Chapitre II

Les connaissances de l'« Attention » et de la « Contemplation »

   « Je m’intéresse à la philosophie, à la psychologie, à la religion et au mysticisme, non pas en tant que sujets de discussion mais en tant qu’objets devant être expérimentés » Alan Watts, Amour et connaissance.

           

1)   Bouddhisme et taoïsme     

« Le bouddhisme est la seule religion compatible avec la science moderne » Albert Einstein.                     

    Un conte bouddhiste raconte qu’un singe avait fait un long voyage à la recherche du livre sacré. Quand il le découvre, les pages sont blanches : parce que la Vérité est incommunicable par des mots.

    Plus de 500 ans av. J.-C., Siddhartha Gautama avait bien compris que les réponses aux questions que se pose l'homme sont en lui-même.

« [Le bouddhisme] entend transformer l’humanité non pas en privilégiant l’action sur le monde et la société, mais l’action sur soi. La révolution qu’il prône est d’abord et avant tout une révolution de la conscience individuelle ». Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident.

 

Comme l’explique René Guénon dans son Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, le bouddhisme, comme le taoïsme, n’est ni une religion ni une philosophie, mais une connaissance métaphysique, une connaissance de principes d’ordre universel.

   Le Bouddha n’a jamais cherché à dire ce qui était bien ou ce qui était mal, ni à régler ou régir la vie des sociétés, mais au contraire, à en montrer les failles, causes de notre mal-être et de nos souffrances. La morale est étrangère aux préoccupations des Orientaux en général et du Bouddha en particulier.

    « Le point de vue moral, sans lequel ces notions [de "vertu", de "justice", de "mérite", de "devoir"] sont dépourvues de sens, n’existe point dans l’Inde » René Guénon, Op-cit. 

 

    « La méditation bouddhique n’est ni une technique de relaxation ni un anxiolytique pour échapper à la réalité quotidienne. [Le bouddhisme] nous suggère au contraire de nous interroger au plus profond de nous même sur les mobiles qui nous animent. » Philippe Cornu.

    Pour le fondateur du bouddhisme, la seule destinée de l'homme est la souffrance, parce qu’il appelle également souffrance (dukkha), l’insatisfaction, la frustration, qui apparaît toujours après le plaisir. Nos désirs sont insatiables parce qu’ils sont sans fin, toujours renouvelés. Dès qu’un désir est satisfait, un autre surgit.

« Dukkha va de l’insatisfaction jusqu’à la pénible douleur soit du corps, soit de la psyché, expérimentées dans la vie courante ou dans la maladie […] Malheur et bonheur sont des conditions de l’existence, et le Dharma du Bouddha [doctrine bouddhique] enseigne à passer au-delà »

Commentaires au Dahammapada. Albin Miche

Notons que la douleur physique n’est d’abord qu’un signal d’alerte, pour nous prévenir que quelque chose nous brûle ou nous glace, et qu’il vaut mieux pour nous d’ôter notre main ou notre pied de cet endroit. En permanence nous devons donc rétablir l’équilibre entre des signaux désagréables et ceux qui sont agréables. À notre époque, nos sens sont tellement sollicités par des quantités de stimuli extérieurs, que nous ne sommes plus à l’écoute de notre corps, qui nous alerte en vain.

Si dès l’enfance nous comprenons vite qu’il ne faut pas mettre la main sur la plaque chaude de la cuisinière, en revanche, nous ne percevons pas facilement les désagréments liés à l’insatisfaction, à la frustration.

L’homme naît esclave de ses besoins fondamentaux, nécessaires à sa survie. Mais comment reconnaître parmi toutes les sollicitations de l’environnement, les désirs qui apporteront plus de désagréments que de satisfaction ?  Et par ignorance l’homme ne cherchera pas à s’en affranchir.  Le Bouddha nous enseigne que pour traverser avec le moins de douleur possible l'existence, l’homme doit refréner désirs et passions, sources certes de plaisir, mais aussi de douleur. Il s’agit d’avoir conscience que la nature même du désir est de rester insatisfait. L’insatisfaction est toujours au bout du plaisir. Le désir est donc le moteur d’une course sans fin.

Le monde du désir est un piège, une illusion, il est aussi éphémère que ce qui est convoité. Et la durée du plaisir paraît d’autant plus brève qu’on la désire sans fin. Les plus belles joies sont ainsi sources d’angoisse, parce que l’on sait très bien qu’elles ne peuvent durer.

Mais si nous combattons ces désirs, nous  susciterons frustrations et conflits. Il s’agit donc de les contrôler à leur source, et de s’habituer à discerner leur antagonisme, leur irréalisme, leurs conséquences dangereuses. En revanche il existe bien sûr, des désirs que l’on peut satisfaire sans danger ni regret.

Voilà la grande découverte du Bouddha, l’idée de paradis terrestre est un non-sens, une illusion. Puisque sans désir il ne peut y avoir de paradis sur terre ; et le désir étant, la souffrance est, et donc le paradis n’est pas. Paradis terrestre est un oxymore. Quant au paradis céleste, le Bouddha ne parle jamais de ce qui est du domaine de l’inconnaissable. Parce que tout paradis promis dans un hypothétique au-delà, implique le rejet de la réalité du monde et accroît la soumission naturelle de l’homme aux multiples  conditionnements.

Dukkha, l’insatisfaction, est liée au caractère conditionné de toutes les formations ; dans le monde ne se rencontrent que des phénomènes conditionnés mutuellement, qui ne trouvent donc pas en eux-mêmes leur propre raison d’être, mais à l’extérieur.

 

« Les maux accablent le voyageur (dans le samsāra). Par conséquent, ne soyez pas un voyageur, ne soyez pas un poursuiveur d’insatisfaction. » Le Dhammapada.

 

L’insatisfaction étant toujours au bout du plaisir, le désir est donc le moteur d’une course sans fin, le moteur de nos vains combats, de nos angoisses et de nos dérisoires victoires comme de nos cuisants échecs. Les désirs sont autant de chaînes.

 

« Dans les moments où nous sommes libres de souffrances, des désirs inquiets font briller à nos yeux les chimères d’un bonheur qui n’a pas d’existence réelle et nous induisent à les poursuivre : par là nous attirons la douleur qui est incontestablement réelle ». Arthur Schopenhauer, Aphorismes….

 

    «  L’être humain est le seul vivant qui ait la terrible capacité de vouloir de tout son être la seule chose qu’il n’aura jamais, c’est à dire un bonheur personnel qui soit durable, alors qu’il le fonde sur les sables mouvants d’un monde foncièrement éphémère. Ce qui équivaut évidemment à se condamner soi-même à la frustration perpétuelle. » Dennis Gira, Le bouddhisme à l’usage de mes filles.

« Est-ce le bonheur que nous cherchons ou une sorte de satisfaction dont nous espérons tirer du bonheur ?

[…] Nous aspirons à quelque chose qui dure indéfiniment et qui nous fasse indéfiniment plaisir. Dépouillons nous de nos mots et de nos phrases ; voyons le fait tel qu’il est : ce que nous voulons c’est un plaisir qui dure indéfiniment, que nous appelons la vérité, Dieu ou autrement ». Krishnamurti, La première et dernière liberté.

 

    Et la plus forte des illusions du moi, le plus omniprésent  désir, c'est le désir d’immortalité que renforce l'instinct d'engendrer.

 

 « "Ces enfants sont à moi, ces richesses sont à moi", ainsi parle l’insensé, alors qu’on ne s’appartient pas soi-même ». Le Dhammapada

 

Et le plus récent et le plus absurde désir, parce qu’anti-naturel,  c’est le désir de longévité, qui, en fait, n’est que l’avatar du désir d’immortalité de l’ancien croyant.

Inéluctablement et malgré les progrès de la médecine, l’aboutissement de ce désir c’est pourtant l’installation définitive de la douleur physique qui s’ajoute à la souffrance psychique. Si cette dernière peut disparaitre dans l’Éveil, l’autre est omniprésente. Qui offre une recette permettant de la supporter ? Seule la morphine ou le suicide peuvent l’éradiquer. Toutes les leçons de spiritualité s’arrêtent là.

Elles nous disent qu’il suffit d’être un avec sa douleur.

Pour Nisargadatta Maharaj, la souffrance est due à la non-acceptation, il faut donc s’ouvrir à la douleur. La douleur physique, comme la douleur morale, passe par le Moi ; le reniement du Moi, de ses désirs et de ses peurs amène la paix. La fin du Moi, c’est se dire « ce corps n’est pas Moi ». N’est-ce pas trop simple, ou beaucoup trop compliqué ? 

L’on peut aussi avoir conscience de sa douleur, parce que la conscience est Une et que la douleur va se fondre dans l’Un. Si nous considérons, avec la théorie des quanta, que rien n’est séparé dans l’univers, et avec le taoïsme, qu’à son apogée le yin laisse la place au yang et vice-versa, notre souffrance, physique ou psychique, permet ailleurs, une non-souffrance.

Parce que dans le monde vivant, souffrance et non-souffrance doivent s’équilibrer. Si ce n’est pas le cas, trop de souffrance amènera inéluctablement un renversement et plus de non-souffrance. Bien que l’on ait du mal à l’admettre, souffrance et non-souffrance, comme le souffle avec l’inspiration et l’expiration, sont inhérents à la vie.

C’est là évidemment le symbole du Christ rachetant les péchés du monde. Il n’y a pas de péché, il y a une partie de la souffrance qu’il prend en charge, comme le boddhisattva de la Compassion passe à côté de l’Éveil, pour aider les autres à en trouver le chemin. Mais ces leçons semblent ne s’adresser qu’à des saints.

    Dans l’enchevêtrement inextricable des causes et des effets, nous croyons pouvoir maîtriser les conditions de notre existence. Ce n’est qu’une illusion, les phénomènes  s’enchaînent indéfiniment et de façon interdépendante ; les ficelles qui sont à notre portée sont bien trop peu nombreuses pour que nous soyons autre chose que des marionnettes. En fait, les seules variables sur lesquelles nous pouvons agir, grâce à l’attention, sont celles que nous portons en nous-mêmes. 

L’attention bouddhique, n’est pas seulement une attention au corps, aux sensations et aux activités mentale.

Il s’agit d’une « vigilance remémoratrice » :

 

« Ce n’est pas seulement une observation vigilante et appliquée, c’est dans le même temps le rappel constant des caractéristiques du phénomène observé et de l’observateur : impermanence, insatisfaction, vide de nature propre. »

Avertissement au Dhammapada, Spiritualités vivantes, Albin Michel.

    Si la douleur, inhérente à toute existence,  rend celle-ci insupportable, pour le Bouddha, l'observation de la nature et l’analyse des causes de la souffrance permettent d'en  atténuer les effets. La plupart du temps, les causes de la souffrance relèvent de nos attachements matériels et sociaux, c’est-à-dire également de nos incompréhensions, de nos jugements, de nos aversions, de nos rancœurs et de nos haines.

« Lorsqu’on dit qu’un bouddha est libre de toute attache avec le monde […] Cela ne signifie pas qu’il est "un bouddha de marbre", sans sentiment, sans émotion, sans sensation de faim ou de douleur. Cela signifie que rien ne le bloque, rien ne l’entrave ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

    Si pour le stoïcien, l'individualisme est à découvrir sous le fatras des instincts animaux et des conditionnements sociaux, pour le bouddhisme il n’y a pas de réel individu, pas de Soi véritable à rechercher. En revanche il s’agit de prendre conscience des illusions qui nous mènent, d’avoir une pleine connaissance de la réalité, par la méditation, l’autodiscipline.

Non que la réalité ne soit pas réelle, mais nous ne la percevons qu’au travers le filtre de nos croyances, de nos préjugés, de nos habitudes de pensées, incrustées dès l’enfance.

« Qu’est-ce qui cause les guerres religieuses, politiques ou économiques ? Ce sont les croyances, sous forme de nationalisme, d’idéologie ou de dogmes. Si nous n’avions pas de croyances, mais de la bienveillance, de l’amour et de la considération les uns pour les autres il n’y aurait pas de guerres. Mais nous sommes nourris de croyances, d’idées et de dogmes et par conséquent nous semons le mécontentement. » Krishnamurti , La première et la dernière liberté. P 243.

 

Nous ne sommes pas « disponibles à la réalité » parce que notre esprit est trop plein d’idées fixes, de symboles, de conventions, de stéréotypes et d’habitudes, de réflexes pavloviens, et plus généralement, de tant de choses à faire et à défaire, qui nous accaparent plus que de raison. Plus généralement nos sens ne nous révèlent que des représentations, des apparences.

 

Pour Bernard d’Espagnat, dans Candide et le physicien, nos connaissances scientifiques ne portent pas sur le "réel", le "fond des choses", mais seulement sur la réalité empirique, sur l’image que, vu sa structure et ses capacités limitées, le mental est amené à se faire de la réalité en soi.

 

« Et compte tenu de la globalité, j’estime qu’il faut même abandonner l’idée que les objets, élémentaires ou composés, existent par eux-mêmes à chaque instant, chacun en un lieu donné. Il est plus vrai de dire que si nous les voyons ainsi, c’est parce que la structure de nos sens et de notre esprit nous conduit à les voir de cette manière ».

 

Dans l’Orphisme déjà, l’initiation devait permettre de dépasser les préoccupations quotidiennes de la cité, des cultes, des lois, afin d’approcher l’Unité primordiale.

Un individu représente une équation comportant des milliards de variables en perpétuel mouvement et en interdépendance permanente ; malgré toute sa bonne volonté et le désir d’être le plus libre possible, il ne pourra en connaître que quelques unes, il ne pourra donc que se leurrer sur son identité.

« L’individu n’est ainsi pour le bouddhisme qu’une combinaison temporaire de forces en mouvement perpétuel, désignée par un nom commode, Jean, Pierre ou Jacques, sans qu’il y ait une existence propre en soi ». Jean-Pierre Schnetzler, La méditation bouddhique.

 

Nous n’existons pas par nous-mêmes, nous n’existons que « sous conditions » : (inspiration, expiration, boire, manger etc.). Ainsi s’énonce la formule de la « coproduction conditionnée » : « Ceci étant, cela est. Ceci apparaissant, cela apparaît. Ceci n’étant pas, cela n’est pas. Ceci cessant, cela cesse ».

 

« Les "êtres", les "choses" sont en réalité des produits, des évènements, plus exactement des synergies ou des coproductions. Car jamais une cause ne produit un effet, jamais un effet ne naît d’une seule cause. Cela exclut qu’une entité quelconque puisse avoir une nature autonome ou nature propre. Cela balaie toute idée d’être en soi et donc toute ontologie […] Il n’y a pas d’âme substantielle, ni humaine ni divine. La personnalité qui nous est si chère, est elle même un assemblage, un produit […] Nulle part nulle identité…Tout se tient, se trouve en interdépendance ». Guy Bugault, Stances du milieu par excellence de Nāgārjuna.

 

Nous verrons plus loin comment la physique quantique éclaire d’une manière fantastique la pensée de Nâgârjuna qui pourtant vécut aux IIe  et IIIe  siècle.

La « vacuité » est l’autre façon d’exprimer cette absence de nature propre.

La paix intérieure réclame la plus grande lucidité sur soi, sans prétendre découvrir le Soi (attâ). Parce qu’à la différence de l’hindouisme, le bouddhisme ne croit pas en un « atman ou âtmâ », une âme, parcelle du Brahman.

« Le moi vraiment, est le protecteur du moi. Le moi vraiment, est le refuge du moi. Contrôler par conséquent votre propre moi, comme un marchant contrôle un noble coursier. » Le Dharmmapada.

 

C’est la doctrine bouddhique du sans-moi, du sans-âme permanente, du sans-essence de tous les êtres et de toute chose. Mais le moi relatif n’est pas nié ; l’individu est une continuité, ses aspects variant sans cesse sous l’effet de causes extérieures sans que rien de permanent ne puisse être trouvé en lui.

