De la Mère aux mâles usurpateurs
La plupart des hommes ne seront pas d’accord avec ma vision du monde, et en particulier avec le rôle malsain du mâle humain vis-à-vis de la nature. Pourtant, la quasi-totalité d’entre eux, approchant de la fin d’une vie dérisoire, ne regrettent qu’une chose : ne pas avoir pu "posséder" toutes les "créatures de rêve" qu’ils ont croisées ou vues avec concupiscence à la télé et dans les magazines. Et cela ne les empêchent pas de se prendre toujours pour des "fils de Dieu" et nier encore ce qu’ils sont réellement : des animaux à part entière.
Le tabou de la matrilinéarité
« Je suis l'ennemi de ce règne de l'homme qui n'est pas encore terminé. Pour moi, la femme est l'avenir de l'homme… »
Louis Aragon (1897-1982), Commentaire au Fou d'Elsa (1963).
L’identité même du christianisme originel se révèle dans la contradiction entre le monde de la Bible
et l’univers de Jésus. L’essence du christianisme originel se situe dans la redécouverte du « Principe féminin », parce que l’esprit féminin apporte la paix et la vie, alors que l’esprit masculin apporte la guerre et la mort. Jésus dit aux femmes de Jérusalem « Heureuses les stériles », parce qu’il a échoué dans sa mission de faire redécouvrir aux hommes le « Principe féminin » qui est en eux. Mission qui recevra le coup de grâce de l’Église. Jésus ne « rachète pas nos péchés », ce qui est absurde ; il avait quelque chose à nous dire et il n’a pas été entendu.
« Cette thèse du rachat de l’homme, par le supplice du "fils de Dieu" sur la croix eut pu passer pour une rêverie cauchemardesque si elle n’avait pas entraîné le fanatisme assassin que l’histoire relate. » Edmond Fieschi, Gnose et gnosticisme.
Après des millénaires d’erreurs et d’endoctrinement, à l’évidence, il est déjà trop tard pour modifier les mentalités des humains d’aujourd’hui.
Il n’est pas inutile, tant l’homme révèle à toute occasion sa prétention, de lui rappeler ses erreurs, par une vision pamphlétaire, politiquement et religieusement incorrecte, mais néanmoins gnostique et néo-gnostique de l’homme tel qu’il est devenu, après que les mâles eurent brisé l’harmonie qui existait entre le masculin et le féminin. Tel qu’il est devenu aussi plus récemment, avec la dilution de ses responsabilités, sous l’effet de la démagogie institutionnalisée, mondialisée et médiatisée.
Il est notable que les œuvres des penseurs les plus lucides sont mises sous le boisseau, et qu’elles ne ressortent, que lorsque les temps sont venus, et qu’il n’y a plus aucun moyen pour les pouvoirs politique, religieux, et idéologique de s’y opposer. Les vérités fondamentales sont même plus faciles à cacher dans les fausses démocraties transformées en démagocraties, que dans les dictatures. Dans ces dernières, des hommes et des femmes éclairés, prennent des risques pour conserver et cacher des écrits interdits, parce qu’ils les vénèrent. Or, dans les démocraties telles que nous les connaissons, c’est à dire dénaturées par la démagogie, seule la médiocrité est vraiment vénérée, et tout le reste est noyé dans le brouhaha médiatique.
Après des millénaires de soumission, la femme a oublié ses pouvoirs passés. Les pouvoirs qu’elle détenait lorsqu’elle était l’instrument de l’Esprit de l’univers, de l’harmonie de la nature, avant la victoire des mâles. Depuis sa déchéance, elle a été conditionnée, par les pères et les maris, à oublier ses souffrances et les injustices dont elle est victime.
Il y a quatre ou cinq mille ans, l’égalité des sexes existait, mais plus tard, le patriarcat a complètement occulté cette période. Il en reste des signes que nous ne percevons plus tant nous avons été conditionnés à ne pas les voir. Par exemple en lisant entre les lignes de la Genèse, il est évident qu’à l’époque d’Abraham (2100 av. J.-.C. selon certains spécialistes) les femmes jouissaient encore d’une certaine indépendance. Elles avaient le droit de posséder des biens. C’est Sara qui obligea Abraham, alors que cela lui déplaisait fort, à se séparer d’Agar et d’Ismaël lorsqu’elle mit au monde Isaac (Genèse 21, 11).
