Extrait du livre : Bienheureux les stériles

        

                               

                                                 Prologue

« Seuls, ceux qui croient savoir, ne peuvent rien recevoir ».

Le lecteur de Bienheureux les enfants de la Mère pourra trouver fastidieux, ou prendre comme le signe de la facilité, le recours à tant de citations. Mais compte tenu des conditionnements sociaux qui pèsent sur tout un chacun, le discours qui suit est tellement inhabituel, provocant, choquant, aberrant, ou subversif pour la plupart des lecteurs, qu’au moins l’auteur pourra paraître moins fou, en montrant qu’à travers les siècles des siècles, et d’un bout à l’autre du monde, il n’est pas tout seul à raisonner ainsi.

 

« Nos idées ne sont peut-être pas encore suffisamment folles pour être correctes. » Niels Bohr (1822-1962), Prix Nobel 1922.

« Niels Bohr déclara un jour qu’il existait deux types de vérité : les vérités superficielles où le concept opposé est faux de manière évidente et les vérités plus profondes où le contraire peut aussi être juste » Jostein Gaarder, le monde de Sophie.

Chaque citation en plus d’apporter une illustration, un  complément ou une précision au texte, est aussi en elle-même un sujet de méditation.

Plusieurs citations peuvent évoquer une même réflexion, en révélant les diverses formes que peut prendre une même pensée selon des auteurs différents ; et certaines peuvent être mieux comprises que d’autres en fonction de l’histoire personnelle du lecteur.

    D’autre part, certaines idées sont répétées dans plusieurs chapitres, sous des formulations différentes ; c’est parce qu’elles sont difficiles à saisir, à notre époque d’endoctrinement télévisuel, et que la pédagogie est l’art de la répétition. En particulier la notion de « connaissance de soi » est omniprésente, parce qu’elle est au cœur de toute philosophie. Or la « connaissance de soi » doit s’affranchir de tout conditionnement venu de l’extérieur ; c’est quasiment une gageure. Et pourtant, où sont l’autonomie, la prise de conscience, la connaissance de soi, dans le conformisme et la passivité ?

La « connaissance de soi » c’est le « chemin de purification »  qui modifie le regard sur le monde, dans le seul but de nous rendre plus libre. C’est l’essence du taoïsme, du bouddhisme, de certains penseurs de la Grèce antique, et de la gnose. En dehors d’elle, tout n’est que verbiage, propagande ou boniment de charlatan.

C’est pourquoi, avant d’entamer le véritable sujet de ce livre : l’aberration de cette histoire humaine où la femme est exclue de la Res publica, les trois premiers chapitres tentent de désinfecter notre mental des scories de notre éducation occidentale judéo-chrétienne, qui ne nous laisse percevoir qu’une petite partie de la réalité.

Certes ce discours ponctué de citations n’offre rien de nouveau ; tout a déjà été dit, mais il s’agit plutôt de présenter ici des connaissances s’inscrivant dans une cohérence, dans une harmonie globale.

Ce livre tente d’assembler les pièces éparses d’un puzzle afin que se dessine la cohérence du Tout. 

 Introduction

    Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? Ces questions sans réponse, qui se posent depuis la nuit des temps, par leur banalité, font sourire. En revanche, leur corollaire : qui sont nos enfants, d’où viennent-ils et où vont-ils ? C’est-à-dire : « faut-il faire des enfants ? » est une question qui n’a quasiment jamais été posée, ni par la littérature, ni par la philosophie.

Parmi les philosophes qui, depuis l’Antiquité jusqu’à Kierkegaard ou Sartre, ont cherché, en vain d’ailleurs, un sens à l’existence, bien rares, à part Schopenhauer,  sont ceux qui en ont déduit la conséquence logique concernant la naissance. Parce que dans toute société, la vie humaine est considérée comme un don de Dieu. 

« La naissance est le point où coïncident la philosophie de l’existence, la psychanalyse et l’histoire discrète des civilisations. C’est pour moi le point brûlant, celui où débute la pensée essentielle […] La naissance est ambiguë. D’un côté, elle n’aurait jamais dû avoir lieu. De l’autre, c’est le seul événement dénué de remords, l’unique drame qui se déroule avec le droit absolu de se dérouler. » Peter Sloterdijk, Essai d’intoxication volontaire (Pages 72-73).