Selon le Dharma, tout étant impermanent, il ne peut y avoir de « Soi » permanent, stable, définitif. Le « Soi » n’est qu’une abstraction. Une façon pour le Bouddha également de contester les dérives de l’hindouisme de brahmanes plongés dans un complexe de théories et de spéculations les éloignant de la réalité. Comme les théologiens byzantins se disputaient sur  le sexe des anges alors que Constantinople était en train de tomber aux mains des Turcs.

    Le bouddhisme primitif, s’exprima d’abord comme une réforme de la tradition hindouiste, une opposition au système des castes et à la suprématie du mâle.

De même qu’à l’origine, la religion juive est celle du « Peuple élu » et non de toute l’humanité, ainsi le Vedānta est une doctrine et un mode de vie d’une société répartie en castes et n’a donc aucune vocation universelle. 

À la différence du bouddhisme, l’hindouisme enseigne le Bhakti Yoga, la dévotion à un Dieu personnel, transcendant, mais qui peut entretenir une relation avec le fidèle.

La Bhagavad-Gîta enseigne également le chemin de la réalisation de Soi. Le Dieu Krishna conseille au Prince Arjuna de faire son devoir de guerrier, puisqu’il fait partie de cette caste, même si des membres de sa famille qui sont dans le camp adverse peuvent être tués : parce que grâce à la réincarnation, la mort n’est qu’un épiphénomène.

Il s’agit là d’une logique sociale que le Bouddha refusera.

Avec le bouddhisme, tous les êtres humains sont égaux et les femmes sont libres, même si le Bouddha eut beaucoup de mal à faire admettre cette révolution en Inde chez ses disciples eux-mêmes, qui occultèrent ce message, tellement le pouvoir des mâles était, et est encore, ancré dans la société indienne. Mais c’était bien la seule religion de l’époque qui autorisait les femmes à entrer dans l’ordre, malgré le dilemme selon lequel la femme est faite pour mettre au monde et que selon le Bouddha, la naissance est souffrance et que ne pas naître vaut mieux que naître.

 

Toutefois Renge-shiri, fut une très grande nonne et la disciple  préférée du Bouddha, comme Marie-Madeleine fut celle de Jésus.

 « Bouddha en parlait toujours en termes fort élogieux et l’estimait davantage encore que Mokuren […] Cette grande nonne a aidé et aidera encore toute l’humanité, plus que ne pourraient le faire dix grands bodhisattvas » Maître Taisen Deshimaru, Le bol et le bâton.

    Le bouddhisme à la différence des religions monothéistes, ne s’appuie sur aucune révélation divine, il ne fait appel qu’à l’observation et à la raison de chacun. Le bouddhisme n’a pas besoin d’un Dieu créateur pour expliquer le monde, puisque la vie et la matière sont en interdépendance. La notion d’un Principe d’équilibre, d’harmonie qui fait que tout dans l’univers est en interaction constante et que rien ne peut y être isolé, indépendant, n’a que faire d’un Dieu créateur.

Le bouddhisme comme le taoïsme ne sont pas des croyances, mais une compréhension intuitive du Tout, après l’abolition des attachements : l’Éveil, résultat de la méditation, une pratique où n’interviennent aucun a priori conceptuel et aucune foi.

    Qui est vraiment conscient de ses actes, de ses émotions, de ses pensées ? C’est à dire, qui est vraiment certain que ses actes, ses émotions et ses pensées ne sont pas le résultat du conditionnement social, à travers les tabous et autres idées reçues transfusés par la religion, la famille, l’éducation, la politique, et aujourd’hui par les médias ? D’où la première tache de l’homo sapiens : l’Éveil.

    À l’époque du Bouddha, pour Héraclite (550-480) également, « les dormeurs » vivent jour après jour de façon automatique, inconsciente. Ils sont persuadés d’être les auteurs de leurs pensées et de leurs actes, alors qu’ils sont bien évidemment, emportés par les multiples évènements qui se font et se défont dans leur environnement, comme une feuille emportée dans la bourrasque, parmi des milliers d’autres. Pour le philosophe grec, il faut aller voir soi-même en soi-même, en toute tranquillité, après avoir « désencombré »  sa mémoire.

    Nos émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles représentent autant de réactions-signaux vis à vis de notre environnement. Il faut donc savoir les observer avec un certain recul, les interpréter, en analyser les causes. Il ne s’agit pas de les réprimer ni de se culpabiliser, comme la plupart des religions le demandent, mais de les maîtriser, afin qu’elles ne nous submergent pas, qu’elles n’agissent pas à la place de notre conscient, mais au contraire, qu’elles nous servent à agir avec sérénité. Se libérer des conventions sociales ne signifie pas non plus de faire comme si elles n’existaient pas ou de les refuser systématiquement, mais de ne pas se laisser tromper par elles, de ne pas les prendre comme des fins mais seulement comme des moyens.

    De même que la masse de la terre nous maintient sur le sol, ainsi l’ego de masse, l’ego social, nous maintient en son sein ; sur chaque ego individuel il imprime son pouvoir d’attraction et d’enfermement. Chaque ego individuel, chaque « Moi Je » ne trouve son assise que sur la scène sociale.

   En revanche le bouddhisme tente d'extraire la personne de sa gangue sociale pour la refondre dans l'univers. Tout doit concourir à la tempérance de l'ego.

    L’ego c’est la représentation mentale que j’ai de moi. Il n’est pas question de le supprimer totalement. L’ego est un principe de survie, mais il doit-être maîtrisé pour ne pas cacher l’Être.

    « Avant de n’être rien, il faut d’abord avoir été quelque chose. » Arnaud Desjardins.

Ce qui signifie qu’il faut déjà avoir atteint une certaine maturité pour commencer à sentir le besoin de maîtriser son ego. C’est-à-dire lorsque l’on sent la vanité de revivre sans cesse les évènements et les émotions du passé.

    Et pour maîtriser l’ego, il faut le connaître – « Connais-toi toi-même » – l’avoir compris, avoir décrypté son mécanisme, ses ressorts.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de connaître seulement nos goûts, nos désirs et nos diverses compétences ; mais de connaître comment nous fonctionnons ; découvrir ce qui nous meut, pourquoi nous faisons, aimons ou détestons ceci et cela et non pas autre chose. Cela demande de connaître la très complexe machine que l’on est, de comprendre l’interconnexion de tous  les rouages. C’est ainsi qu’on peut décrypter le mécanisme de l’ego.

Pourquoi j’ai peur de la mort, de la faillite, des étrangers ?  Pourquoi cette angoisse à l’idée que mes ennemis politiques puissent prendre le pouvoir ?

Parce qu’au cours de ma vie j’ai accumulé des biens que je n’imagine pas de perdre tant j’ai eu du mal à les acquérir ; et parce que j’ai réuni autour de moi des personnes dont j’ai la charge : femme, enfants parents, amis, camarades. Cela constitue tout un monde dont je dépends et dont je suis responsable. Autant d’attachements, autant de liens, autant de chaînes.

    Pour connaître sa propre nature il faut la libérer des conditionnements et donc dégonfler cet ego qui, dans l'affairement quotidien et par instinct de survie, s'est transformé en baudruche.

Le monde n’est que la scène où se joue ma vie. Le décor change, les panneaux changent, mais c’est toujours la même scène de théâtre.

En fait, le monde existe-t-il vraiment ou bien n’est-il que le reflet amplifié de notre état d’esprit ?

Le monde n’est-il pas violent seulement parce que la violence est en nous ?

Le monde n’est-il pas vénal, seulement parce que la vénalité est en nous ?

Le monde n’est-il pas mensonge, seulement parce que le mensonge est en nous ?

Si nous n’étions attachés à rien, le monde serait Rien.

Pourquoi avoir peur de l’avenir ?

Qui sommes-nous pour espérer un meilleur destin ?

Pourquoi pensons-nous que les autres vivent mieux, ont plus de chance, réussissent mieux leur vie, alors que nous ne sommes pas eux et que nous ne pouvons rien savoir de la réalité de leurs joies, de leurs angoisses et de quoi sera fait leurs lendemains.

Faisons ce que nous pouvons faire, acceptons ce que nous avons et attendons avec bienveillance ce que nous aurons demain, quoi que ce soit.  C’est la leçon du taoïsme.

Le monde est neutre, il n’est là que pour que nous arrivions à nous connaître mieux en l’observant. Pour bien s’observer, il faut aussi se méfier de l’imagination. Pour P.D. Ouspensky, l’imagination loin d’être une faculté créatrice, est destructrice ; on imagine pour se mentir à soi-même. C’est pourquoi, « l’observation de  soi, "le rappel de soi" est une lutte incessante contre l’imagination ».

Et pour traquer l’ego, pour en comprendre l’absolue vanité,  il suffit d’observer le travail tentaculaire du mental, l’instrument de notre représentation du monde. Le mental n’est que bavardages ; il n’est là que pour donner libre cours à l’ego. Il lui fait croire qu’il est en progrès constant, comme l’humanité, alors que l’un et l’autre ne vont nulle part, et que dans le monde, seuls les détails varient, seul le décor où se débattent les hommes paraît changer.

    Chacun est au centre du monde qu’il regarde. Chacun veut améliorer son sort, mais personne ne se demande s’il a véritablement un sort. C’est parce que nous sommes persuadés d’avoir un sort, un destin, que nous combattons sans cesse et cherchons à dominer les autres. Alors que l’évidence, c’est l’impermanence de toutes choses.

    L’ego se sent toujours menacé, contesté au sein de compétitions répétées. Il baigne constamment dans l’angoisse, la peur et le besoin de renforcer son sens illusoire du moi. Pour se développer et montrer son incontournabilité, l’ego a besoin de souffrance, de problèmes à résoudre. Il ne peut se révéler dans la sérénité, il lui faut l’affrontement et la guerre. L’ego recherche sans cesse l’écho flatteur des autres.

    L’ego a besoin toujours, de sentir que « les autres » ont besoin de lui, sinon il se sent inexistant et il a peur. Avoir des enfants satisfait l’ego, « ça » rend important. Le père et la mère ont l’impression d’exister encore plus. L’ego préfère se heurter à des ennemis qu’à l’indifférence. Les besoins de l’ego sont illimités et par conséquent, jamais satisfaits.

    L’ego s’acharne à nous faire croire que nos pensées sont réelles, que le temps, le passé et le futur existent. Le désir naît de la mémoire, du passé, il a besoin du temps, de la promesse du futur, de l’espoir. Le désir est un pont artificiel, virtuel, entre le passé et le futur. Certes la mémoire et la pensée sont des fonctions dont nous ne pouvons nous passer ; mais les problèmes apparaissent dès que nous en abusons et que nous ne sommes guidés que par ces automatismes mentaux. Nous ne sommes plus capables alors, d’être à notre propre écoute, à l’écoute de l’intelligence du corps, et peut-être, de la conscience cosmique. Le désir est un pont artificiel, virtuel, entre le passé et le futur.

Vivre dans le présent c’est « Être » dans la vacuité, sans aucune référence au passé et au futur, sans aucune notion de temps, c’est « Être hors du temps ».

C’est ainsi que le gnostique n’aspire qu’à être délivré du temps, hors de tout devenir.

 

« Qu’entendons-nous par passé ? Nous ne parlons pas ici  du passé chronologique, c’est bien évident. Nous parlons des expériences accumulées, des réactions emmagasinées, des souvenirs, des traditions, des savoirs, des habitudes, des entrepôts subconscients de pensées innombrables, de sentiments, d’influences, de réponses. Avec cet arrière-plan, il n’est pas possible de comprendre la réalité parce que celle-ci ne peut être d’aucun temps : elle est intemporelle. On ne peut pas comprendre l’intemporel avec un esprit [mental] qui est le produit du temps. » P 314-315.

« [La] dissociation du passé, cette liberté complète par rapport à hier (non pas chronologique mais psychologique) est possible ; et c’est la seule voie vers la compréhension de la réalité ». P 318.

« L’on ne peut entrer en contact avec le neuf que si l’esprit est frais, et l’esprit n’est frais que s’il est débarrassé du résidu de la mémoire. Je parle évidemment de la mémoire psychologique et non de celle des faits ». P 327.

Krishnamurti, La première et la dernière liberté.

 

Tout est mouvement, changement, et l’homme a inventé le temps en découpant le mouvement. Déjà, en découpant l’année en saisons. La plante pousse, croît et meurt, et par sa graine, renaît, ici ou là, indéfiniment. Parfois elle mute pour s’adapter aux changements. Il n’y a là aucune notion de temps. Le temps n’existe que dans notre tête, et plus nous croyons bénéficier des progrès techniques, plus il nous conditionne.

 

« [Le temps] est un tricheur, un cruel illusionniste. Il nous lie irrémédiablement au changement, à l’instant qui passe, distrait notre attention  comme un prestidigitateur habile. "Regarde par ici, regarde !" dit le temps. Mais rien d’intéressant n’arrive à l’intérieur du temps. Tout au fond de nous, nous le savons. Trouver un sens implique de sortir hors du temps ».

« Le royaume de Cronos, le dieu qui dévore ses propres enfants, est une prison dans une prison dans une prison. Les minutes, les heures, les jours, les années. Des murs de pierre dressés pour protéger contre l’éblouissement [l’Illumination ?]. »

Théodore Roszak, L’enfant de cristal.

    L’ego stocke les images-souvenirs partielles et momentanées de notre vie. Il constitue un album photos et nous fait croire que c’est notre personnalité ( Persona en latin signifie masque). 

Si nous sommes bien obligés de jouer un rôle social, nous ne sommes pas obligés de le prendre au sérieux. Notre ego, notre masque, si beau et si noble soit-il, est un moyen de survie au sein de la société, nous devons savoir qu’il n’est pas nous.

 

« Entre moi et toi il y a un "c’est Moi" qui me tourmente, ah ! Enlève par ton "c’est Moi" mon "c’est Moi" hors d’entre nous deux ». Dîwân d’al Hallâj, cité par Henry Corbin.

    Les hommes sont persuadés d’avoir une personnalité, parce que l’un roule en Toyota, l’autre en Peugeot, un troisième en Renault. Ils sont tous conditionnés de la même manière, leurs choix sont dérisoires. Le seul, qui éventuellement, peut prétendre avoir une personnalité, c’est celui qui organise sa vie sans automobile et refuse ainsi toutes les contraintes et les esclavages qui y sont attachés. Cela nécessite un choix difficile, une vision du monde qui n’est pas celle « de tout le monde ».

    Nous sommes notre automobile et nous sommes fiers qu’elle soit plus belle et plus performante que celle du voisin ; et nous sommes envieux de ceux qui peuvent se payer des voitures plus haut de gamme. Jamais ne vient à notre prétendu « esprit » qu’il s’agit d’un engin de mort. Nous avons été conditionnés à voir ses avantages, à considérer que cette machine améliore la « vie », et non à percevoir ses côtés essentiellement négatifs pour l’homme et pour sa survie. Aujourd’hui, mais bien tardivement, on montre du doigt la voiture comme cause de l’effet de serre. Que l’homme n’ait pas été capable de prévoir ces conséquences désastreuses pour lui-même, montre son aveuglement. L’automobile est donc bien le produit d’une science et d’une technique « sans conscience ». Et l’homme, s’il n’est pas capable de repérer ses propres conditionnements sociaux, ne peut être appelé un être véritable, puisque sa pensée est fabriquée. Que signifie alors ce « Je pense donc je suis », comme nous le verrons plus loin ?

Nous nous identifions à ce que nous croyons être ou à ce que la société a permis que nous soyons. Nous sommes notre diplôme, octroyé par telle ou telle université ; la preuve, c’est que nous nous mettons en colère dès que quelqu’un met en doute notre savoir.