Depuis sa déchéance, la femme a été conditionnée, par les pères et les maris, à oublier ses souffrances et les injustices dont elle est victime.
Le maintien de l’équilibre entre les principes « masculin » et « féminin », n’aurait certes pas empêché les cataclysmes naturels ni les difficultés liées à toute vie sur terre ; elle aurait limité les guerres, les misères et les souffrances. Elle aurait empêché que des mégalomaniaques, obsédés par leur Moi et leur sexe, s’emparent du pouvoir pour satisfaire leurs seuls fantasmes de mâles dominants.
La nature a confié à la femelle comme à la femme, le principal rôle dans la perpétuation de l’espèce. Sa force de séduction attire les mâles, mais c’est elle qui en définitive choisit, sur des critères qui sont, pour la plupart, inconscients. Le plus grand des sages comme le plus puissant des hommes, face à la nudité de Vénus, ne peut qu’être bouleversé et perdre tous ses moyens. Alors, qu’en est-il du mâle commun !
Ce pouvoir était naturel parce qu’il maintenait l’équilibre, l’harmonie, entre l’humain et la nature. Il est donc logique qu’après l’usurpation du pouvoir des Mères par les mâles, cet équilibre soit rompu, et que pour maintenir leur hégémonie contre-nature, les hommes aient dû asservir totalement les femmes.
« Les hommes et les femmes sont différents. Ce qu’il faut rendre égal, c’est la valeur accordée à ces différences »
Diane McGuiness, neuropsychologue, Université de Stanford.
Diane McGuiness, tout en reconnaissant le rôle des conditionnements sociaux, affirme que la constitution neurologique de l’homme est différente de celle de la femme, les hormones sexuelles ayant une influence sur la structure du cerveau. C’est pourquoi leurs façons de penser et de se comporter sont différentes. Le principe féminin serait plutôt tourné vers le sujet que vers l’objet, vers l’être que vers l’avoir. La femme est profondément menée par l’instinct de vie : enfants, animaux, plantes… Et c’est parce que l’homme entretient les mêmes rapports avec la nature qu’avec la femme, qu’il ne respecte pas la nature.
La légende des Taïnos raconte que, dans des temps très éloignés, les femmes dirigeaient le monde au point que le soleil s’en est indigné et qu’il a ensemencé une vierge.
C’est ainsi qu’est né Jurupari pour donner aux hommes les secrets du pouvoir. Des secrets qui ne devaient être transmis qu’aux enfants mâles. Toutefois, sans doute parce que leur terre était si nourricière qu’elle engendrait peu de conflits, les hommes ne semblaient pas abuser de leur pouvoir sur les femmes. Rappelons à ce sujet que lorsque
Christophe Colomb met le pied sur ce qui s’appellera Haïti, il n’en croit pas ses yeux. C’est le paradis sur terre. Les Taïnos vivaient de cueillette, ils étaient libres, personne n’était sous la domination de qui que ce soit, puisqu’ils avaient tout pour être heureux. Les Espagnols, qui décidèrent de cultiver la canne à sucre sur l’île, voulurent mettre les Taïnos en esclavage, mais ceux-ci refusèrent et se laissèrent tous massacrer. Pour travailler la terre, les Espagnols « importèrent » alors des esclaves d’Afrique. C’est ainsi qu’aujourd’hui, après que les Européens, imbus d’humanisme colonisateur et impérialiste, leur eurent apporté la civilisation, Haïti est devenu un véritable enfer sur te
rre. Il est utile de rappeler que les Espagnols, sous prétexte d’évangélisation, ont volé l’or des Amérindiens, violé leurs femmes et leurs filles, massacré plusieurs peuples, alors que les Chinois, selon certains chercheurs, avaient mis le pied sur ce sol quelques décennies auparavant, et en étaient repartis sans avoir exercé aucune exaction.
