meurent pas. Lorsqu’elles s’assemblent pour former des atomes puis des molécules, alors, elles créent la matière, et cette matière est impermanente, elle nait et elle meurt, elle est victimes du temps.

« Sitôt qu’une forme est obsolète, qu’un corps "a fait son temps", les particules qui le constituaient se libèrent et se tiennent prêtes pour une nouvelle aventure, une forme inédite… C’est cette matière imperturbable, trop lisse pour que le temps s’y accroche, que le physicien observe avec fascination, ou plutôt tente d’observer, car à ce niveau-là, la "réalité" est inatteignable. » Jean-Claude Carrière, Entretiens sur la fin des temps.

Les parties de la Totalité ne sont pas séparées, et c’est ainsi que la Totalité se crée elle-même, en permanence. La création du Tout est permanente.

Et au lieu de sacraliser la Permanence, nous nous abandonnons de plus en plus à la sacralisation de l’éphémère ? Pourquoi s’attacher à ce qui va changer ; pourquoi perdre son temps avec ce qui ne dure pas ? Dans quel but ? Comment le saurions nous, nous qui ne sommes que des porteurs de particules, comme tout ce qui est dans l’univers. Les chercheurs en physique quantique rencontrent les mêmes difficultés parce que le langage issu de nos sens, ne peut expliquer les phénomènes paradoxaux observés par la physique moderne :

« Les problèmes du langage ici sont réellement sérieux. Nous souhaitons parler de la structure des atomes… mais nous ne pouvons pas en parler en langage ordinaire ». W. Heisenberg.

Heisenberg introduit en physique le principe d’incertitude, selon lequel l’on ne peut connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule, parce qu’en mesurant sa position, l’on modifie sa vitesse et vis-versa. Comme un arc-en-ciel ou l’horizon, dont il est impossible de se demander quelle est la position et la vitesse de déplacement, puisqu’elles sont fonctions de notre propre déplacement.

Dans la physique quantique, les particules obéissent à la création permanente du Tout. La cohérence du Tout génère par la logique même des choses, et dans chaque instant infinitésimal, l’action de chaque particule. L’observateur étant juge et partie, il ne peut saisir cet instant de création du Tout.

Après avoir décrit l’univers comme un système composé d’unités constituantes élémentaires et séparées (des atomes comme des briques), la science physique est passée à une vue organique et écologique de l’univers, et donc de la nature en tant qu’ensemble harmonieux et indivisible. Dans l’univers, rien n’est isolé, toutes choses sont en interrelations permanentes. Ce réseau de relations dynamiques inclut toute conscience, qu’elle provienne de l’« inanimé », de la plante, de l’animal ou de l’homme. Les choses sont composées d’atomes et les atomes de particules, mais les particules n’ont aucune substance, elles n’existent pas en soi, elles sont en perpétuel interchangeabilité, dans une danse d’énergie permanente et probabiliste.

De quoi est donc fait ce morceau de bois ou de fer ? En entrant dans la matière nous trouverons des molécules, des atomes et des particules sub-atomiques, mais aucune substance ultime, seulement de l’énergie pure. Les interactions sub-atomiques sont des interactions entre l’énergie et l’énergie.

C’est pourquoi la conscience est indéfinissable si les particules constitutives du cerveau au niveau microscopique, sont soumises aux lois quantiques. Il y aurait donc de multiples niveaux de conscience.

 

« Les particules ne sont pas des choses mais des interconnexions entre les choses, et ces choses sont des interconnexions entre d’autres choses et ainsi de suite […]

À mesure que nous pénétrons dans la matière la nature ne nous montre pas des briques élémentaires, mais elle apparaît plutôt comme un complexe tissu de relations entre les différentes parties d’un tout unifié. »

Fritjof Capra, 3e Millénaire juin 1987.

 

La matière n’est que le résultat probabiliste d’interconnections de particules. La probabilité est une caractéristique fondamentale de la réalité atomique. Les particules étant des interactions de champs, des tendances à survenir, des sortes de mailles d’un tissu cosmique qui n’existent que parce que toutes les autres mailles existent. Nous n’observons donc pas le monde de l’extérieur mais de l’intérieur. La physique quantique révèle l’unité fondamentale de l’univers et son auto-cohérence (le Tout, le Tao). Elle montre que nous ne pouvons pas décomposer le monde en des parties indépendantes les unes des autres. Elle met en évidence l’unité d’un champ de conscience universel, à l’instar finalement … des animistes. Le monde est bien plus vaste, bien plus extravagant et merveilleux que ce que nous ont fait croire les philosophies et les religions.

En fait il n’y a rien à dire, rien à lire, rien à entendre, mais tout à contempler.