Il s’agit donc de nous méfier des identifications. Ne pas s’identifier à ce qu’on possède, à ce qu’on croit, à ce qu’on désire, à l’image de soi reflétée par les autres, à ce qu’on rejette, à ce qu’on combat. Afin de ne pas être absorbé par toutes ces identifications.   

    La folie du monde est la folie de la pensée. Elle est due aux pulsions de l’ego, au débordement du mental, à la confusion mentale.

    Personne n’a véritablement d’identité propre. D’ailleurs chacun veut être à la mode, cherche à ressembler aux modèles qui ne cessent de défiler et de changer sous son regard béat. C’est ainsi que la médiatisation du futile développe une schizophrénie générale. Chacun est persuadé d’être différent alors que son obsession est de ressembler au plus grand nombre.

    Pour l'homme, l'agitation tient lieu de personnalité.

    Or la négation de la personnalité est le caractère essentiel du bouddhisme, n’en déplaise à de nombreux Occidentaux qui se croient bouddhistes.

    Le moi individuel n’est que le produit de la pensée, du mental. D’un mental façonné d’abord par le mâle, pour le mâle, nous nous en expliquerons plus loin.

    Plus l’ego est boursouflé, plus la mort fait peur. Celui qui a réussi à maîtriser son ego ne craint pas la mort.

    « Ils ont peur de la mort et ils ne sont même pas nés. » Koan zen.

    Si les religions monothéistes ont la prétention de nous mener à l’immortalité, l’enseignement bouddhique ne cherche qu’à nous délivrer des souffrances de l’existence.

    À noter que la réincarnation, relève de croyances populaires et n’a aucun sens pour le bouddhisme originel, puisque la migration d’une prétendue âme, d’un corps à un autre contredit l’idée même de Vide, de vacuité de soi, du relativisme des perceptions (des cinq sens auxquels le bouddhisme ajoute le mental). D’ailleurs nous avons déjà vu que le concept d’âme est complètement étranger au vocabulaire bouddhiste. La réincarnation, dans le bouddhisme populaire, n’est qu’une résurgence de l’hindouisme.

À un journaliste qui lui demandait s’il croyait en la réincarnation, le Dalaï lama répondit : « Tous les matins, je me réincarne, puisque je ne suis pas le même que la veille ».

Alexandra David-Néel, lors de l’émission qui lui était consacrée, « La voix nue » sur France culture, précisait le caractère populaire de cette croyance en la réincarnation, ce que tous les grands lamas qu’elle avait rencontrés lui avaient confirmé. Pour celle qui connaît le mieux le bouddhisme tibétain, cette croyance populaire facilite une cohésion de l’autorité religieuse souvent mise à mal avec le grand nombre de sectes bouddhistes existantes, par exemple dans le cadre de la nomination du nouveau Dalaï-lama. Alexandra David-Neel raconte par exemple que le XIIIe Dalaï-lama avait pris la décision de modifier certaines règles. Ses conseillers lui font alors remarquer que ces règles avaient été instituées par son prédécesseur et qu’il ne pouvait les abolir. Le Dalaï-lama leur rétorqua qu’il était justement la réincarnation de son prédécesseur, et qu’il pouvait donc annuler ce qu’il avait lui-même prescrit. Les conseillers ne purent donc que s’incliner devant une telle logique.

 

« On a pu prendre pour des vies terrestres successives ce qui, non seulement dans les doctrines hindoues, mais dans le bouddhisme même, est une série indéfinie de changements d’états d’un être, chaque état ayant ses conditions caractéristiques propres, différentes de celles des autres, et constituant pour l’être un cycle d’existence qu’il ne peut parcourir qu’une seule fois… » René Guénon, op-cit.

 « Se préoccuper de ce qui nous a précédé ou nous succèdera, révèle des pensées infectées par la notion du « je suis », par l’attachement ». Jean-Pierre Schnetzler, La méditation bouddhique.

Pourquoi se soucier de la mort, alors que le spectacle de la nature nous révèle sa création permanente à travers le cycle de la naissance et de la mort de toutes choses. Le sens à donner à la vie de tout un chacun est le sens de la vie même, où l’on apprend à mourir sans crainte puisqu’elle ne cesse de se régénérer.

 

«  Le pouvoir de se tenir hors des atteintes de la vie et de la mort est réservé au Sage, à l’Homme vrai qui a atteint à l’«immensité du Tout ». Sa condition est le résultat d’un inlassable éloignement de l’illusion sensible et de l’acceptation de choses telles qu’elles sont. 

Le Sage a réalisé l’idéal de la connaissance suprême : la gnose en son sens primitif.

"Quiconque a saisi profondément l’organisation du monde phénoménal ne se réjouit pas de la vie et ne se plaint pas de la mort. Il sait qu’aucune fin n’est ultime". Tchouang-tseu XVII. » J.-C. Cooper, La philosophie du Tao.

    La mort n’est qu’illusion, elle n’angoisse que celui qui ne peut s’abstraire de ses possessions, de ses attachements, de ses croyances, de ses idées reçues, de ses contradictions.

Plus l’homme s’éloigne de la nature, plus il craint la mort, et plus il s’agite pour ne plus y penser, plus il s’en rapproche.

    Après n’avoir pu réussir leur vie, après avoir perdu tant de temps à  la gagner, à accumuler tant de marchandises inutiles et périssables, comment pourrions-nous réussir notre mort ?

« Pourquoi considérons-nous la mort comme un état séparé de la vie ? Pourquoi avons-nous peur de la mort ?

[…] Vivre est un processus de continuité dans la mémoire, conscient mais aussi inconscient, avec ses luttes, querelles, incidents, expériences etc. Tout cela est ce que nous appelons la vie et nous pensons à la mort comme à son opposé […]

Si nous parvenons à jeter entre l’une et l’autre le pont de nos explications, la croyance en une continuité, en un au-delà, nous sommes satisfaits. Nous croyons à la réincarnation ou à une autre forme de la continuité de la pensée, et ensuite nous essayons d’établir le rapport entre le connu et l’inconnu, entre le passé et le futur […]

Nous voulons nous persuader qu’un moyen existe de durer indéfiniment. Nous ne voulons pas connaître la vie et la mort, mais nous voulons apprendre à durer sans fin.

Le report quotidien de nos expériences, de nos souvenirs et de nos infortunes, bref tout ce qui vieillit en s’accumulant, doit mourir chaque jour pour que le renouveau puisse être. C’est chaque jour que nous devons mourir […]

 […] Est-il possible de mette fin à chaque attachement intérieur, à une sécurité psychologique, à tous les souvenir que nous avons accumulés, emmagasinés, et où nous puisons notre sécurité, notre bonheur ?

Est-il possible de mettre fin à tout cela, ce qui veut dire mourir chaque jour pour qu’un renouveau puisse avoir lieu demain ? Ce n’est alors que l’on connaît la mort pendant que l’on vit. Ce n’est qu’en cette mort, en cette fin, en cet arrêt de la continuité, qu’est le renouveau, la création de ce qui est éternel ». Krishnamurti, La première et la dernière liberté. P 310-313.

La société occidentale actuelle ne cesse de promouvoir la jeunesse et d’occulter la vieillesse et la mort, et ce faisant elle ne réussit qu’à révéler son infantilisme.

D’ailleurs la vieillesse est le temps de la fin des espoirs vains, donc des prétentions de l’ego, et par conséquent elle est la possibilité de la sagesse.

Plus l’on se voile la face devant la mort, plus c’est l’être que l’on cache, jusqu’à l’oublier totalement, et qui disparaît sous les attachements, les possessions matérielles éphémères, sans cesse à renouveler.

Le faqir (pluriel foqara) est le soufi, pauvre d’entre les pauvres, qui ne possède rien et donc que rien ne possède.

Et pour le bouddhiste, la mort n’est que la fin de l’illusion du moi.

 

« L’on voit en Occident le refus de la mort et, par la grâce de la mondialisation, les civilisations les plus anciennes nous emboîter le pas… [Pourtant] l’accompagnement d’un mourant demande autant de soin  qu’un accouchement. »

   Michel Coquet, Comprendre la mort pour connaître la vie.

 

    Si la chair est faible , il est faux que l’esprit (dans le sens de mental) soit prompt ; il est paresseux, répugne à penser par lui même et préfère les réponses toutes faites. Il préfère sa prison aux grands espaces inconnus. En fait il ne s’agit là aucunement de l’activité d’un prétendu « esprit », mais tout simplement de l’activité du mental.

    C’est pourquoi Socrate affirme qu’il ne sait rien et n’enseigne rien et qu’il se contente d’aider son interlocuteur à  « accoucher de sa vérité », c’est à dire, à se mettre lui-même en question.

    Mais la société apprécie peu les empêcheurs de tourner en rond : Socrate dut boire la ciguë.

    L’entité pensante chère à Descartes n’existe pas. Le mental n’est qu’un instrument, un outil de l’organisation sociale. C’est une illusion (Maya) comme tous les sous-outils de l’organisation sociale : le libre-arbitre, les valeurs morales, religieuses ou culturelles.

    Le bouddhisme représente une autre conception du monde et une autre conception de nous-mêmes dans ce monde.

    Qu’est mon moi ? Ma main, mon sang, ma cervelle ? Si ma main n’est pas « je », mon mental non plus.

    Aujourd’hui, « Je pense donc je suis », semble un archaïsme. Pour Heidegger, « l’homme ne pense pas encore ». Et aujourd’hui encore moins qu’hier, puisque la télévision occupe tous ses instants de « liberté ». Sans « attention », sans une extrême vigilance,  toute liberté pousse l’homme vers un nouvel esclavage.

    Georg Christian Lichtenberg (1742-1799) corrige même le « je pense » [donc je suis], en « cela pense ». Et pour Merleau-ponty, la vraie formule est « On pense, on est ».

    Notre individuation dépend de tellement de paramètres tous imbriqués, tous jouant de façon interdépendante, qu’il ne peut y avoir de « Je suis », ou alors par facilité, parce que le langage ne nous offre pas d’autre terme ; un « Je suis » de « paille », comme il y a des « hommes de paille ».

    Les formes, les couleurs, les sons, les odeurs, les sensations de température ou l’appréciation de l’espace ne sont que des apparences.

    Le « moi » n'est qu'un ensemble d'éléments à un moment donné : corps, pensées, perceptions, sensations, idées, sentiments, émotions…

       Nous nous querellons sur des idées parce que nous croyons dur comme fer que ce sont les nôtres, alors qu’il ne s’agit que de lieux communs qui circulent dans notre société ; les différences de point de vue ne relevant en fait, que de la manière de dire les choses, du vocabulaire qui est à notre disposition.

    On croit être soi et on est une foule.

    « Quel visage avions-nous avant de venir au monde ? », questionne le zen.

C’est à dire quel est notre être profond, notre propre nature ?

L’on a beau réfléchir intensément, nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien. Il s’agit en fait de découvrir soi-même par cette question, le « Je ne sais qu’une chose c’est que je ne sais rien » de Socrate.

De même lorsque Bodhidharma (VIe siècle après J.-C.) se trouva devant l’empereur de Chine, celui-ci lui demanda : « Mais qui ai-je donc en face de moi ? » et Bodhidharma répondit : « Je ne sais pas ».

Mais à force d’observer le monde sans aucun préjugé et sans passion, nous acquerrons la sérénité qui nous permettra de ressentir et de comprendre notre propre nature, c’est à dire notre véritable place au sein de la nature, mais sans jamais pouvoir l’expliquer.

    Ce visage originel, sans les rides des conditionnements sociaux, ce visage non façonné par les autres, non encore formaté pour plaire à l’un et à l’autre, n’existe pas encore. C’est le visage donné par le programme de nos gènes, pourrions nous dire aujourd’hui. Un assemblage probabiliste des mêmes composants qui constituent tout un chacun. Il n’y a rien d’autre dans l’un, qu’il n’y a dans l’autre. Nous sommes ce qui est nécessaire à la cohérence de l’univers, au Tao. Nous ne pouvons rien savoir d’autre.

« La vie zen commence au moment où il n’y a plus rien à poursuivre, plus rien à convoiter. Il ne faut surtout pas le voir comme un système d’autoperfectionnement, ou une méthode pour parvenir à la bouddhéité […] Notre soi réel, non conceptuel, est d’ailleurs déjà le Bouddha et n’a nul besoin d’être perfectionné ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

Nous cachons notre visage originel parce que nous haïssons notre essence, qui est aux antipodes de ce que la société attend de nous. La société nous inculque la haine de nous-mêmes et la culpabilité pour mieux nous asservir. Le fond même de la  société est de créer des névroses.

    C'est l'ignorance des chaînes causales, entre les innombrables paramètres régissant la vie d'un individu, qui lui fait croire à sa liberté. Le bouddhisme enseigne de se libérer de tout attachement afin de n'être affecté ni par la peine ni par la joie, ni par la perte ni par le profit, ni par l'ascension ni par la chute. Il s'agit de se libérer également de la peur des images de soi à travers les autres : fierté, vanité, gloire, mais aussi honte, culpabilité, mauvaise conscience.

    Nous suivons le troupeau parce que nous sommes soucieux de comment notre image est perçue par les autres. Plutôt que de nous préoccuper de notre image extérieure, concentrons-nous sur nos potentialités intérieures, sur notre indépendance à l'égard de l'affairement du monde, sur notre liberté.

    La délivrance intervient après qu’on a pris conscience comme dans le bouddhisme, de l’impermanence de toutes choses, que tout ce qui est composé, si beau, si pur, si innocent soit-il, doit se retrouver tôt ou tard, en décomposition. Même vision du monde chez les gnostiques :

« Tout ce qui est né, tout ce qui est créé,

tous les éléments de la nature

sont imbriqués et unis entre eux.

Tout ce qui est composé sera décomposé ;

tout reviendra à ses racines ;

la matière retournera aux origines de la matière ».

Évangile de Marie.

Rien n’existe « en soi », le monde est tissu de relations, et ce qui est vrai de la matière est bien évidemment vrai de la nature de l’homme, de son corps et de ses pensées.

Le bouddhisme  zen est ainsi un mode de vie et un moyen de libération, ses origines se trouvent dans le bouddhisme mais également dans le taoïsme.

« Le taoïsme est avant tout une religion cosmique qui étudie  l’univers et ses lois, la place de l’homme dans cet univers, ainsi que celle des autres êtres animés…

[Pour Lao-tseu], c’est la cause première transcendante, l’Unité primordiale, le Principe ineffable hors de l’atteinte du temps et de l’espace, le Principe qui précède le Ciel et la Terre, qui crée le monde sans être diminué par lui, qui le nourrit et le régit. On l’appelle aussi l’Absolu, l’Ultime Réalité, l’Innommable, la Porte d’accès à tous les mystères, l’Ordre cosmique. J.-C. Cooper, La philosophie du Tao.

 

La rencontre du taoïsme et de la physique moderne nous font percevoir la cohérence du monde.

Bouddhisme et taoïsme sont des doctrines métaphysiques, c’est à dire qu’elles se situent « en dehors de la physique ». Pourtant, avec les interrogations de la physique quantique, métaphysique et physique semblent se rejoindre.

 

« Les particules sub-atomiques sont des modèles dynamiques qui ont un aspect espace et un aspect temps. Leur aspect espace les fait apparaître comme des objets avec une certaine masse, et leur aspect temps comme des processus impliquant l’énergie équivalente. Ainsi la théorie de la relativité donne aux constituants de la matière un aspect intrinsèquement dynamique. L’existence de la matière et son activité ne peuvent être séparée ; elles ne sont que les aspects différents d’une même réalité spatio-temporelle ». Fritjof Capra, 3e  Millénaire, juin 1987.

 

« Les propriétés [de la matière] ne peuvent être comprises qu’en fonction de ses activités, de ses interactions avec l’environnement, et que la particule, par conséquent, ne peut être considérée comme une entité isolée, mais doit être comprise comme partie intégrante de l’ensemble […] On considère maintenant que l’énergie et la matière ont une origine commune dans les systèmes dynamiques que nous nommons particules. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 82.