Selon la cosmologie d’une peuplade de Patagonie aujourd’hui disparue, les Selk’nam, le monde était autrefois également gouverné par les femmes. Un ordre matriarcal qui s’effondra le jour où des hommes massacrèrent toutes celles qui détenaient l’autorité, et instaurèrent la soumission des survivantes.
Ruth Shady, une archéologue péruvienne a mis au jour en 1994, des ruines de la ville de Caral dont l’histoire remonte à 5000 ans avant notre ère, une civilisation qui a connu neuf cents ans sans aucune guerre : aucune trace d’arme n’y a été retrouvée ; sans aucun doute cette société devait être dirigée par des femmes.
À Karakoum, dans le Turkménistan, une civilisation très raffinée et non guerrière a été mise au jour dans les années soixante-dix. Les sépultures ne révélèrent aucune arme, mais beaucoup d’objets d’art mettant en valeur la beauté. Il s’agissait bien sûr d’une société fondée sur la matrilinéarité. Ses habitants vivaient en paix et la prospérité régnait ; leur agriculture était florissante grâce à une irrigation très poussée. Il semble que cette civilisation ait disparu vers 3000 av. J-C, après la prise du pouvoir par celui qui, selon la tradition locale, serait le premier roi de l’humanité.
Les connaissances sur la civilisation de l’Indus, dite aussi civilisation harappéenne, progressent très lentement, pourtant elle est exemplaire : pas de palais, pas de temple ni d’idole, très peu d’armes, pas de fortification. Une société non-violente, qui est pourtant en relation commerciale avec de puissants voisins, la Chine et la Mésopotamie. Des serpents sacrés, des déesses et des figurines de femmes se retrouvent sur des sceaux et font penser aux Divinités-Mères. Rien ne révèle la présence d’un pouvoir central, mais en revanche, la spiritualité semble avoir une place importante et pourrait avoir été à l’origine du yoga et des textes sacrés des Védas, bien avant les Lois de Manu, expression du nouveau pouvoir sans partage des mâles. Le cœur de cette civilisation très sophistiquée, Moenjodaro, la plus grande ville connue de la haute Antiquité, date du IVe millénaire av J-C. Les Harppéens savaient que la terre était ronde, et ils avaient calculé la bonne distance terre-soleil et terre-lune. Une civilisation qui a disparu vers 1800 avant notre ère.
En Nubie (Soudan), les reines noires ou candaces (sœurs), ont régné durant sept siècles, à partir du IIIe siècle av. J-C.
Au centre de la famille, les femmes possédaient les biens et choisissaient leur époux. Elles régnaient sur le foyer et le troupeau, les hommes étant chargés des travaux pénibles. Les reines noires ont vécu
en paix avec les pharaons. Les deux pays ont entretenu des relations diplomatiques et commerciales, jusqu’à ce que l’Égypte décide d’annexer la Nubie qui se défendit avec une force et une volonté qui surprit les assaillants.
Encore aujourd’hui, des tribus comme les Moso ou Mosuos (ou encore Na-khis) en Chine et d’autres en Amazonie, continuent à vivre en harmonie avec la nature, et hommes et femmes prennent les décisions en commun. Pour ces gens là, la terre, l’eau, l’air, la forêt, n’appartiennent à personne.
Pendant longtemps il a été difficile de présenter toutes les traditions qui montraient le statut privilégié de la femme, parce que tous les chercheurs, baignant dans l’idéologie du « progrès », situaient l’épisode du matriarcat au milieu de la chaîne qui menait de la promiscuité préhistorique au stade ultime de l’évolution : le patriarcat. Les savants, les chercheurs, imbus de leur supériorité de mâles, et pour qui « Le monde a toujours appartenu aux hommes », ont nié avec arrogance la réalité, parce qu’elle ne correspondait pas à leur vision du monde, imprégnée du messianisme biblique. Ils ont beau jeu de nier l’existence de sociétés matrilocales alors que les Occidentaux se sont acharnés à éliminer tous les peuples proches de la nature.