Même les non-croyants ne peuvent concevoir l’homme extérieur à la société. Seul l’être social les intéresse. En fait, après avoir éliminé  Dieu, ils l’ont remplacé par le sens de l’Histoire. Pour Henry Corbin cet historicisme, cette théologie laïque est une impasse. Pourquoi l’histoire devrait-elle avoir un sens. Comment percevoir ce sens avec le peu d’éléments fiables dont nous disposons sur le Cosmos ? Alors que nous sommes incapables de comprendre et même d’imaginer leurs interactions incessantes ? Mais si l’histoire n’a pas de sens, l’on doit admettre toutefois qu’elle s’inscrit dans le Tao, dans la Cohérence universelle, dont la compréhension totale nous échappera toujours. Et il faut une sacrée dose d’hypocrisie pour justifier ses actes et ses ambitions par une référence à un prétendu sens de l’histoire.

Pour Arthur Schopenhauer, l’absurde et la non nécessité de la vie ne sont nullement justifiés par ce prétendu sens de l’histoire, une vue de l’esprit. Où va-t-il, de chaos en chaos ?  Schopenhauer s’indigne qu’en plus d’être absurde, la vie ne nous amène, la plupart du temps, que douleurs.  Le philosophe allemand, bien  qu’athée, pense encore, comme les croyants, que l’homme est différend de l’animal. Il ne s’indigne pas des souffrances des animaux et de leur destinée, du sens de leur existence : devenir la nourriture d’autres espèces carnivores. Certes l’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir poussé plus loin ; jusqu’à la perception de la Cohérence du Tout. Seules les traditions anciennes pouvaient le mettre sur la voie, mais nous verrons que c’est la physique des particules qui nous permet de les ressortir de l’oubli.

L’homme occidental a également divinisé le Progrès sous les injonctions ambigües de son Dieu (L’éthique protestante et le capitalisme, Max Weber 1904). Et aujourd’hui, après avoir négligé la divinité, il ne lui reste que cette course frénétique au bonheur, à travers la consommation de masse, l’idéal le plus mesquin, vulgaire et décadent de toute l’histoire de l’humanité. En serions-nous là s’il y avait vraiment un sens de l’histoire ?

La consommation de masse incessamment renouvelée, gave les hommes pour leur faire croire qu’ils sont satisfaits, qu’ils nagent dans le bonheur. Parce que l’objectif des marchands et des pouvoirs, ennemis des vrais philosophes, c’est que l’homme ne se pose aucune question sur lui-même et sur le sens de sa vie. Le bonheur, un nouveau mythe, avatar de la Finance mondiale, nouveau démiurge tyrannique et destructeur. Ce prétendu bonheur acquis à force de marchandises qui sont issues certes du  progrès technique, mais surtout de l’exploitation de plus en plus insoutenable des peuples et de notre Mère la Terre.  

Et où est le « Progrès » de la qualité de la vie ? La publicité montre une qualité de la vie définie à travers des besoins créés artificiellement afin de vendre toujours plus de marchandises et de produire toujours plus de profit. L’homo sapiens ne devrait-il pas juger par lui-même de ce qu’est la qualité de la vie ? Pourquoi parmi les millions d’études et de rapports économiques et sociaux n’y en a-t-il aucun sur ce que sont véritablement nos besoins fondamentaux, ni sur comment créer toutes les conditions permettant de les satisfaire en priorité et partout dans le monde?

Quelle disparité entre le perfectionnement technique considérable qui a caractérisé les cent cinquante dernières années et l’enfoncement de la pensée dans le superficiel.

Le progrès technique  semble avoir agit comme un multiplicateur de nos erreurs, de valeurs dérisoires, de l’individualisme, du Moi, donc du non-sens vis-à-vis de l’organisation de la vie.

« Nous ne pouvons nous plaindre que de nous-mêmes. Ce qui cause notre perte, nous l’avons mis au jour contre la volonté de la Nature qui nous l’avait caché. » Sénèque, Lettres à Lucilius.

Cela n’empêche pas Sénèque de toujours chercher, mais pour lui le seul véritable progrès est celui de la connaissance et de la vie morale.

« Dans la seconde moitié du 1er siècle apr. J.-C., Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, s’inquiète des conséquences morales du progrès technique, qui entraîne le luxe, et finalement à la décadence des mœurs, au lieu de s’en tenir à la satisfaction des besoins essentiels de l’homme. » Pierre Hadot, Le Voile d’Isis.