    Pour les taoïstes Lao-tseu (Ve siècle av. J.-C.) et Tchouang-tseu (environ 350 av. J.-C.), tout dogme est nocif, savoir beaucoup de choses est nuisible ; seuls le silence et la quiétude apportent la paix : « Vomis ton intelligence ». Tout savoir qui n’est pas dû à la méditation est arbitraire. Le Silence, comme la « vacuité de soi » est la Voix (la Voie) de l’esprit, du noũs, de l’intelligence du Tout.

« Les catégories de l’intelligence et les idées de la raison sont éminemment subjectives… ce sont toujours nos sens qui nous donnent accès à la réalité du monde »

  Eugen Drewermann, De la naissance des dieux…

 

Il s’agit de ne plus s’obscurcir le mental avec les cacophonies du monde, de ne plus s’abandonner à l’éparpillement et de se recentrer sur l’essentiel de l’être. Afin d’être à l’écoute de ce qui parle au fond de nous-mêmes.

 

« Basilide annonce l’avènement final de la "grande Ignorance" qui s’emparera de tous les êtres existants, qui ne chercheront plus, à connaître ce qui les dépasse : "Sont immortels tous les êtres qui restent à leur place" » Serge Hutin, Les gnostiques.

 

Cette « grande Ignorance », n’a évidemment rien à voir avec l’ignorance, cause des souffrances humaines selon le Bouddha.

    Dans le Zibaldone, Giacomo Leopardi (1798-1837), voit dans l’accession à la raison, la corruption et la décadence de l’homme. C’est le symbole d’Adam et Ève chassés du paradis, c’est à dire sortis de leur état naturel ou primitif, après leur accès au savoir, à la connaissance du bien et du mal.

    Mais nous avons beaucoup de mal à mettre en question ce qu’on nous a appris à adorer : le progrès et ses bienfaits, l’évolution de l’homme et des idées. Sans aucune conscience du revers de la médaille. En se voilant la face, afin de ne jamais voir qu’il n’y a pas de yin sans yang, de bien sans mal, de positif sans négatif.

Pour les anciens Chinois le yin et le yang ne sont pas des catégories séparées, mais les parties agissant  différemment  au sein d’une même totalité. La totalité, c’est la stabilité précaire du funambule, le yin et le yang sont les oscillations qu’il exerce de chaque côté pour que l’équilibre soit. Le Tao est le principe qui fait que du Chaos permanent qui est ordre-désordre, nait la stabilité, l’aquilibre de toutes choses.

À la différence du Chaos de la  mythologie grecque ou biblique qui personnifie le vide d’avant la Création, c’est-à-dire la confusion des choses avant la mise  en ordre par Zeus ou Yahvé. À partir de ce fantasme, l’erreur de pensée des Occidentaux est d’avoir associé l’ordre avec le Bien et le désordre avec le Mal. Seul le Dieu Janus représente le principe du Grand équilibre qui contient en lui les éléments contraires et pourtant complémentaires : l’eau et le feu, le chaud et le froid, l’été et l’hiver.

Parce que, de même que trop de yin engendre un déséquilibre et un retour en force du Yang (et vis-versa), trop d’ordre, de Bien, va engendre un retour en force du Mal (et vis-versa). Et il est encore aujourd’hui bien difficile à un Occidental d’accepter cette évidence taoïste vieille de plus de 2500 ans.

Pourtant depuis deux siècles, le monde occidental a voulu apporter les bienfaits de sa civilisation partout dans le monde, avec les lois totalement absurdes de sa science économique mécaniciste et anti-écologique, considérées pourtant comme naturelles, jusqu’à ce qu’une suite de catastrophes de plus en plus meurtrières l’obligent à un véritable retournement.

 

« Les forces yin et yang sont totalement interdépendantes. Elles ne peuvent exister l’une sans l’autre et elles se complètent mutuellement. Cependant elles ne sont pas radicalement dualistes car, si elles président à l’apparition de tous les phénomènes dans le monde, elles président aussi à leur résorption dans l’unité du Tao…

Les forces opposées ne sont pas autre chose que des aspects d’une même réalité : elles sont un facteur de multiplication mais aussi de réunion. Et l’équilibre dans lequel elles se tiennent procède de l’harmonie de leur interaction, non pas d’une lutte.

[…] De l’action-réaction du yin et du yang émanent toutes les combinaisons possibles d’opposés, tous les pôles complémentaires de la nature. Le yin et le yang ne sont ni des substances ni des entités ; ils représentent un principe inhérent à l’ensemble du monde de la manifestation. Et leur perpétuelle interaction conditionne toutes les transformations et alternances des forces contraires. Les forces yin et yang sont là par nécessité.

Du principe yin procède tout ce qui est négatif, obscur, féminin, potentiel, existentiel et naturel […] C’est encore l’élément femelle, la fécondité, la Terre-Mère. C’est pour cette raison qu’on place toujours le yin avant le yang. Le yang naît de la virtualité ; il est la lumière qui, surgissant des ténèbres, devient l’actuel, l’essentiel.

[…] Et c’est leur interaction qui préside au phénomène de l’alternance. Ainsi la mort succède à la vie et la vie à la mort. La lumière, surgissant des ténèbres, croît jusqu’à son apogée puis, lentement, décroît jusqu’à ce que, de nouveau, elle se confonde avec les ténèbres. Il en est ainsi des jours et des nuits. Le froid, la nuit, les régions septentrionales et la lune d’Ouest procèdent du yin, tandis que la chaleur, la clarté, les régions méridionales, l’été et le soleil d’Est procèdent du yang. Ensemble ils régissent le flux et le reflux, l’ouverture et la fermeture, en un mot toutes les alternances et tous les changements dans le monde manifesté.

 […]L’action de ces deux forces règle toute entière la vie de l’homme, ainsi que celle du règne animal et végétal. Elle pénètre tous les plans d’existence ; elle est présente partout dans l’immensité de l’univers mais aussi dans l’intimité du cadre familial. Le yin, c’est l’aspect maternel, l’indulgence et la sagesse, attributs de la plus humble et plus modeste paysanne, comme de la Mère Lune, la Reine du Ciel, qui en Chine, est connue sous le nom de Kouan-yin et dont la compassion et la sérénité sont infinies. Le yang c’est en revanche l’aspect paternel qui est justice et méthode, de même qu’énergie solaire. Et, en vertu du principe de l’équilibre des forces, la nature humaine doit consister en un mélange harmonieux de yin et de yang, de sentiment et d’intellect. » J. C. Cooper, La philosophie du Tao.

 

Et il faut se garder du sens que notre culture donne aux mots : La lumière est yang et les ténèbres sont yin ; mais dans la nuit il n’y a rien de mauvais, pas plus que dans le jour. Dans la nature le mal n’existe pas, il n’existe que dans le mental des hommes qui sont incapables de voir les choses « du Ciel ».

 

« Dès qu’on atteint à une apogée, il s’ensuit une transformation, une évolution effective. Là où il y a évolution effective, il y a aussi survie ». Hi-tseu.

 

Et comme nous le rappellerons plus loin le yang, ayant atteint son apogée, se retire en faveur du yin.

L’observation de la nature et de l’histoire des hommes nous révèle en effet que le rythme de l’univers, comme le disaient les anciens Chinois est cyclique, et c’est ainsi que tout excès dans un sens, toute crise, tout écart du funambule entraîne un mouvement pour rétablir l’équilibre. Tous les évènements de la vie révèlent un processus de feedback. C’est également la preuve qu’existe  quelque chose d’extraordinaire, de bien plus important que cette notion de Dieu si anthropomorphe, c’est-à-dire, à chaque niveau d’organisation, une conscience qui rectifie le tir. C’est ainsi qu’Apocalypse signifie Révélation, deux moments du cycle ; à la fin du cycle, un nouveau cycle commence, une nouvelle naissance.

Mais de nombreux spiritualistes pensent que des hommes, ou l’humanité ont un rôle spécifique à jouer pour faire évoluer le monde, accélérer ou ralentir le cycle. Il s’agit là de cet anthropomorphisme stoïcien et surtout biblique encore incrusté dans la mémoire collective occidentale et dans le mental, même des athées et des agnostiques. Encore une fois, comme si l’univers avait été créé pour l’homme !

De nombreux scientifiques comme Trinh Xuan Thuan voient dans « les constantes physiques, le signe qu’elles ont dû être réglées très précisément pour que l’homme apparaisse dans l’univers tel que nous l’observons maintenant. Ce réglage très précis nous le constatons par des simulations par ordinateur qui nous permettent en modifiant certaines constantes (comme celles de la gravitation ou celle de Planck), de fabriquer des univers-jouets que l’on fait évoluer pendant quinze milliards d’années. Ces univers-jouets se révèlent tous infertiles, c’est-à-dire tous incapables d’engendrer la vie […] La science moderne confie à l’homme la responsabilité de donner un sens à l’univers…» 3e Millénaire avril 1991.

 

Sans doute, comme le disait Paracelse, l’univers est un gigantesque organisme et la vie est partout, même si nous ne la percevons nous-mêmes, que dans notre environnement immédiat. Mais c’est faire peu de cas des milliards d’êtres vivants qui nous entourent pour croire que tout cela ne devait mener qu’à l’homme, arrivé si tard sur cette planète Terre, d’où il disparaitra très bientôt s’il continue à agir  de façon totalement antinaturelle.

Si l’univers entier n’existait que pour une co-évolution avec l’homme, ce dernier aurait dû être bien différent de ce qu’il est, ou bien avoir évolué continuellement en sagesse, alors que c’est le contraire que l’on perçoit.

À moins que pour l’organisme-univers, comme pour tout ce qui se passe dans la nature, bien et mal, souffrance et plaisir ne soient que des variables d’ajustement et que le seul facteur d’évolution vienne des progrès des sciences humaines, permettant de changer le monde.

Quelle prétention alliée à une bien triste condition humaine ! Comme la seiche qui pond des milliers d’œufs pour servir de nourriture à la faune aquatique, à part deux qui renouvelleront l’espèce, des milliards d’hommes et de femmes devraient subir un triste sort pour que quelques savants réussissent à transformer l’être humain en fourmi super sophistiquée ?

Non, les Épicure, Spinoza et autres sages étaient bien plus lucides.

 

« Cette pitoyable subjectivité des hommes, qui les fait tout rapporter à eux et revenir, de tout point de départ, immédiatement et en droite ligne vers leur personne, est surabondamment prouvée par l’astrologie, qui rapporte la marche des grands corps de l’univers au chétif moi et qui trouve une corrélation entre les comètes dans le ciel et les querelles et les gueuseries sur la terre ». Arthur Schopenhauer, Aphorismes.

 

Non, l’humanité n’a pas un rôle privilégié au sein de l’univers.

Tout y est en co-évolution, le termite pas moins que l’homme. Seul un ego démesuré incite à faire croire le contraire. Les  dinosaures sont apparus et ont disparu. L’homme est apparu et disparaîtra, sans doute beaucoup plus rapidement, lorsqu’il aura accompli sa tâche. Bien malin, ou plutôt complètement crétin celui qui pourrait dire laquelle.

    « Les catégories de l’intelligence et les idées de la raison sont éminemment subjectives… ce sont toujours nos sens qui nous donnent accès à la réalité du monde »

  Eugen Drewermann, De la naissance des dieux…

    « Le sage paraît vide comme le Ciel parce qu’on ne discerne en lui aucune idée préconçue, aucune ambition, aucun projet… Il est pur et accueille en lui les êtres : n’ayant aucune intention propre, il ne les juge pas. Il les voit tels qu’ils sont et les prend comme ils viennent ».

    « Ne laissez pas bourdonner en vous les idées et les réflexions… »

    « Tu sais qu’on connaît par la connaissance, mais sais-tu qu’on peut aussi connaître par la non-connaissance ? Contemple cette béance en toi, cette chambre vide où naît la clarté… Si tu suis ton ouïe et ta vue vers le dedans, en te tenant à l’écart de l’intention et de la connaissance, les esprits viendront t’habiter… »  Tchouang-tseu

« Si tu te fais rien, néant, Dieu ne peut pas s’empêcher de venir en toi ». Maître Eckhart.

 

De même pour les soufis, faire le vide en soi, permet de se laisser remplir de lumière.

    Le savoir, les théories, la connaissance des philosophies, s’accumulent dans le cerveau et disparaissent avec le corps.

Même l’amour du savoir et sa quête sont vains. Le philosophe est l’ami du savoir rappelle Peter Sloterdijk, mais plus nous savons, moins nous l’aimons ce savoir, plus il ressemble à la Mort. C’est comme l’Histoire, plus l’on connaît ce qui la meut, plus l’on connaît l’ampleur de ses crimes, plus l’on voudrait qu’elle s’arrête là. Ne plus lui donner aucune chance de continuer son œuvre noire.

    « De même qu’un singe au cœur de la forêt s’attache à une branche, l’abandonne et bondit vers une autre, de même, ô disciple, ce qu’on appelle esprit, pensée, conscience s’en vient, s’en va, en une transformation incessante et perpétuelle. »  Samyutta-Nikâya.

Les Hindous appelaient déjà le mental l’âne ivre.

Parmi ses travaux, Héraclès doit capturer la biche d’Artémis  (Diane chez les Romains), dont la course, comme celle du mental, est sans but précis ; au moindre bruit elle fonce à droite, à gauche. Elle ne connaît que la fuite éperdue, sans réflexion et ne cesse de changer de direction. Comme nos idées sans cesse changeantes, la nouvelle chasse la précédente. Capturer la biche, c’est maîtriser le mental. 

    « La pensée est difficile à contenir, légère, courant où il lui plait. La dompter est chose salutaire ; domptée, elle procure le bonheur ».  Le Dhammapada

Le bonheur, c’est pour le bouddhiste, l’absence de trouble, et non pas ce parcours du combattant moderne.

Pour les sages de l’Antiquité le bonheur n’est qu’un état d’âme purement individuel, qui ne dépend pas de possessions, mais du détachement. Or la pensée moderne, conditionnée par une société du spectacle et de la marchandise a la prétention de donner à tous un bonheur planifié, collectif, de masse. Une nasse qui enferme peu à peu l’humanité entière.

Pour Aristote, le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes.

    Et c’est grâce à la pratique de l’« Attention » que nous nous apercevrons que nos sentiments, nos émotions comme la colère et l’envie, ou nos agitations, sont fondés sur un ensemble de facteurs extérieurs qui sont fonction de notre regard sur le monde. Ces sentiments, ces émotions nous meuvent pour que nous soyons en phase avec ce monde qui a, pour la plupart du temps, peu de chose à voir avec notre nature profonde (l’inné).

Encore faut-il admettre que nous sommes dotés d’une nature profonde, ou d’une nature propre, d’un être intérieur, caché derrière les masques du conditionnement, derrière les carapaces que nous avons construites pour nous protéger des peurs, les déguisements que nous revêtons pour nous faire bien voir, pour donner le change, etc. Notre « nature propre », notre nature réelle, c’est la « nature du Bouddha » c’est-à-dire le Bouddha qui est en nous, l’être non conditionné.

Mais pour certains bouddhistes « aucune chose n’a de  "nature propre" ou de réalité indépendante puisque les choses n’existent que par rapport à d’autres choses. Rien dans l’univers n’a d’existence indépendante : aucune chose, aucun être, aucun événement, et, pour cette raison, il serait absurde de poursuivre un idéal quelconque. Tout choix en effet n’existe que par rapport à son contraire, ce qui est se trouve défini par ce qui n’est pas… » Alan Watts, Le bouddhisme zen.

En fait, nous pouvons découvrir notre « nature propre » en nous rendant au maximum indépendants des conditionnements sociaux, mais nous ne serons jamais indépendants du Tout, du Tao, de l’Harmonie universelle, du grand équilibre de toutes les interactions qui en permanence constituent le cosmos.