Seul au XIXe siècle, Paul Lafargue (gendre de Karl Marx et auteur du Droit à la paresse), avait bien compris le rôle nuisible de l’avènement du patriarcat et dans la revue Le Socialiste (septembre 1886) il dresse un panorama éloquent des mœurs et traditions de nombreuses sociétés primitives ne connaissant pas la famille paternelle. Des Naïrs en Inde, aux Iroquois* en Amérique du Nord, en passant par les Touaregs en Afrique, ce sont les femmes qui gouvernent la maison et qui ont plusieurs hommes afin qu’aucun d’eux ne puisse se revendiquer comme père.
* « La société iroquoise présente tous les aspects d’une démocratie matrilinéaire, essentiellement orientée vers la culture du maïs (15 qualités), de la courge et du haricot (60 variétés). Tandis que les hommes chassent et pêchent dans les rivières et sur les lacs, les femmes se consacrent aux activités agricoles. De longues « maisons communes » construites en écorce abritent plusieurs familles dont chacune est dotée d’un emblème distinctif (totem)… »
T.C. McLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée.
« … Le sexe était une source de jouissance, à laquelle n’était attaché aucun stigmate social. Il n’y avait ni enfants illégitimes ni prostituées, parce qu’aucune valeur particulière n’était attachée à la paternité. Comme le chantent les Ibo d’Afrique, "l’enfant de l’Un est l’enfant de Tous" […] Mais la naissance de la "civilisation", qui fut aussi celle de la transmission patrilinéaire, eut pour conséquences la subjugation et la perversion de la sexualité de la femme - et aussi de l’homme ».
Adele Getty, La Déesse, Mère de la Nature vivante.
Dès les origines, les femmes ont dû prendre conscience de l’irresponsabilité des mâles et de leurs pulsions de violence, et préférer qu’ils n’aient pas de pouvoir sur leur progéniture. Il n’y a donc pas de pères, il n’y a que des oncles, les frères de la mère, qui ont bien évidemment le même sang qu’elle. Le clan, le nom, c’est celui de la mère. C’est ainsi, précise Lafargue, que dans Homère, les héros avant de combattre, s’arrêtent pour décliner leur généalogie. En effet : « Des guerriers placés dans des camps ennemis, pouvaient être membres d’un même clan ; ils avaient besoin de se connaître avant de s’attaquer, pour ne pas commettre le crime horrible de
verser le sang de leur propre clan. Mac Lennan [un chercheur de l’époque], remarque que les héros de l’Iliade, qui détaillent leur généalogie, ne remontent pas au-delà de la troisième génération sans rencontrer un dieu, c’est à dire un père inconnu ; ce qui semblait indiquer qu’à cette époque la filiation par le père était très récente chez les Hellènes. » Paul Lafargue
La filiation paternelle est d’ailleurs bien peu sûre à côté de la filiation maternelle, et révèle surtout l’orgueil aveugle du père.
De fait, dans la nature, l’importance du géniteur mâle est réduite, et chez les humains, son rôle ne dépend que d’une convention sociale.
Quelle dérision, quelle indécence, tous ces pseudo-scientifiques qui ne peuvent admettre l’évidence, et qui s’accrochent à n’importe quel détail archéologique, pour se convaincre de la continuité du patriarcat depuis l’origine ! Une telle mauvaise foi, simplement parce qu’ils ne pourraient supporter l’idée que la Bible n’a aucun caractère sacré. À l’aube du troisième millénaire !
Comment expliquer alors, que depuis les temps lointains, toutes les religions n'ont cessé de rabaisser les femmes et se sont acharnées à leur ôter toute liberté ? Pourquoi les femmes ont-elles été cantonnées dans le seul rôle de la maternité ? Pour les hommes, la nature a fait des femmes, des ventres.
« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… »
Sont-ce les femmes qui vécurent heureuses en ayant eu beaucoup d’enfants ? Quelle tromperie ! C’est l’homme seul, qui en tire de la fierté et peut ainsi montrer à tous, sa virilité.
« Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et dans tous les pays, je suis arrivé à la conclusion qu’au lieu de leur dire bonjour, on devrait leur dire pardon. » Alfred de Vigny
Les hommes (les mâles), ont usurpé le pouvoir que la nature justement, avait donné aux femmes. Ils ont toujours peur qu'elles arrivent à le reconquérir. Parce qu'à l’origine, la société humaine comme la plupart des sociétés animales, était matrilinéaire. La seule divinité , la divinité primordiale, c’était la Grande Déesse. Les déesses Mères sont les manifestations les plus anciennes de la divinité (Edwin Oliver James, 1888-1972, historien des religions). La grande Mère c’est la fondatrice permanente, hors du temps, en quelque sorte immortelle.
« Bien avant la naissance des dieux, l’humanité était placée sous la protection de la Grande Mère, créatrice des mondes, des éléments et des créatures qui la peuplaient. » Françoise Gange, Avant les Dieux, la Mère universelle (Les Dieux menteurs).
Il fut un temps, en effet, où le sexe féminin était sacralisé, parce qu’il était « la porte du divin ».
Le pouvoir de donner la vie était un mystère absolu au sein des sociétés primitives, les premiers hommes n’ayant pas conscience de leur rôle de pères dans la procréation.
Selon Sir James Frazer, l’idée de paternité n’est apparue il n’y a que sept ou huit mille ans, avant, personne ne s’était rendu compte que l’union des sexes ait un rapport direct avec la procréation. Au Paléolithique moyen, la population de la planète ne devait pas dépasser un million d’hommes, les communautés de chasseurs cueilleurs étaient donc très éloignées les unes des autres, et ne pouvaient survivre que grâce à l’endogamie, l’inceste. La croyance en un instinct de répulsion pour l’inceste a fait long feu.
« La paternité physiologique étant inconnue, il n’existait pas de pères au sens actuel du terme : notre famille conjugale (ou nucléaire) ne pouvait donc pas exister. L’erreur que commettent la plupart de nos contemporains, c’est de projeter notre conception familiale sur le passé préhistorique. Il ne pouvait exister alors que des institutions protofamiliales, c'est-à-dire des groupes très larges, dont la cohésion était assurée par seulement par les mères ; d’où l’expression de sociétés matrilinéaires ». Jacques Dupuis, Au nom du Père.
Lorsque les mères, sans doute avant les pères, se rendirent compte du rôle du mâle dans le processus de génération, elles continuèrent à s’accoupler avec différents mâles, afin que ceux-ci ne sachent jamais de quel enfant ils étaient le père. Le mot de « père » n’existait pas. Avec ce système, l’économie domestique de type communiste était largement répandue dans les temps primitifs.
Johann Jakob Bachofen (1815-1887) est le premier à avoir révélé la gynécocratie qui n’est pas seulement une organisation des sociétés matriarcales, mais qui renvoie à une vision du monde, à la sacralisation de la Terre Mère. Mais les théories de Bachofen, surtout en France, en heurtant les convictions religieuses de l’intelligentsia judéo-chrétienne ont été systématiquement occultées ou dénigrées.
De plus, le terme de gynécocratie ou de matriarcat semble inadapté, puisque le pouvoir des Mères, résidait dans le respect de la nature, et ne peut être mis en comparaison avec le patriarcat, dont l’essence même est de s’y opposer.
« Il n’est pas question d’en revenir à la croyance du "matriarcat" de Bachofen. Mais Simone de Beauvoir elle-même reconnaît la "très haute situation" dont la femme jouissait dans la lointaine antiquité. Dans La crise de la psychanalyse, Erich Fromm déclare que la thèse de Bachofen, même fausse, montra une incomparable fécondité pour la pensée du XIX siècle, et que l’avoir méconnue explique en grande partie les aberrations d’un novateur comme Freud lorsqu’il aborde le problème féminin.
Mes recherches m’ont amenée à croire que c’est la défense, les armes à la main, des richesses agricoles, qui est à l’origine des prétendues "légendes" des Amazones et de leurs combats contre les hommes chasseurs et bergers. »
Françoise d’Eaubonne, Le Féminisme ou la mort. P 114
« Les poètes grecs et latins ne forment que le début d’une longue lignée de conteurs qui exalteront la femme armée, la juvénile et farouche adversaire du patriarcat oppresseur. »
Françoise d’Eaubonne, Les femmes avant le patriarcat. P 60.