C’est à dire qu’il s’agit de bien observer les situations, afin d’y « voir clair », malgré la propagande, les conditionnements et autres manipulations des esprits, qui finalement ne reposent sur rien de fondamental. Ne pas gâcher sa vie à courir après ce qui, de toute façon, est changeant et tôt ou tard, va changer.

L’objectif du philosophe, trouver un sens à la vie, est une gageure. Il va inévitablement retomber dans la croyance, dans le leurre de la religion, ou dans l’idéologie, dans le mythe des lendemains qui chantent ou dans l’Espérance, dans cette fumeuse et absurde foi en l’homme, le mythe le plus profondément ancré dans le psychisme occidental par le judaïsme, puis par le christianisme et enfin par les Lumières.

Comme Kant, les Encyclopédistes croyaient, avec bonne foi, que l’homme, dans son développement intellectuel et moral était perfectible sans aucune limite, et donc que c’était un devoir d’apporter nos valeurs aux « sauvages ». Et ce sont les affairistes, les prêtres et les marchands sans scrupules qui se sont précipités dans la brèche.

Seul Diderot (1713-1784) après La Hontan (1666-1716) révèle une certaine lucidité à contre-courant dans « Supplément au voyage de Bougainville », où il prévoit déjà les dégâts du colonialisme.

Ces apôtres, qui brandissent leur foi en l’homme en guise de sésame pour pénétrer les esprits, pour mieux endoctriner, et qui jettent l’anathème sur les sceptiques, ont besoin d’une multitude de fidèles pour leur longue marche sans fin, vers des lendemains bien malsains.

On ne peut philosopher avec des mots, on ne peut que jouer avec. Et le seul but du jeu, c’est de dévoiler les supercheries, les idées reçues, les préjugés, les certitudes, pour lesquelles nous sommes parfois prêts à mourir, tant l’endoctrinement a été fort. Quel gouffre alors entre ce que nous croyons être et ce que nous sommes vraiment ! N’avons-nous pas honte d’avoir vécu si conditionné ? Ne sommes-nous pas responsables de nos endoctrinements, de notre paresse à réfléchir ?

« Il y a dans notre génération comme une conscience diffuse et douloureuse, qu’il est de plus en plus difficile de ne pas être un salaud, dans ce qu’on fait au quotidien et qui nous fait vivre. Car qui peut avoir encore la conscience tranquille ? Sûrement pas les ouvriers et les cadres d’usines de produits chimiques… les employés de banque… les conseillers financiers… les téléopérateurs…les diplômés de marketing et autre Force de Vente …» Amiech et Mattern, Le Cauchemar de Don Quichotte, p 125.

Déjà pour Günther Anders (1902-1992), dans cette société qui technicise l’être, nous ne sommes plus que de simples rouages, et quoi que nous fassions, « nous fermons les yeux sur l’objet et l’objectif de notre travail, et nous sommes prêts à vivre de la préparation de la fin du monde ».

Pour comprendre des philosophies éloignées de notre façon de penser, il est nécessaire de faire table rase du savoir dont nous sommes si fiers : deux mille ans de pensée unique judéo-chrétienne qui a pénétré jusque nos gènes. C’est incontournable pour tenter de ressentir le bouddhisme, le taoïsme et la gnose en général.

« La conception d’un dieu inconnu ou d’un au-delà de l’esprit me semble mieux convenir à une pensée contemporaine, plutôt que celle d’un dieu jaloux et vindicatif ou d’une résurrection de la chair » Yves Maris.

 

« L’étude de la […] pensée des Chinois […] nous éclaire au premier chef sur nous-même en nous confrontant à un haut degré de civilisation dont l’esprit est néanmoins aux antipodes du nôtre. » Alan Watts, op cit.

 

« Quand nous entendons formuler des idées nouvelles, nous les confondons avec les anciennes ou pensons qu’elles peuvent être expliquées et interprétées au moyen des anciennes. C’est en effet une tâche ardue d’admettre la réalité d’idées nouvelles comme possibles et nécessaires ; cela demande du temps et la révision de toutes les valeurs courantes ». P.D. Ouspensky, L’homme et son évolution possible.

Les chapitres qui suivent n’ont, en aucune façon, la prétention de présenter un panorama des diverses religions. Ils présentent en revanche une vision du monde à travers la substantifique moelle des diverses traditions (à travers la pensée des sages de tous les temps et de tous les lieux), pour en montrer, en fait l’unicité, malgré les vocabulaires et les sens a priori contradictoires. Lorsqu’on ne s’attache plus aux rites, aux coutumes et aux préjugés locaux, le fond des religions est unique. Et bien sûr, c’est là, et seulement là, que l’homo sapiens doit porter sa réflexion. C’est là que se trouve, si toutefois elle existe, la Voie pour comprendre l’univers, et par conséquent, pour se comprendre soi-même.

 

 [Retour au Sommaire] [Accueil][Haut de page]