Car nous ne sommes qu’un minuscule morceau de cette toile infinie, si finement tissée, qu’aucun centimètre carré ne peut-être découpé, indépendant, isolé. Cette toile, ne comporte aucun accro, aucune pièce ajoutée.

Et puisque nous ne sommes ni autonomes ni indépendants du Tout, alors comment pouvons-nous croire à notre « individualité », à notre « personne » ? Notre individualité, n’est qu’une façon de parler.

 « Nous sommes libres de décider parce que la décision "se produit" . Nous décidons tout simplement sans avoir la moindre idée de comment nous le faisons. En fait, ce n’est ni volontaire ni involontaire ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

Notre « nature propre », c’est notre place au sein du mouvement incessant qui rythme le Tao.

Pour les stoïciens également, dans le cosmos, chaque chose a sa place, son rôle à jouer, et il faut donc vivre en accord avec la nature, fusionner dans cette « sympathie universelle », ce Tout, le Logos. Il faut donc adhérer à son destin.

 

« Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu’elles arrivent comme elles arrivent, et tu seras toujours heureux » Épictète, Manuel, 1-8.

Notre nature propre est « non dissociée », elle est « entière », comme le miroir qui « voit » mais ne condamne ni n’admire.

Selon les lamas tibétains, la méditation permet de découvrir à l'intérieur de soi, l'esprit originel.

    Ici, la méditation n’est pas du tout une activité cérébrale. L’idée de méditation n’est pas liée à la conception dualiste du corps et de l’esprit, conception occidentale, pour qui c’est l’esprit qui médite. Dans le tao ou dans le bouddhisme c’est un arrêt de toute activité mentale et physique. L’abstention mentale et l’abstention physique se renforcent mutuellement pour fusionner. Il s’agit de s’abstraire pour un temps des souvenirs, des réminiscences du monde extérieur, de ces images et de ces mots qui occupent notre mental. C’est alors que le moi s’estompe et que l’attention est totalement tournée vers le dedans. Par-delà nos perceptions sensorielles et notre activité mentale, se trouverait un immense espace, l’immensité du Tout, affranchi de ce passé et de ce futur qui nous lient et nous angoissent.

    « Par un effort de volonté, la conscience est maintenue à l’état de vide. Il faut demeurer éveillé malgré l’absence complète de toute impression consciente, c’est là l’essentiel. Il faut conserver toute sa force et toute son activité intérieure, quoique l’on ne perçoive plus aucune impression du dehors et que l’on ait fait taire également en soi, toutes les expériences qu’on s’était créées soi-même…

« Lorsque l’on établit le vide dans la conscience, ce vide se transforme et cesse d’être un vide ; c’est en cet instant même qu’apparaît la seconde forme de connaissance suprasensible, le second degré que l’on peut nommer conscience inspirée…

« Alors commence la possibilité d’apercevoir un univers spirituel, comme nous apercevons dans la vie courante un univers visible, un univers sonore. » Rudolf Steiner, La connaissance initiatique.

    L’anthroposophe (qui pense que le monde n’est composé que d’êtres spirituels) est plus influencé par l’hindouisme, avec la croyance en l’atma, l’âme que par le bouddhisme ou le taoïsme, mais ils se complètent pour nous permettre d’appréhender cet état, si éloigné de nos habitudes et pourtant si proche du langage scientifique le plus récent. Pour les physiciens, le vide n’est-il pas rempli d’énergie ?

 

« Le vide quantique constitue l’état premier de l’énergie de l’univers ». Ervin Laszlo, Aux racines de l’univers.

 

Et sous son premier aspect, l’énergie est équivalente à la matière : E=mc².

Dans le Tao te king, Lao-tseu écrit que le vide est à l’origine de tous les êtres et de tous les phénomènes de l’univers. Il contient les deux principes, deux forces complémentaires : le yin et le yang. Des forces en perpétuel mouvement ; ce qui montre que dans la pensée traditionnelle chinoise l’univers est en évolution permanente par cette alternance, à la différence de la pensée cartésienne qui considère le monde comme statique.

 

Sophie Perenne, dans La vision paradoxale tente ainsi d’explique ce qui se passe lors de cette fusion avec le Tout :  

    « La méditation demande de lâcher la vigilance portée habituellement à l’environnement, grâce à laquelle de nombreuses informations sont sélectionnées par l’œil et le cerveau, pour concentrer l’attention sur un seul objet, puis sur rien, en n’étant qu’un simple enregistreur. Se maintenir dans cette attitude produit des réactions en cascade qui ont été observées par imagerie à résonance magnétique. Le lobe pariétal droit, qui traite les informations sur l’espace et le temps, se déafférente (ne reçoit plus de messages entrants), ce qui entraîne la perte de l’orientation, un sentiment d’infini et d’éternité. Puis l’hypothalamus, qui contrôle le cœur et les poumons, est stimulé, ce qui a pour effet de ralentir les rythmes cardiaque et respiratoire. Enfin c’est le lobe gauche, siège de la conscience d’un moi séparé du monde, qui se déafférente, avec pour conséquence la dissolution du moi autobiographique. Le lien cerveau-corps se coupe, la perception des messages corporels, dont découlent les émotions et la souffrance, s’estompe. Le cerveau produit alors des endorphines, molécules du plaisir, de l’extase »

 

Dans Le Tao de la physique, Fritjof Capra nous ouvre un univers où la pensée spirituelle du fond des âges ne s’éclaire en fait qu’à la lumière des découvertes les plus récentes.

« Les théories des champs de la physique moderne nous obligent à abandonner la distinction classique entre les particules matérielles et le vide. La théorie d’Einstein du champ de gravité et la théorie du champ quantique montrent toutes les deux que les particules ne peuvent être séparées de l’espace qui les entoure. D’une part, elles déterminent la structure de cet espace ; de l’autre, elles ne peuvent être considérées comme des entités isolées, mais doivent être perçues comme des condensations d’un champ continu présent dans tout l’espace. Dans la théorie des champs quantiques, ce champ est considéré comme le fondement de toutes les particules et de leurs interactions.

[…] Le champ [réseau de relations dynamiques virtuelles selon Michel Bitbol] existe toujours et partout ; il ne peut jamais être supprimé. Il est le support de tous les phénomènes matériels. C’est le "vide" à partir duquel le proton crée les mésons π. L’existence et la disparition des particules sont seulement des formes du mouvement du champ ».

 

Pour Geoffrey Chew la nature ne peut être réduite à des briques fondamentales de matière, elle doit être comprise dans sa totalité, qui est auto-cohérente. Il a ainsi introduit en physique quantique le principe du bootstrap*, chaque particule est ce qu’elle est parce que toutes les autres particules existent à la fois. Une réalité que le langage ne peut exprimer ; en simplifiant à l’extrême, l’on pourrait dire que toute particule est faite de toutes les autres particules ! Chaque particule contient potentiellement tout l’univers. C’est une vision de l’unité du monde où chaque partie est aussi un tout. Pour Hermès Trismégiste* déjà, « Tout est dans tout ».

 

*Bootstrap : littéralement lacet de botte. Les relations entre les particules ressembleraient aux trous de bottes liés aux lacets.

*Personnage mythique de l’Antiquité grecque et égyptienne, assimilé au Dieu Thot égyptien, (Trismégiste signifiant : le trois fois grand, roi, législateur et prêtre), auteur présumé du Corpus Hermeticum, rédigé selon certains, par Stobé au VI e  siècle.

 

« Mais il ne faut pas comprendre ceci comme si une particule contenait toutes les autres de manière classique et statique. Elles ne doivent pas être conçues comme des entités séparées mais comme des modèles d’énergie [pattern] en corrélation dans un processus dynamique. » Patrick Trousson, Le recours de la science au mythe.

 

« La physique contemporaine, par un étrange renversement de ses fondations classiques, en vient presque à conclure que la matière n’existe pas. Celle-ci est en quelque sorte Maya (illusion), ce que la philosophie indienne proclame depuis des temps forts reculés. 

[…] Le Dieu cartésien se fiant aux lois naturelles après avoir posé son geste créateur n’est plus guère crédible, et ceux qui l’invoquent encore doivent admettre qu’il est tout aussi indifférent à leurs prières. La religion judéo-chrétienne  a de plus en plus de difficultés à fournir un cadre de réflexion pour fonder la civilisation ». Michel Fleury, L’atome et l’éternité.

 

« Maya, c’est l’illusoire interprétation et non le fait que la réalité soit une illusion. » Placide Gaboury, Le voyage intérieur.

 

« L’illusion [Maya] réside seulement dans notre point de vue, si nous pensons que les formes et les structures, les choses et les évènements autour de nous sont des réalités de la nature, au lieu de nous rendre compte qu’il ne s’agit que de concepts, mesures et catégories forgés par nos consciences. Maya est l’illusion qui prend ces concepts pour la réalité, qui confond la carte avec le territoire.

[…] Aussi longtemps [que nous pensons] que nous sommes distincts de notre environnement et pouvons agir indépendamment de lui, nous sommes retenus par le karma. Se libérer des liens du karma signifie réaliser l’unité et l’harmonie de toute la nature, l’être humain compris […] C’est réaliser que tous les phénomènes que nous percevons par nos sens sont les éléments d’une même réalité […]

[La notion de karma exprime] la relation dynamique de tous les phénomènes et évènements. Le mot karma signifie « action » et dénote l’interrelation « active », ou dynamique de tous les phénomènes […] Le Bouddha enseignait que toute souffrance [et insatisfaction] dans le monde provient de notre tentative de nous attacher à des formes fixes (objets, gens ou idées) au lieu d’accepter le monde mouvant et changeant. La conception dynamique du monde se trouve ainsi à la racine même du bouddhisme […]

Les bouddhistes appellent ce monde d’incessant changement samsara, ce qui signifie littéralement « sans cesse en mouvement » ; et ils affirment qu’il n’y a rien en lui qui mérite qu’on s’y attache. Ainsi pour les bouddhistes, un être illuminé est quelqu’un qui ne s’oppose pas au flux de la vie, mais qui le suit […]

Le sommet de la pensée bouddhiste a été atteint par l’école Avatamsaka. [Son thème central] est l’unité et l’interdépendance de tous les phénomènes […] L’un des éléments de base de la conception du monde émergeant de la physique moderne. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages 90, 91, 195, 101,102.

La méditation implique une modification consciente de notre état d’esprit, c’est un état de réceptivité de vibrations supérieures. Une perception intérieure,  l’intuition que seul, ce qui trouve un écho au plus profond de soi est réellement important.

La méditation bouddhique (Jhāna en Pāli, Dhyāna en Sanscrit) compte huit degrés de plus en plus subtils, c’est-à-dire permettant d’atteindre des états de conscience de plus en plus sublimés, comme des vibrations de plus en plus hautes en fréquence. Il faut rappeler à cette occasion, qu’il est vain de d’attendre de la méditation un objectif précis. Pour Alan Watts dans la méditation, comme dans la musique, le but n’est pas la fin du morceau. La musique nous transporte de joie. La méditation nous transporte dans d’autres niveaux de conscience. 

 

« La connaissance spirituelle ne peut jamais être obtenue par la simple observation, mais seulement par une complète participation de l’être entier […] [Les mystiques] en état de profonde méditation, atteignent un point où la distinction entre l’observateur et ce qui est observé s’effondre complètement, où sujet et objet fusionnent en un ensemble indifférencié et unifié […]

Lorsque les mystiques orientaux nous disent qu’ils expérimentent tous les objets et phénomènes comme autant de manifestations d’une unité fondamentale, cela ne signifie pas qu’ils déclarent toutes choses égales. Ils reconnaissent la spécificité des phénomènes, mais en même temps, ils sont conscients que les différences et les contrastes sont relatifs, à l’intérieur d’une unité comprenant tout. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages 144, 147.

 

« Mystikos, c’est ce qui est caché, invisible aux facultés de perception sensible, insaisissable au niveau des évidences communes et par les organes de perception commune. Mystique est, quant au mot et aux faits, essentiellement associé à mystères, à ce qui dans l’Antiquité s’est appelé religions à mystères et dont les initiés s’appelaient les mystes (mystères d’Éleusis, de Mithra, etc.) » Henry Corbin, Cahiers de l’Herne.

 

Selon Raymond Abellio, il y aurait toutefois une distinction entre la mystique et la gnose :

 

« Dans la mystique il y a un facteur de dissolution de la conscience, d’assoupissement de l’intelligence et par conséquent un risque d’aliénation de l’être. La mystique conduit à l’extase, à la fusion de l’être individuel dans le monde, à une sortie de l’être hors de soi. La gnose est exactement l’inverse, l’intelligence y est active, elle ne conduit pas à l’extase, mais à ce que Mircea Eliade a nommé d’un néologisme, l’entase, c’est-à-dire l’inverse de l’extase, la concentration des puissances de l’être. Cela est capital, la gnose permet le jeu de la rationalité ». Approches de la Nouvelle Gnose.

 

    Celui qui médite s’abandonne à sa propre compréhension du monde. La compréhension que toutes choses est l’Unique, et son corollaire, la compassion sans limite. C’est voir les choses non plus à partir du « moi », mais vues « du Ciel », comme disaient les anciens Chinois, c’est à dire dans leur globalité, les choses reliées les unes aux autres, vues de Sirius. On est alors mieux à même de se connaître et de connaître les autres, de s’aimer et d’aimer les autres. C’est aussi une vision des choses hors du temps, par un saut-quantique, c’est-à-dire par un saut de la conscience par dessus l’illusion du temps.

 

Dans le soufisme d’Ibn’Arabi : « L’âme "se connaît" en "connaissant son Seigneur" ». C’est à dire que l’âme n’existe pas chez celui qui ne s’est pas arraché au monde. L’âme n’est pas statique, elle se construit, elle est mouvement, elle est processus, elle ne se révèle que dans l’imagination créative,  l’imagination active.

 

« L’imagination active est l’organe de pénétration dans un monde réel, qu’il nous faut désigner de son propre nom, à savoir, l’imaginal. » Henry Corbin, Cahiers de l’Herne.

 

L’imaginal, ce que le mystique perçoit à travers la conscience du Tout, n’est pas imaginé, c’est-à-dire purement inventé, ni simplement imaginaire, c’est-à-dire le résultat d’une activité psychique.

L’âme se révèle chez celui qui perçoit la Permanence, dans le monde de l’impermanence, le « hors du temps », dans la temporalité et le vide tout en ayant les pieds sur terre et toute sa conscience. Il perçoit que « ce n’est qu’aujourd’hui qu’arrive ce qui est toujours déjà arrivé ».

 

« Le Royaume du Père est comparable à un marchand qui possédait une cargaison de marchandises. Il trouva une perle. Le marchand était un sage : il vendit toute sa cargaison et acheta la perle. Vous aussi, préoccupez-vous du trésor non périssable ; celui qui demeure là où la mite n’approche pas, là où le ver ne ronge pas. » Évangile selon Thomas, logion 76.

 

Dans l’islam, le mystique voit les choses  d’Hûrqalyâ, c’est-à-dire du monde Imaginal, de l’entremonde, monde entre-deux. L’Imaginal n’est pas l’imagination, productrice d’erreurs et d’illusions ; il ne s’agit ici ni de fantaisie, ni de poésie, ni de rêve, mais selon Henry Corbin, de l’imagination créatrice, c’est-à-dire d’un type particulier de conscience qui s’insère dans la conscience de toutes choses, dans la conscience du Tout, qui est conscience de l’Un. Sans perdre de vue que la conscience est une fonction et non une entité.

C’est découvrir le sens caché des choses, grâce à nos perceptions spirituelles. Alors, l’histoire spirituelle, comme le Tao, transparaît à travers l’histoire événementielle.