« Ce qu’on appelle la révolution patrilinéaire n’a pas été le résultat immédiat d’une prise de conscience de la paternité, car de nombreuses sociétés ont conservé les structures matrilinéaires avec des familles sans pères. C’est le déclenchement des guerres, à partir du IVe millénaire, qui a permis aux guerriers conquérants de disloquer les clans matrilinéaires et de fonder des familles patrilinéaires, dans lesquelles les femmes sont peu à peu soumises à la prépondérance masculine. »
« Un des traits les plus caractéristiques de la famille patriarcale est qu’elle est vouée essentiellement à la procréation et qu’elle exclut pratiquement l’amour de l’époque matrilinéaire, physique, amoral et magique. Cet amour libre, sans péché, sans entraves, ne pénètre qu’exceptionnellement dans le couple conjugal ». Jacques Dupuis, Au nom du Père.
Pour les anthropologues français les peuples primitifs étaient des populations très anciennes dont l’évolution avait été interrompue, et c’est pour cela qu’elle ne correspondait pas avec la « flèche du temps » biblique, avec ce pseudo patriarcat originel. Les chercheurs français ne recherchaient que des faits universellement vrais pour toute l’humanité, alors que les anglo-saxons, se méfiant des généralisations, ne rechignaient pas à étudier des cas particuliers. Pour l’anthropologue britannique Edmund Leach (1910-1989), la découverte d’une poignée de faits avérés concernant l’histoire et l’organisation sociale d’une seule tribu, vaut toutes les conjectures concernant l’histoire de l’humanité dans son ensemble.
« Tout le monde, pratiquement, sait qu’aujourd’hui les deux menaces de mort les plus immédiates sont la surpopulation et la destruction des ressources ; un peu moins connaissent l’entière responsabilité du Système mâle, en tant que mâle (et non pas capitaliste ou socialiste) dans ces deux périls ; mais très peu encore ont découvert que chacune des deux menaces est l’aboutissement logique d’une des deux découverte parallèles qui ont donné le pouvoir aux hommes voici cinquante siècles : leur possibilité d’ensemencer la terre comme les femmes, et leur participation dans l’acte de reproduction.
Jusqu’alors, les femmes seules possédaient le monopole de l’agriculture et le mâle les croyait fécondées par les dieux. Dès l’instant où il découvrit à la fois ses deux possibilités d’agriculteur et de procréateur, il instaura ce que Lederer nomme "le grand renversement" à son profit. S’étant emparé du sol, donc de la fertilité (plus tard de l’industrie) et du ventre de la femme (donc de la fécondité), il était logique que la surexploitation de l’une et de l’autre aboutissent à ce double péril menaçant et parallèle : la surpopulation, excès des naissances, et la destruction de l’environnement, excès des produits.
La seule mutation qui puisse donc sauver le monde aujourd’hui est celle du "grand renversement" du pouvoir mâle que traduit, après la sur-exploitation agricole, la mortelle expansion industrielle. Non pas le "matriarcat", certes, ou le "pouvoir aux femmes", mais la destruction du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire d’un monde à renaître (et non plus à "protéger" comme le croient encore les doux écologistes de la première vague). »
Françoise d’Eaubonne, Le Féminisme ou la mort. P 221
Chacun se demande comment il se fait que l’espèce humaine, qui a réussi à dominer et maîtriser toutes les autres, soit incapable de se maîtriser elle-même. La vérité est évidente, mais nous nous voilons la face :
« Le péril écologique mondial est la conséquence de l’appropriation par le patriarcat des deux sources de vie, fertilité et fécondité. » P 15. Françoise d’Eaubonne, Les femmes avant le patriarcat.
« La nature est subordonnée à l’homme, la femme à l’homme, la consommation à la production ; et le local au global, etc. Les féministes ont depuis longtemps critiqué cette dichotomie, en particulier la division structurelle entre homme et nature, qu’elles considèrent comme analogue à celle de l’homme et de la femme. » Maria Mies, Ecoféminisme.