La Finance mondiale, a commencé à régir la planète il y a cent ans (sa crise d’adolescence  trouva son aboutissement en 1929), et n’a cessé,  depuis  lors,  de  montrer  son  pouvoir  à  travers  l’érection  de  ses gratte-ciel, de plus en plus démesurés, comme l’Église montrait le sien en bâtissant ses cathédrales. Des cathédrales aujourd’hui écrasées par les gratte-ciel de la Finance, à l’instar des valeurs traditionnelles écrasées par la divine valeur marchande. La voix des sages qui depuis trente à quarante ans ont tenté de nous avertir des dégâts que causait une telle idéologie a été étouffée par le brouhaha médiatique des médiocres, des âpres au gain et par l’arrogance des ignorants.

Pourquoi en somme-nous arrivés là ; pourquoi nos lendemains s’annoncent-ils de plus en plus malsains ? Parce qu’il y a sept mille ans, les dieux mâles ont usurpé le pouvoir des grandes déesses Mères. Les sociétés matrilinéaires étaient des sociétés de réciprocité ; elles ne permettaient pas l’acquisition d’un pouvoir politique ou l’avènement d’une classe dirigeante. Elles vivaient en communautés avec des rituels de redistribution qui n’excluaient personne. L’existence humaine n’y était pas séparée des cycles de la nature, et il n’y avait donc pas, comme dans les sociétés patriarcales, de conflit entre Culture et Nature.

L’homme civilisé, surtout caractérisé par ses prétentions, s’est plu à imaginer ses ancêtres cueilleurs et chasseurs comme des brutes épaisses, incapables de sentiments et baignant en permanence dans la violence. Endoctrinés par des religions ayant instauré le patriarcat, nous n’avons pas voulu croire les premiers observateurs de peuples « primitifs » qui révélaient  qu’au contraire ils étaient totalement intégrés à la nature, se nourrissaient de ses bienfaits, la remerciaient, la respectaient et s’identifiaient à elle. La première croyance, l’animisme, dans sa simplicité et sa naïveté, montre que ces hommes savaient  contempler leur environnement, en tirer des enseignements. Ils se fondaient dans la nature, dans le Tout. Ils ne se sentaient pas différents des autres espèces vivantes. Aujourd’hui nous savons que l’intelligence est partout dans la nature.

« Pour vivre  et se développer, ce microcosme qu’est l’homme est obligé de rester en contact, en liaison permanente avec le macrocosme, la nature ; il doit sans cesse faire des échanges avec elle, et ce sont ces échanges que l’on appelle la vie. La vie n’est rien d’autre que ces échanges ininterrompus entre l’homme et la nature. Si ces échanges sont entravés, il s’ensuit la maladie et la mort […]

Au fur et à mesure que nous changeons notre opinion sur la nature, nous modifions notre destinée. Si nous pensons que la nature est morte, nous diminuons la vie en nous ; si nous pensons  qu’elle est vivante, tout ce qu’elle contient, pierre, plantes, animaux, étoiles… vivifie notre être et augmente la force de notre esprit. » Omraam Mikhaël Aïvanhov, Les secrets du livre de la nature.

Cette préhistoire, nous avons tout fait pour l’oublier, jusqu’à ignorer les signes laissés à l’époque des grandes Mères ; jusqu’à refuser de voir dans les mythologies, les traces sanglantes de la lutte des dieux mâles et des déesses ; jusqu’à fausser le message de Jésus et persécuter les gnostiques et autres cathares, seuls défenseurs du « Principe féminin ».

S’il n’est évidemment pas question de revenir aux temps préhistoriques, il est en revanche urgent de réconcilier le « principe féminin » et le « principe masculin », le yin et le yang, Hermès le feu et Aphrodite l’eau (hermaphrodite), afin d’œuvrer au rétablissement de l’équilibre entre l’humanité et la nature.

    Cet essai prétend bien sûr apporter un savoir. Un savoir susceptible de contestations. Et parmi le foisonnement des savoirs, il ne manque pas d’outils pour les combats idéologiques de tous ordres.

    Mais le savoir dont il est question ici, est passé par le filtre de la contemplation et s’est révélé comme gnose, comme connaissance. 

    C’est un poème, un psaume.

    C’est une source pour celui qui a soif.

    Les autres peuvent  passer leur chemin.

    Nul n’est obligé de boire.

    L’eau de la source qui n’est pas bue va à la mer,

    et cent ans ou mille ans plus tard,

    elle retourne à la source.

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