L’Imaginal, monde entre-deux, se situe entre le visible et l’invisible ; c’est un monde intermédiaire, entre la Cohérence du Tout (le Tao), imperceptible, et la réalité perçue par nos sens.

L’Imaginal permet de relier tous les êtres humains à tout ce qui est animé ou inanimé, dans une foi en la Cohérence cosmique. L’Imaginal permet de dépasser le dualisme et de percevoir la complémentarité des oppositions dans l’Harmonie universelle, qu’Henry Corbin appelle « l’âme du monde ». L’Imaginal nous amène à nous resituer dans cette Cohérence cosmique, et aujourd’hui, à resacraliser la nature.

En contemplant véritablement la nature, on la ressent et on reconnaît qu’elle nous ressent également.

« La méditation n’est pas séparée de la vie, n’est pas une retraite en un monde irréel. Elle est ce qui permet d’aller au cœur des choses mêmes, à chaque instant des moments de l’existence. Quand on épluche des légumes, l’essence de la spiritualité c’est d’éplucher parfaitement les légumes et rie n d’autre, c’est-à-dire ne pas faire de projets, de ne rien regretter, imaginer ou désirer. La contemplation permanente et détachée des sensations corporelles et des états de l’esprit amène progressivement à une acuité considérable de l’attention et de la vision mentale » Jean-Pierre Schnetzler, La méditation bouddhique, p 48.

    C’est en se concentrant sur l’infini que l’on calme l’agitation physique et mentale, que l’on arrive à ne plus être affecté par le trouble et le doute résultant du jeu des contraires.

    Pour cela il n’est plus besoin de  penser à quoi que ce soit, mais de se laisser fondre, de s’abîmer dans le néant de toute chose. Parce que la quasi-totalité de notre environnement, si complexe et si agité, en fait, pour celui qui ne se satisfait pas du superficiel, n’est que néant. Ce n’est pas comme le croient certains, un nihilisme au sens commun, mais un nihilisme inversé. C’est le monde connu par nos sens, qui est illusion, néant, sans aucune importance, et « Prajnâ », », en revanche, qui est la compréhension intuitive totale,  c’est le Tout, qui est indivisible, c’est pourquoi il est Un. C’est l’Énergie, principe organisateur du Tout, de la globalité. Il est fondamental de le sentir en soi ou à travers soi.

 

« Si ce non-né, non-devenu, non-conditionné, non-composé n’était pas, il n’y aurait aucune évasion possible pour ce qui est né, devenu, conditionné, composé ». Khuddakanikâya.

 

« Si vous entendez une phrase comme "toute vie est fondamentalement une !", vous devez être disposé à la sentir, avant de demander "qu’est-ce que cela signifie ?". Être plus précis ne rend pas forcément les choses plus inspirantes. »     Arne Næss, Écologie, communauté et style de vie.

 

Dans la mesure où nous avons compris que nous faisons un avec toutes les choses de l’univers, nous n’avons plus besoin de ces si nombreuses informations après lesquelles nous courrions. 

 

« La certitude d’une unité fondamentale de toutes choses, d’une interdépendance au niveau des actions et des évènements, est la base même du mode de pensée oriental, pour qui tous les phénomènes, quels qu’ils soient, sont des manifestations du UN seul et indivisible. Et cette notion se retrouve, pratiquement inchangée, dans toutes les traditions ésotériques de tous les peuples. Tout ce qui existe est considéré comme étant interdépendant, inséparable, comme des formes transitoires et perpétuellement changeantes d’une même et ultime réalité. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 334.

« [C’est] l’ignorance [qui] entraînait la confusion et nous faisait croire à la réalité objective d’un univers séparé de Soi-même. » Jean Papin, Tantra et yoga.

« C’est ce qu’on appelle aujourd’hui une vision systémique, ou encore holiste (du grec holos : la totalité), non plus une vue de la réalité sous forme d’une dissociation en éléments plus petits et séparés, mais une vision globale, tenant compte des interactions des parties entre elles. » Patrick Trousson, Le recours de la science au mythe.

 

Un exemple n’ayant qu’une valeur métaphorique peut d’ailleurs être donné à partir de l’hologramme : un quelconque morceau d’une plaque holographique cassée, peut, semble-t-il, reproduire la totalité de l’image.

À partir de là, David Bohm aurait imaginé que chaque région de l’espace-temps, si petite soit-elle, pouvait contenir une information sur l’univers tout entier.

 

Notons que pour Plotin (205-270) déjà « chaque chose possède toutes les choses en elle et voit aussi toutes choses en chaque autre, en sorte que partout toutes choses sont là, chacune est toute et toutes sont chacune et la splendeur est sans borne » Les Énnéades.

 

« Pour Plotin (205-270) [comme pour les taoïstes] le monde sensible n’est pas l’œuvre d’un créateur qui l’aurait fabriqué en raisonnant et réfléchissant […]

Le monde des formes […] est comme un organisme unique qui trouve en lui-même sa raison d’être et qui se différencie en parties vivantes… On peut dire qu’il s’invente lui-même, qu’il se pose lui-même. Il est, comme le disait Uexküll de l’organisme vivant, "une mélodie qui se chante soi-même" […]

Celui qui se plaint de la nature du monde ne sait pas ce qu’il fait et jusqu’où va son audace. C’est qu’il ignore l’ordre continu des choses […] Le mal n’est pas étranger à l’ordre de l’univers, puisqu’il résulte de cet ordre ». Pierre Hadot, Plotin ou la simplicité du regard.

 

Pour d’autres, les univers se tissent et se détissent en fonction de nos niveaux de conscience. Nous créons, en fait, le monde que nous sommes capable de comprendre.

Dans la méditation, il s’agit d’exclure du mental les milliers d’idées et d’images qui le sollicitent. Il est possible toutefois, au début, de se concentrer provisoirement sur l’une d’elles, ou mieux, sur la respiration. Il faut également rester sourd à l’appel des sens toujours en éveil.

Alors l’activité cérébrale peut s’arrêter et apparaît une ouverture directe sur l’univers, une compréhension intuitive totale de sa cohérence et de sa globalité, parce que l’être n’y est pas isolé, et qu’il fait partie d’un ensemble où tous les éléments et toutes les énergies sont en perpétuelle interaction. Cette connaissance de la « nature du Bouddha », ce ré-enchantement de l’univers, est, pour celui qui médite, une réalité que le langage ne peut ni commenter ni même exprimer.

La « nature du Bouddha » est « non dissociée », elle est « entière », comme le miroir qui « voit » mais ne condamne ni n’admire.

Même si l’on a réussi à découvrir sa propre nature, en la libérant d’un maximum de conditionnements (sociaux, religieux, familiaux) cela ne signifie pas, bien sûr, que l’on a expérimenté la « nature du Bouddha ».

Celui qui a fait l’expérience de la « nature du Bouddha »,  se situe par-delà les valeurs humaines. Il regarde la mort de son enfant ou celle d’une multitude d’affamés ou encore sa propre mort arriver… avec la même équanimité, avec la même compassion, que s’il assistait à l’agonie d’une antilope sous la griffe d’une lionne. Hors de l’Illumination, générée le plus souvent par la méditation, cette Connaissance reste au fond de l’être.

Dans un conte bouddhiste, un vieux sage bénéficiait d’une telle réputation, que l’empereur voulu lui demander conseil et demanda donc à son plus fidèle samouraï d’aller le chercher.

Au bout de plusieurs jours de voyage, le samouraï arriva devant la cabane du sage, mais celui-ci répondit qu’il n’avait rien à demander à l’empereur, et que c’était donc à ce dernier de se déplacer. L’empereur entra dans une grande colère et ordonna au samouraï de ramener le sage ou de le tuer. Lorsque le samouraï dit au sage qu’il allait lui couper la tête s’il ne venait pas avec lui, le sage lui tendit le cou. L’envoyé de l’empereur ne put s’exécuter. Il retourna devant l’empereur, lui tendit son sabre afin qu’il le punisse comme il le méritait. Mais l’empereur fut si impressionné par ce sage qui ne craignait pas la mort et par ce guerrier qui préférait mourir que de le tuer, que finalement il consentit à se déplacer jusqu’au vénérable vieillard.

Cela signifie que le summum de la sagesse est d’arriver au point où l’on est détaché de sa propre vie, parce que l’on a compris qu’elle n’est constituée que d’illusions.

Tout le monde pense et tout le monde est, même mon chien et mon chat ; entre eux et moi il n’y a qu’une différence de degré et non de nature.

Toutes les pensées sont en définitive inutiles puisqu’elles sont créées par l’homme.

Que nous a apporté la pensée ? De Platon à Heidegger, nous en avons fait le tour, mais tous ces penseurs n’ont cessé de révéler leurs désaccords,  de créer des écoles s’opposant les une aux autres, sans vraiment clarifier les enjeux. Chacun a pourtant présenté ses arguments avec logique et raison. Certes nous ne parlons pas là de ceux qui se complaisent dans l’abscondité. Même en faisant le tri, et ne conservant que ceux qui respectent le « qui ce conçoit bien s’énonce clairement », la pensée humaine n’a alimenté le plus souvent que des guerres d’ego. Selon le Bouddha, toute pensée est conditionnée. La pensée nous menant à une impasse, il est peut-être temps de se tourner vers l’a-penser. 

Pouvons-nous Être sans pensée conditionnée ?

 

« La pensée, même juste, est toujours conditionnée : elle est un résultat, un produit fabriqué, une coordination d’éléments, le résultat de la mémoire, d’un modèle, de l’habitude, de l’exercice. Elle se façonne d’après la peur et l’espoir, l’envie et le devenir, l’autorité et l’imitation. 

[…] Nos esprits sont le produit de nombreux hiers et le présent n’est que le passage d’hier à demain.

Notre pensée, notre activité, notre être ont le temps comme fondation ; sans lui nous ne pourrions pas penser, car la pensée est son produit, elle est le résultat du  passé : il n’y a pas de pensée sans mémoire. » Krishnamurti, La première et la dernière liberté. P 177.

 

À noter que Krishnamurti différencie la pensée du « penser », qui en revanche permet l’observation de soi-même en débusquant ses propres conditionnements. « Le penser » se réalise en dehors des mots, dans le « silence » (La Révolution du silence).

 

Notre mental, que certains nomment esprit, est le siège d’un dialogue intérieur peuplé de peurs, d’angoisses, de questions sans réponse, de phantasmes, de préjugés et de stéréotypes qui soutiennent l’ego en consommant énormément d’énergie et empêchent l’homme dit civilisé, de voir véritablement ce qui « est ». En fait nous substituons nos pensées à la réalité.

Nos interminables monologues mentaux, ne sont que des justifications de notre ego que nous édifions rêverie après rêverie, afin de le rendre inviolable. Nos pensées sont le résultat subtil du conditionnement social, qui, dans un contexte occidental patriarcal d’économie libérale, nous incite à croire que nous sommes quelqu’un de spécial et d’unique, cherchant sans cesse la reconnaissance des autres. Nous nous persuadons de l’existence de notre personnalité, par d’incessants scénarios mentaux où nous sommes toujours la vedette, à défaut de l’être réellement. La confrontation des idées n’y a pas sa place ; les contestataires éventuels sont en fait des spectateurs muets incrustés dans la toile de fond de ce théâtre virtuel où nous nous complaisons.

Il n’y a pas de pensées ou de sentiments en propre, ce que l’homme nomme sa conscience, n’est la plupart du temps qu’un fatras de conditionnements hétéroclites, de mémoires emmagasinées depuis l’enfance et qui ne servent qu’à nourrir l’ego. La véritable conscience est libre de toutes chaînes.

 

« Il est dit dans les Livres sacrés que celui qui arrive à arrêter sa pensée goûtera la béatitude et l’immortalité. » Omraam Mikhaël AÏvanhov, Les secrets de la nature.

 

Parce que la mort n’est plus un problème, elle n’est que la fusion dans le tout.

 

«  Si nous ne détruisons pas nos pensées, nos pensées nous détruiront » Oskar Panizza

 

Ce qui est vraiment difficile, c’est la non-pensée ou l’a-pensée, une « absence d’esprit ». Le véritable esprit est absence d’esprit, c’est la vacuité.

L’on n’y arrive qu’après une longue pratique, une grande persévérance et encore…

 

« Le silence mental n’est pas quelque chose qu’on peut fabriquer par des pratiques. Tout ce qu’on peut faire, c’est observer, écouter son bruit mental incessant. La méditation sert d’abord à ça : se rendre compte qu’on est incapable de méditer. » Pierre Feuga, Fragments tantriques.

 

La non-pensée est un instant de détachement total qui permet l’inactivité de l’ego, l’oubli des mémoires qui nous enracinent au passé, à tout ce qui est révolu mais qui continue à miner le mental. Détaché du mental, l’on se confond avec le spectacle du monde.

« C’est un état de plénitude, d’intégrité mentale par lequel l’esprit fonctionne librement et aisément, sans qu’une sensation d’esprit second ou ego vienne se superposer et l’entraver […] Les philosophes n’admettent pas facilement qu’il arrive un moment où la pensée, comme la cuisson d’un œuf, doit s’arrêter. » Alan Watts, Le bouddhisme zen.

 

Méditer, c’est réussir à maintenir un équilibre entre deux attitudes qui semblent s’opposer : la relaxation et la concentration et les rendre donc complémentaires, à l’instar de ce que sont le Yin et le Yang.

Le véritable esprit est absence d’esprit, c’est la vacuité. On n’y arrive qu’après une longue pratique, une grande persévérance

« La plupart d'entre nous ne pouvons nous empêcher de penser constamment; nous nous parlons à nous-mêmes. Si je parle tout le temps, je suis incapable d'écouter ce que les autres ont à dire. Exactement de la même manière, si je pense tout le temps, en d'autres termes si je me parle tout le temps, je n'ai rien à quoi penser - sinon des pensées. Je vis donc entièrement dans l'univers des symboles, et je n'entre jamais en contact direct avec la réalité. Je veux avoir ce contact direct avec la réalité: telle est la raison d'être fondamentale de la méditation. » Alan Watts, L'envers du néant

« La vacuité ne se confond nullement avec le néant. Elle est vacuité d’être et de non-être ». Guy Bugault, Nāgārjuna.

« A-Penser : Terme forgé par l’Ecole occidentale de yoga ; "a" privatif. Exercice mental qui consiste à stopper régulièrement le mécanisme de la pensée pour arriver au vide mental, dans le but de reposer le mental et de ne plus s’identifier à ses pensées, de ne plus se laisser vampiriser par elles ; dégager en soi le mental complémentaire et inconscient de l’anima-animus. » Jean-Louis Bernard, Le tantrisme, yoga sexuel, p 13.

Le psychanalyste Carl Jung appelle en effet, « Anima » la part féminine de l’inconscient de l’homme et « Animus » la part masculine de l’inconscient de la femme.

 « [Le tantrika] s’exercera à stopper le mouvement perpétuel de la pensée, pour figer son mental masculin. Par une lente réaction, il éveillera dans son inconscient le mental féminin de l’anima. Cette technique s’appelle l’a-penser, ou arrêt du mouvement mental. […]  Ce système exige la relaxation, le sujet devant être couché, assis ou encore accroupi. Il consiste à stopper le rythme centrifuge de la pensée, c’est-à-dire à ne penser à rien. On n’y réussi d’abord que quelques secondes. Mais c’est déjà l’occasion d’une découverte capitale : nous ne sommes pas notre mental, celui-ci n’est QU’UN INSTRUMENT : NOUS POUVONS DONC EXISTER SANS PENSER. Autre découverte : nos pensées sont les enfants de notre cerveau. Si elles ne s’épuisent pas en actes concrets, elles demeureront sur orbite ; inlassablement, elles vampiriseront notre potentiel mental, pour grossir ou simplement survivre […] L’arrêt subit du mécanisme mental affole les pensées obsédantes dont beaucoup finissent par éclater, ce qui soulage le cerveau. Et la pratique régulière de l’a-penser est une hygiène mentale ; elle se répercutera sur tout le biopsychisme qu’elle régénérera. Les gens à la pensée lourde et encombrée vieillissent vite. L’a-penser présente un autre avantage : par le jeu de la loi d’alternance, l’arrêt mental provoquera, dans l’activité journalière, la concentration mentale automatique sur des actes moindres qui deviendront efficaces, parce que centrés.» Lean-Louis Bernard, Le tantrisme, yoga sexuel, p 161.