« Dès le moment où il fut officiellement reconnu que c’est à la suite d’un coït que la femme donne naissance à un enfant, les conceptions religieuses de l’homme firent peu à peu des progrès et on cessa d’attribuer aux vents et aux fleuves le pouvoir de féconder les femmes. Il semble que la Nymphe, dans la tribu, choisissait tous les ans, dans son entourage de jeunes hommes, un amant, c’est à dire un roi destiné à être sacrifié à la fin de l’année : il était pour elle un symbole de fertilité plutôt que l’instrument de son plaisir sexuel. Son sang servait à faire fructifier les arbres et les moissons, ainsi qu’à féconder les troupeaux ; on découpait son corps et les nymphes qui étaient les compagnes de la reine, mangeaient sa chair crue… C’est ainsi, entre autres, que Dionysos chaque hiver, était mis en pièces et dévoré. Il mourait et ressuscitait. »
« …à l’époque où fut composée l’Iliade et où les rois pouvaient s’écrier : "Nous sommes plus heureux que nos pères !", la reine passe au second plan au profit d’une monarchie mâle qui ne devait plus s’interrompre. » Robert Graves, Les mythes grecs.
Tout cela peut nous paraître d’une grande barbarie, mais le sacrifice d’un prince tous les ans, ou tous les sept ans, n’était-il pas préférable à cette exploitation sans fin, de la nature et de l’homme par l’homme, qui a amené l’humanité dans l’impasse que nous connaissons aujourd’hui ?
À noter que progressivement le sacrifice du « prince consort » fut remplacé par son premier fils, puis par un animal.
La femme n'avait pas besoin de Dieu lorsqu'elle gérait l'espèce humaine. Elle est la matrice de l'espèce et la nature n'a pas à se plaindre de son concours. La matrilinéarité, qui n’est pas un système de compétition pour le pouvoir, n’a pas besoin d’une « Révélation » pour justifier son rôle, puisqu’il est légitimé par la nature elle-même ; il s’agit d’une organisation sociale issue du rôle naturel de régénération et de nourriture, donné à la mère.
Dans les situations difficiles la femme fait « naturellement » preuve d’« oubli de soi », elle se soucie plus de l’autre (enfants, parents, mari) que d’elle-même, à la différence de la plupart des hommes.
L’observation des animaux révèle l’empathie des femelles, or les êtres humains sont d’abord des animaux comme les autres.
Des expériences ont été menées à l’Université de Chicago : des rats sont capables de se montrer altruistes et d’agir avec désintéressement : certains ont libéré leurs congénères de leurs cages ouvrables que de l’extérieur, et ont même partagé leur repas avec eux. En fait il s’agissait dans presque tous les cas de rats femelles.
Les premières représentations humaines en argile, en os ou en pierre, représentent la divinité avec des caractères féminins hypertrophiés, parce qu’elle était révérée comme source unique de vie ; les Vénus de Laussel et de Willendorf ont 35000 ans. À cette époque, les attributs masculins sont très nettement moins
représentés même si on en a trouvé, semble-t-il, sur le site de Göbeli Tepe, au sud-est de la Turquie.
Jusqu’aux recherches de Marija Gimbutas (Le langage de la déesse, 2006), les anthropologues pensaient ne rien pouvoir tirer des dessins "géométriques" qui ornaient les poteries, les statues et les cavernes. Or ces derniers représentent pour la plupart la Déesse Mère. Ces dessins, associations de V ou de chevrons représentant des oiseaux aquatiques, symboles de la source, de la rivière, de l’eau, de l’humidité, de la vulve sont autant de métaphores de la vie, et le serpent celle de l’énergie vitale, de la force créatrice de la nature, de la régénération et non du "Mal". Tous ces emblèmes de la déesse se retrouvent de –30000 ans à –6000ans. La religion centrée sur la déesse a donc existé bien plus longtemps que les religions indo-européennes et chrétiennes.
Cette mythologie des premiers âges reflète une structure de pensée, un ordre de l’univers, une relation entre la déesse et la nature. Elle est la maîtresse des animaux sauvages, la gardienne des plantes, la guérisseuse et la Reine de la Montagne. « C’est la Grande Mère, qui de ses entrailles, donne naissance à toute chose » Marija Gimbutas.