 

« Puisqu’un problème devient de plus en plus complexe au fur  et à  mesure  que  nous   l’examinons, l’analysons, le discutons, nous est-il possible de le voir d’un seul coup, dans son ensemble ? […] Il est évident que nous ne pouvons trouver la solution qu’en considérant l’ensemble dans son unité et non en le divisant en compartiments. Mais est-ce possible ? Cela n’est possible que lorsque le processus de la pensée – lequel  a sa source dans le moi, dans le conditionnement de la tradition, des préjugés [des médias] de l’espoir, du désespoir – a pris fin […] Le moi est un problème que la pensée ne peut pas résoudre. Il faut pour cela une lucidité qui n’est pas du monde de la pensée. Percevoir les activités du moi sans condamner ni justifier, les percevoir suffit. 

[…] Lorsque je veux comprendre, examiner une question, je n’ai guère besoin d’y penser : je la "regarde" […] En cet état de tranquillité d’un esprit [mental] réellement silencieux, est l’amour. Et seul l’amour peut résoudre tous nos problèmes humains.

[…]Tant que nous ne saurons pas transcender cette pensée qui ne tend qu’à diviser, à mettre l’accent sur le "moi" et le "mien" – sous une forme collective ou individuelle – nous n’aurons pas la paix, mais des conflits perpétuels et des guerres ». Krishnamurti, La première et dernière liberté.

P 151, 152 et 157.

 

À chaque fois que l’on se surprend à rêvasser, ou surtout à se plonger dans le passé en y imaginant des scénarios plus satisfaisants pour notre ego, demandons-nous : pourquoi est-ce que je pense à cela ? D’où vient cette pensée totalement inutile ? Le passé n’est plus, cette vaine re-mémorisation  m’empêche d’être dans le présent, attentif à ce qui se passe en moi et à l’extérieur de moi. Ces questions posées à soi-même, deviendront un réflexe, et nous ne serons plus minés de l’intérieur par ce brouhaha incessant.

 

« Tout l’enseignement du bouddhisme, et de fait, la totalité de la spiritualité orientale, tourne autour de ce point de vue absolu qui est atteint dans le monde de d’acintya, ou sans pensée, où l’unité de tous les contraires devient une expérience vivante.

[…] Puisque tous les opposés sont solidaires, leur antagonisme ne peut jamais mener à la victoire écrasante d’un seul côté, mais sera toujours une manifestation du jeu mutuel de deux force. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 148.

Un exemple peut illustrer ce non-penser : imaginons un problème social, politique ou philosophique quelconque ; imaginons d’utiliser les arguments pour une thèse, puis les arguments contre, aussi irréfutables (à l’instar des sophistes). Cela nécessite bien sûr une grande capacité de compréhension des choses, qu’on les voie « du Ciel », que l’on ait une totale compréhension du pour comme du contre. C’est bien sûr une expérience qui dépasse les capacités mentales de la plupart des individus. Le non-penser, se situe entre les deux, « entre "les opposés inséparables", entre la vie et la mort, le bien et le mal, le plaisir et la douleur, le gain et la perte » (Alan Watts), là où est le vide du discours, là où il n’y a plus de « raison de raisonner ».

    Ce que dit Éliphas Lévi du cabaliste peut très bien s’appliquer au taoïste :

« Il est plus catholique que M. de Maistre, plus protestant que Luther, plus israélite que le grand rabbin, plus prophète que Mahomet ; n’est-il pas au dessus des systèmes et des passions qui obscurcissent la vérité, et ne peut-il pas à volonté en réunir tous les rayons épars et diversement réfléchis par tous les fragments de ce miroir brisé qui est la foi universelle, et que les hommes prennent pour tant de croyances opposées et différentes ? » Histoire de la magie.

    Toutefois pour certains bouddhistes zen, comme pour les taoïstes, toute méthode artificielle, comme les efforts pour agir sur son propre esprit, sont vains, contradictoires avec le non-agir, le laisser faire. À l’instar de celui qui court après un bœuf alors qu’il le chevauche. Plutôt que de tenter de vider son esprit, il vaudrait mieux le laisser aller, laisser les pensées venir et partir, sans les retenir ni les orienter.

Laisser l’esprit se diluer, laisser le mental tourner à vide si nous ne pouvons l’arrêter.

Laisser les images se succéder comme vues de la fenêtre d’un train, sans se fixer sur l’une d’elles.

Laisser la vacuité nous envahir, s’installer dans tout le corps : « l’homme véritable respire avec ses talons ».

Alors l’imaginal surgira dans le mental libéré de toute pesanteur.

 

« Wou-wei ressortit à la doctrine du non-agir, de la non-action, [à ne pas confondre avec le laisser-faire et l’indifférence]. Or le taoïsme ne prêche pas l’insouciance mais l’engagement total des êtres dans la vie. [Traduction la plus adéquate] : non-ingérence ou lâcher-prise, politique du naturel, respect de la vie, largeur d’esprit, détachement, tolérance intuitive, état sans désir, sérénité qui épuise les tensions, doctrine de l’immédiateté, qui exige une adaptation spontanée à la vie.

[…]Wou-wei n’est pas à confondre avec l’apatheia, l’ataraxie des stoïciens, qui est fondée sur le désespoir et qui prêche l’abolition des sentiments.

[…] Wou-wei implique la non-résistance et la non-violence. Lao-tseu prêchait la non-violence, mais ajoutait qu’il fallait en outre récompenser le mal par le bien [comme le Bouddha et Jésus].

[Il s’oppose à] Confucius qui disait : « Si l’on rend le bien pour le mal, par quoi rétribuera-t-on la bonté ? ».

J.-C. Cooper, La philosophie du Tao.

 

« Par Wou-wei il ne faut pas entendre ne rien faire, il faut entendre qu’on laisse chaque chose se faire spontanément, de sorte à être en accord avec les lois naturelles. Quand on parle de non-action, d’aucun comprennent qu’il vaut mieux être allongé que de marcher. Il va sans dire que leur entendement est erroné et qu’ils sont dès lors incapables de saisir la philosophie de Tchouang-tseu ». Huo Hsiang.

 

« [Woo-wei] c’est l’art de maîtriser les circonstances sans leur opposer de résistance ; le principe d’esquiver une force qui vient vers vous en sorte qu’elle ne puisse vous atteindre. Ainsi, celui qui connaît les lois de la vie jamais ne s’oppose aux évènements… Il en change le cours par son acceptation, par l’intégration, jamais par le refus ». Lin-Yu-tang.

« [Dans la contemplation assise, le za-zen], il s’agit simplement d’une prise de conscience paisible, sans commentaires, de ce qui se passe alentour. Cette prise de conscience s’accompagne d’une sensation très vive de "non-différence" entre le soi et le monde extérieur, entre l’esprit et son contenu, les bruits, les objets et autres manifestations du monde ambiant.

[…] La vie de "contemplation assise" a perdu de son attrait , car aucune religion n’est reconnue valable si elle ne concours à faire "progresser le monde", et il est difficile d’admettre qu’il puisse progresser en restant immobile. Il est cependant évident que l’action sans la sagesse, sans la claire conscience de ce qu’est réellement le monde, est incapable de perfectionner quoi que ce soit ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

   En fait le non-agir est l’inverse de l’agir, c’est-à-dire des actions déterminées par l’ego esclave des conventions et des conditionnements, des actions qui, en fait, empêchent notre accès à la libération.

C’est en cela que le non-agir, signifie ne rien faire qui risquerait de déranger l’ordre de la nature.

L’observation de la nature nous aide, mieux que l’érudition, à comprendre le Tout, Parce que l’homme ne peut trouver un sens à sa vie qu’en vivant en accord et en relation avec le Tout. Et surtout depuis la révolution industrielle, il s’en écarte chaque jour, et nous verrons plus loin, que ce n’est pas la « croissance verte » qui ralentira sa course absurde.

    « Nous devons devenir pareils à la lumière blanche dans laquelle toutes les couleurs sont présentes, qui n’en altère aucune parce qu’elle n’en repousse aucune, et qui possède en elle-même le pouvoir de répondre à chacune. » Annie Besant, Le pouvoir de la pensée.

    Sollicités en permanence par les médias, incités à des désirs parasitaires par la publicité, enfermés dans  l’affairement quotidien, angoissés par une surcharge de soucis réels ou supposés,  nous ne savons plus où donner de la tête, nous sommes alors la proie de nos émotions et ne sommes plus capables de discerner le vrai du faux, nous avons perdu toute lucidité, ce qui est la plus grave chose qui puisse arriver à un être soi-disant pensant. Notre mental a un grand besoin d’espace.

    La pensée des sages bouddhistes, épicuriens et stoïciens pouvait, semble-t-il, atteindre des profondeurs où elle devient non-conceptuelle.

    « Je vois dans le vide infini s’accomplir toutes choses ; à ce spectacle une sorte de volupté divine, un frisson m’envahit, tant la nature est visible… »  Lucrèce, De la nature des choses.

« Dans la vision orientale, la réalité […] est souvent décrite comme sans forme, vide, mais ce vide ne doit pas être considéré comme pur néant. Le vide est, au contraire, l’essence de toutes formes et la source de toute vie […] Les bouddhistes expriment la même idée lorsqu’ils nomment la réalité suprême sunyata, « vacuité » ou « vide », et affirment que c’est un vide vivant, origine de toutes formes dans le monde tangible […]

Le vide n’a rien à voir avec le néant ! Au contraire, il contient un nombre illimité de particules qui naissent et disparaissent sans fin […] Comme le vide oriental, le « vide physique » n’est pas un pur néant, mais contient la potentialité de toutes les formes du monde particulaire. Ces formes, à leur tour, ne sont pas des entités physiques indépendantes, mais simplement des manifestations transitoires du vide fondamental sous-jacent. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages  215, 216 et 226.

    Par-delà l'entendement commun il y aurait un espace où l'esprit se dissout. Là où se situe « L'union de l'instant infime et des âges incalculables ». Maître Dogen, La présence au monde.

Là se situe l’Éveil. Mais comment comprendre le tao et l’Eveil ?

   « "L’Illuminé", "l’Éveillé", qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi le Bouddha emploie-t-il ce terme ? Parce que nous vivons en dormant. Nous dormons tout le long de notre vie », p 475. Tiziano Terzani, La fin est mon commencement.

Partons du visible, c’est-à-dire de ce qui est impermanent.

Nous-mêmes sommes impermanents, périssables. Tout ce que nous voyons est périssable, tout ce que nous percevons est composé et sera décomposé.

Mais nous avons une idée de ce qui est moins périssable que nous : la lune, le soleil, les étoiles. Il n’y a pas si longtemps, on croyait même que les astres étaient éternels.

« Les nuages et la lune sont toujours les mêmes, les vallées et les montagnes changent » Dôgen, La présence au monde.

Mais par delà les astres, qu’est-ce qui est, a toujours été et sera à jamais ? Alors c’est là qu’est la vérité ; là où rien ne change. C’est là qu’est le Tao. Ce qui est permanent, c’est l’équilibre entre toutes les choses de l’univers ; c’est l’Harmonie. C’est là que se trouve la stabilité, ce sur quoi tout doit reposer, et qui pourtant ne se remarque pas, passe inaperçu. Le Tao c’est ce qui tient tout ensemble. C’est l’Unité primordiale, l’Esprit de l’univers.

Et c’est un Équilibre dynamique, parce qu’en perpétuel mouvement et, répétons-le, où toutes choses sont en en interactions constantes. L’instabilité permanente génère en permanence, l’Équilibre, le Tao.

 « Le Tao, sans faire quoi que ce soit,

   Ne laisse rien d’inaccompli. » Lao-tseu.

« Il est le principe dont émanent toutes les forces, bien que n’étant pas lui-même ces forces, ni d’ailleurs leurs manifestations ». Okakura Kakuzo

« Le prunier fleurit et le printemps est proche […] Tous les printemps sans nombre procèdent de la vertu* cachée du prunier […] Les nuages et la pluie ne sont autres que l’action de la fleur du prunier. Et chaque printemps possède le pouvoir de rendre neuves toutes les choses sans nombre, de rétablir les origines de toutes les choses sans nombre […]  Par "toutes les choses sans nombre", on n’entend pas seulement ce qui relève des temps passé, présent et futur, mais encore ce qui est là dès avant les âges et au-delà de l’avenir», Dôgen.

* Il ne s’agit pas de la vertu au sens moral comme en Occident, mais dans son sens premier de « capacité », comme la vertu d’une plante à guérir telle ou telle maladie.

Or la fleur du prunier est périssable, mais elle annonce le printemps et donc les autres saisons qui suivent. La fleur du prunier annonce toutes les fleurs du monde, puis tous les pétales qui tombent, tous les fruits qui mûrissent, toutes les feuilles qui tombent et toute les neiges qui couvrirons les pruniers et tous les arbres. Par conséquent ce qui est composé et puis se décompose chaque année, révèle que les saisons, sans cesse reviennent, comme le soleil qui se lève et qui se couche chaque jour.

Les discours ne peuvent rendre évident le tao, ni le nirvâna : le nirvâna est la fusion dans le tao, c’est la compréhension totale du tao. Ce ne sont donc ni les oreilles, ni la parole qui enseigne l’Eveil, mais les yeux et la contemplation.

C’est ainsi qu’on ne désire pas le Nirvâna (Nibbana en Pâli), puisque là où il y a désir, il ne peut y avoir le Nirvâna, qui est le résultat inéluctable d’une vision du monde, de la « vision parfaite », lorsque l’on voit le monde juste tel qu’il est. C’est l’extinction des trois feux du désir, de l’agressivité et de l’illusion. Le Nirvâna correspond à la disparition du moi, il est donc ineffable, indicible, au-delà des mots.

De même la fusion, l’abandon dans le Tao, de l’un dans le Tout, ne peut être l’objet d’un désir, tout désir venant de l’ego.

Mais attention nous dit Alan Watts :

« En déclarant que "tout  est le Tao", nous touchons presque au but, mais, juste au moment d’y arriver, les mots deviennent absurdes car nous parvenons à la limite de leur signification puisqu’ils impliquent toujours quelque chose qui les dépasse, et au-delà de cette limite, il n’y a plus de signification ».

L’Eveil n’a nul besoin des mémoires et des connaissances emmagasinées dans le mental pour arriver à la « parfaite vision ». En fait le tao, comme la Loi bouddhique, « est audible, perceptible, par tous les moyens et par toutes les facultés, par le corps entier et par l’esprit entier » (Dôgen), après s’être dépouillé du corps et de l’esprit, donc, en demeurant « ignorant du moi individuel », tel l’inanimé.

De même qu’il y a un printemps à chaque nouvelle année, de même il y a un big-bang après « des âges incalculables ». Chaque printemps rétablit les origines.

Chaque big-bang rétablit les origines.

Chaque printemps procède du tao.

Chaque big-bang, procède du tao.

Les saisons sont la respiration de la nature. Et l’inanimé participe à la grande respiration de l’univers.

Et le big-bang est la respiration du cosmos. Après l’explosion, l’expansion de l’univers est son expiration ; à la fin de ce cycle, tout l’univers se rétractera en un point d’énergie incalculable, ce sera l’inspiration de l’univers… et ainsi de suite, éternellement.

Au moment de l’explosion, une gigantesque énergie a rempli le vide et engendré la matière, et l’expansion de l’univers qui a aussitôt suivi, est son expiration ; à la fin de ce cycle, tout l’univers se rétractera en un point d’énergie incalculable, ce sera l’inspiration de l’univers… et ainsi de suite, éternellement.

Il s’agit là d’une des hypothèses scientifiques concernant l’avenir de l’univers, hypothèse de « l’univers fermé ». L’expansion, suite à l’impulsion originelle du big-bang, se poursuivant jusqu’à un certain point où elle se recontracterait sous l’effet de la gravitation devenue assez forte pour la stopper et renverser le mouvement. Ainsi, l’univers serait « cyclique », passant par le big-bang et le big-crunch, un cycle représentant un « temps incalculable », un « Kalpa ».

Selon le Bouddha, un seul Kalpa est égal au temps qu’il faudrait pour faire disparaître l’Himalaya si une fois tous les trois siècles, on l’effleurait avec une très fine soie de Bénarès ! Et selon les anciens védiques, l’univers respire, et justement, une kalpa représente la moitié d’un mouvement respiratoire.

Dans Patience dans l’azur (page 77), Hubert Reeves, dit avoir calculé ce kalpa et trouvé 10³² années, la durée de la demi-vie d’un atome.

Quelle dérision à côté, l’enseignement biblique qui fait remonter la création du monde à 6000 ans !

Des chercheurs sont plus attirés par la notion d’univers ouvert, qui prévoit un univers en expansion sans fin, et réfutent le big-crunch, au prétexte que notre univers, qui contient dix fois plus de masse invisible que de masse visible, accélère ainsi son expansion. D’autres expliquent l’inverse, la quantité de matière invisible, pouvant à partir d’un certain moment ralentir le processus de l’expansion, puis l’arrêter.

En fait, personne ne peut nier l’existence des trous noirs, ce qu’en 1939 Oppenheimer appelait l’effondrement des étoiles mourantes. L’on assiste alors à une telle augmentation de la force gravitationnelle, que plus rein, même la lumière ne peut s’en échapper. C’est en fait John Wheeler qui 28 ans plus tard, donnera à ces effondrements le nom de trous noirs.

Mais en revanche, certains scientifiques auraient découvert que les trous noirs pourraient paradoxalement, en recrachant une partie d e la matière qu’ils absorbent, être à l’origine de la création d’étoiles et de galaxie.

De son côté, Ilya Prigogine postule de multiples bangs d’un univers en pulsation et donc qu’un nombre infini d’univers a pu exister.

 

« Certains stoïciens croyaient en "l’Éternel retour" : l’univers périt à la fin d’un cycle dans une conflagration, ekpyrosis, pour réapparaître et se dérouler à l’identique et ce, une infinité de fois. » Alexandre Jollien.

 

« Dans la Bhagavad-Gita, le dieu Krishna décrit ainsi le jeu rythmique de la création :

"À la fin de la nuit des temps, toutes choses retournent à ma nature ; et quand vient le nouveau jour des temps, je les introduis à nouveau dans la lumière" […]

Les sages hindous n’avaient pas peur d’identifier ce jeu divin rythmique à l’évolution de l’ensemble du cosmos. Ils désignent l’univers engagé dans une contraction et une expansion périodiques, et donnent le nom de kalpa à l’inconcevable intervalle de temps entre le commencement et la fin d’une création. L’échelle de cet ancien mythe est réellement stupéfiante ; il fallut à l’esprit humain plus de deux mille ans pour renouer avec une telle notion ! » Fritjof Capra, Le Tao de la physique, page 203.

« Le mystère de ses soudaines métamorphoses est inépuisable. De plus, l’étendue terrestre et la voûte du ciel, le soleil radieux et la lune claire, tous participent de la poussée de la sève du vieux prunier, tous ensemble ils tissent un écheveau inextricable », Dôgen.

Le tao c’est cet équilibre entre des milliards et des milliards de paramètres qui en toute interdépendance, en toutes interrelations, font le monde dans lequel nous sommes. Sa présence est dans l’inanimé comme dans l’animé.

« Sachez que la fleur et la terre, l’une comme l’autre, ignorent la naissance. Et comme la fleur ignore la naissance, il en va de même de la terre. Puisque la terre ignore la naissance, il en va de même de la parfaite vision. Ce que l’on appelle « sans naissance » désigne l’éveil suprême. Ce que l’on saisit à l’instant même de l’éveil suprême n’est autre que l’unique branche fleurie du prunier cachée sous la neige […] Le monde entier n’est autre que la fleur du prunier cachée sous la neige […] Le visage originel ignore la naissance et la mort […] La parfaite vision n’est ailleurs qu’en nous-mêmes », Dôgen.

Le tao, la Voie,  c’est le monde vu du « Ciel ». Cela ne signifie pas qu’il est vu à travers la vision que pourrait en avoir Dieu ; (les Chinois ne connaissent pas de mot pour traduire ce que les Occidentaux entendent par Dieu) ; c’est plutôt celle que nous aurions si nous pouvions prendre conscience du TOUT, qui est aussi l’UN. C’est ne faire qu’un avec la Grande Harmonie naturelle, dans la suspension du vouloir.

 

« La vertu ou Te détermine la connaissance et la compréhension qui engendrent la sagesse.

Il n’y a aucun idéogramme chinois qui rendrait la conception occidentale du péché et du sentiment de culpabilité. Le péché, c’est l’ignorance [Bouddha], la bêtise, la déraison.

   […] [Comme il n’y a pas de péché, il n’y a pas de rédemption].

Des concepts comme la corruption et la damnation éternelles sont étrangers au Tao… Il n’y a pas de relation personnelle entre l’homme, un peuple ou un individu élu, et la divinité.

[…] Le taoïsme exclut tout autant des notions comme la consécration, la ségrégation, la sainteté, les demandes en pardon… Il ignore les sacrifices propitiatoires, les prophéties empreintes d’anthropomorphisme ou la prière en vue d’exaucer des vœux personnels.

J. C. Cooper, La philosophie du Tao.

 

Le Te, c’est ne faire qu’un avec la Grande Harmonie naturelle, dans la suspension du vouloir. C’est le sentiment de l’égale dignité de toutes choses. Dans le Tao, toutes les contradictions se résolvent.

    Cela signifie que l’homme qui veut connaître l’univers, doit commencer par trouver en lui-même, la cohérence, l’harmonie de l’univers. Cela nécessite un travail, un effort de compréhension, afin de résoudre les contradictions apparentes. C’est-à-dire d’accepter au préalable les incertitudes, les angoisses, les peurs, et faire l’effort de remonter à leur source, non pas pour les vaincre, mais pour simplement comprendre leur mécanisme.

    « En étudiant l’univers et ses lois, l’homme s’étudiera lui-même, et en s’étudiant lui même, il étudiera la nature »

    P.D. Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu.

Ouspensky veut dire que les lois fondamentales pénètrent toutes les choses et qu’on les retrouve aussi bien dans l’homme que dans l’univers, dans le microcosme et dans le macrocosme.

    Schopenhauer dira également que celui qui voit les choses dans la perspective de l’éternité, dépasse son individualité, et approche la véritable connaissance. La sagesse bouddhique en nous débarrassant des illusions du temps, nous permet de voir les choses du point de vue de l’éternité.

    Et pour Wittgenstein, il s’agit de voir les choses « avec le monde entier comme fond de décors. »

    C’était déjà l’enseignement d’Hermès Trismégiste (le trois fois grand, roi, législateur et prêtre), personnage mythique de l’Antiquité grecque et égyptienne, pour qui, tout ce qui est en bas est comme tout ce qui est en haut, et tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une  seule chose ». C'est-à-dire que l’univers est Un. Tout ce que l’on trouve dans le plan matériel correspond à une vérité dans le plan spirituel. Matière et esprit ne sont pas séparés, ils sont reliés en permanence.

D’autre part, comme nous l’avons vu plus haut, tout est dans Tout ; formules qu’Anaxagore (500-428 av. J.-C.) fera siennes, avant d’être prises à la légère par les « modernes » jusqu’à ce qu’on en comprenne le sens grâce à la physique contemporaine.

Les interdépendances et les interactions  des évènements de l’univers font que ce qui se passe sur la Terre est fonction du grand équilibre, du Chaos-Ordre-Harmonie cosmique. À partir de là, l’homme de la Tradition a commis l’erreur de croire qu’il était possible, à son échelle (par la prière et les rites), d’influencer le Ciel, c’est à dire l’ordre des choses. Cela nous paraît aujourd’hui d’une grande prétention et également un moyen subtil pour les prêtres et les rois, de soumettre les populations crédules. Mais en fait, que savons-nous vraiment de tout ce qui dépasse notre entendement ?

« Une vision cohérente du monde commence à émerger de la physique moderne, en harmonie avec l’ancienne sagesse orientale […]

L’on rencontre même des énoncés dont il est presque impossible de dire s’ils proviennent de physiciens ou de mystiques orientaux. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique. Pages 8 et 19.

    Celui qui a conscience du Tout, voit l’Un dans le Tout et le Tout dans l’Un, comme il voit le Laid dans le Beau et le Beau dans le Laid.

Le beau dans l’art naît certes du génie, mais plus sûrement du labeur, de l’acharnement, de l’effort et de la richesse accumulée de façon inavouable par les puissants. Combien de merveilles du monde créées par l’homme, ne sont sorties de terre que par le sang versé et la spoliation! Des merveilles qui n’auraient jamais vu le jour sans l’exploitation par l’homme, de l’homme et de la nature. Il ne s’agit pas, bien sûr, de justifier l’exploitation, mais de prendre conscience de ce qui se cache derrière la splendeur et la magnificence, par exemple… de Saint-Pierre du Vatican.

« Lorsque la beauté est perçue comme belle,

   Il y a déjà de la laideur ;

   Lorsque la bonté est perçue comme bonne,

   Il y a déjà le mal… »

   C’est le premier principe taoïste selon Alan Watts ( Le bouddhisme zen).

    Dans la nature, le beau n’est qu’un instrument pour séduire le partenaire en vue de la propagation de l’espèce, pour tromper le prédateur à l’affût ou attirer la victime dans le piège.

Cette merveilleuse organisation de la vie nous paraît bien cruelle, mais il faut nous répéter que toutes les valeurs morales auxquelles l’être humain croit « dur comme fer », sont étrangères à la nature. Ce n’est pas pour cela qu’elles ne seraient pas bonnes ; mais il ne faut jamais perdre de vue, que c’est la nature qui a toujours le dernier mot.

Pour comprendre ce qu’est le nirvâna ou le Tao, imaginons un extraterrestre en visite ethnologique, incognito, sur la terre. Dépourvu d’ego humain, il ne juge rien, il regarde les choses comme le miroir, et note seulement ce qui est. Sachant d’où vient l’homme, et sachant où il va, il se contente de vérifier que tout est en ordre, comme dans Récits de Belzébuth à son petit-fils de G.I. Gurdjieff. Alors que nous n’arrêtons pas nous-mêmes, de condamner ce que nous avons fait et faisons encore à ce monde.

Comprendre, c’est comprendre le Tout, comprendre la globalité des phénomènes et l’accepter ; c’est pourquoi « il n’y a rien à chercher et tout à contempler ».

    Seul le silence est de rigueur devant la compréhension. Même si compréhension n'est ni justification ni approbation, puisque ce sont également des jugements.

    Réagir autrement, alors que nous ne pouvons pas connaître l’ensemble des paramètres, est donc stupide et indécent ; ce serait tout simplement la révélation de notre ignorance.

    En fait celui qui souhaite mieux se connaître doit d’abord s’écouter ; il en apprendra plus sur lui-même que sur ceux dont il parle. Par exemple, celui qui s’emporte contre un voleur, révèle son attachement aux biens qu’il possède. Pourquoi cet attachement ? Sans doute parce qu’il a consacré une grande partie de sa vie à cette accumulation, et qu’il ne supporterait pas d’avoir ainsi tant sacrifié pour rien. Mais ces biens qui peuvent être si facilement perdus, représentent-ils véritablement une si grande valeur ?

    À quelqu'un qui lui demandait comment on pouvait devenir maître de soi, Diogène le Cynique répondit : « En se reprochant fermement à soi-même ce que l'on reproche aux autres ».

    Et en effet, nos souffrances viennent souvent de notre incapacité à maîtriser nos émotions.  Que devons nous faire pour ne pas nous laisser emporter par nos émotions ?

    Tout d’abord, nous rendre compte que nous nous laissons emporter. Cela nécessite une Attention permanente.  C’est à dire ne jamais s’oublier soi-même. C’est une discipline très difficile parce qu’elle s’inscrit dans la durée ; il s’agit là, d’endurance psychique.

    En second lieu, dès que nous avons conscience de la naissance de l’emportement et de son développement, il s’agit d’adopter une technique progressive de retour au calme, de revenir au quiétisme, de se forcer à une sorte de relativisme, avec l’aide de la technique de la respiration consciente, profonde et calme, nécessaire pour retrouver le rythme de la sérénité. Et en même temps, il faut adopter une position de détente du corps, c’est à dire de relaxation physique.

À chaque fois qu’un problème surgit, se dire que la plus importante chose au monde, pour soi, est de bien respirer, calmement et profondément, et que le reste est dérisoire.

La plupart de nos réactions, de nos réponses, sont dominées par les émotions. Il s’agit d’acquérir à ces moments-là, le réflexe de retrouver une respiration lente et profonde qui permet de maîtriser les émotions trop fortes, qui risquent de nous emporter. L’on s’apercevra alors que vaines, sont la plupart de ces tentatives de porter haut et fort la contradiction. Et en se taisant, l’on économise ainsi nos énergies pour des causes plus vitales.

Ne nous impatientons pas, mais profitons de tous ces temps d’attente (ascenseur, salle d’attente, embouteillages, etc.) pour respirer, se décontracter, faire le vide dans nos pensées.

« L’essentiel du secret de la vie tient dans le fait de savoir rire et de savoir respirer » Alan Watts, Amour et connaissance.

  Les solutions ne sont pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de soi.

              « Retirez-vous en vous-même, vous y trouverez votre bien. » Épictète. 

    C’est à l’intérieur de soi que l’on peut se rendre compte de l’irréalité de nos frustrations et de nos déceptions qui jalonnent notre quotidien. C’est en regardant « du Ciel », le monde uniformisé dans lequel nous nous débattons telles des fourmis, que l’on peut percevoir la vanité de nos réactions émotives, de nos agitations et de nos verbiages inutiles. Nous ne pouvons monter au Ciel pour voir les choses du plus loin possible, mais tous les sages du monde, de Bouddha à Jésus en passant par Maître Eckhart (1260-1327), nous ont appris que notre espace intérieur est ce « Ciel ».

Ainsi pour les gnostiques, l’Univers est en nous et nous sommes l’Univers ; c’est-à-dire que la Divinité est en nous et que nous sommes en Elle.

« Par l’intérieur on voit le dedans et le dehors. On saisit leur unité. Par l’extérieur on ne voit pas le dedans. » Jean Papin, Tantra et yoga.

    Aucune lecture n’est véritablement utile, il s’agit seulement d’apprendre à lire en soi. On lit en soi en pratiquant le silence, en s’abandonnant au vide… et alors les vérités profondes qui sont en nous arrivent à la conscience… c’est à dire l’évidence de l’inutilité de la haine, de la jalousie, de l’envie… l’évidence de la vanité des certitudes qui mènent à l’incompréhension, à la présomption de soi, à la colère, aux jugements, aux exclusions, aux rejets.

    Posons-nous la question : pourquoi a-t-on été amené à faire souffrir ? Certes il est navrant d’avoir été la cause de la souffrance de l’autre. Mais plus navrant encore serait de refuser de rechercher et de trouver au plus profond de notre inconscient, ce qui nous a incité à faire souffrir l’autre.

Que notre conscient surveille à chaque instant notre inconscient afin que celui-ci ne nous dirige pas.

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