C’est sous l’égide de la déesse Mère que s’opère la révolution du néolithique, avec l’apparition de l’agriculture, puis de l’élevage. Les premières traces d’agriculture se trouvent situées, vers 9500 ans avant J.- C., dans une bande alluviale qui va de la vallée du Jourdain à l’Euphrate. Une région où les statuettes féminines sont connues depuis le paléolithique supérieur (moins 30 000 à moins 12 000).
« Les représentations féminines vont très vite se multiplier dans tout le Néolithique au Proche-Orient… Fresques peintes et hauts-reliefs s’ajoutent aux statues. Cette "femme" est véritablement une déesse : elle domine… Elle est la maîtresse de la vie et de la mort… »
« Sur une statuette célèbre de Çatal Höyük, la déesse, obèse, enfante, assise sur des panthères qui lui servent de trône… Ainsi convergent donc les idées de fécondité, de maternité, de royauté et de maîtrise des fauves. Ce sont bien là tous les traits de la Déesse mère qui dominera le panthéon oriental jusqu’au monothéisme masculin d’Israël. » Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS Éditions (page 51).
Selon Cauvin, l’agriculture n’est pas née suite à un accroissement démographique, ni à la suite de changement climatique, mais pour des causes culturelles, par la volonté des communautés. La révolution néolithique est due à une « mutation mentale » ; il s’agit une véritable rupture qui a nécessité un comportement conscient de lui-même.
Selon E. O. James, si les femmes furent les premières à enterrer le grain, elles furent aussi les premières à enterrer les morts.
Par la naissance, la mort et le renouveau, la mythologie de la Déesse mère révèle une représentation cyclique du temps, comme dans les traditions extrême-orientales où il n’y a ni commencement (création) ni fin, et non linéaire. Le temps cyclique c’est celui des saisons, avec le labourage, les semailles et les récoltes. L’hiver est le temps du repos afin d’accumuler les forces pour le réveil du printemps. Vouloir s’activer toute l’année sans discontinuité est antinaturel et néfaste pour l’homme. Car l’homme fait et fera toujours un avec la nature malgré ce que veulent lui faire croire les religions. En revanche, dans la Bible, le temps est représenté comme une « flèche » (la flèche du Temps), dressée du Commencement, la Création, jusqu’au Jugement dernier, avec l’avènement du Messie ou du Royaume de Dieu. La vision cyclique de l’Histoire est une vision païenne. Dans tous les mythes païens, le labyrinthe était le symbole de la vie cyclique, du devenir.
« Tout revient éternellement, mais avec une dimension nouvelle, parfaite contradiction de la ligne, de la conception unilinéaire du temps. » Jean Haudry, Le livre cosmique des Indo-européens.
En revanche la croyance dans le Dieu biblique, implique donc la croyance au progrès, et fait du Progrès, ce « désir d’avenir », un mythe.
« Ce mot magique [le Progrès] fait de l’avenir un but et un accomplissement et conduit à imaginer que le temps est le chemin de la perfection » Michel Lacroix, Peut-on encore croire au progrès ? (ouvrage collectif).
Max Weber (1864-1920) a montré dans l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, que pour le protestant, le travail est la plus haute tâche que peut accomplir l’homme pour la gloire de Dieu. Seule l’ascèse du travail et la réussite professionnelle peuvent lui apporter la preuve qu’il est l’élu de Dieu.
À contrario, l’on ne peut s’étonner que le capitalisme, sorti de l’idéologie protestante, de la volonté de plaire à Dieu et de la crainte de Dieu, tombe dans le pire des cynismes et que le monde capitaliste devienne une jungle, débarrassée des légers garde-fous moraux de la religion.
Ce qui n’empêche pas que déjà le protestantisme, plus que le catholicisme, justifie au nom de Dieu la soumission de la nature à l’homme, ce qui s’avèrera catastrophique pour la dite nature et donc pour l’humanité.
« Laissons seulement le genre humain recouvrer son droit sur la nature, qui lui appartient de don divin et rendons lui son pouvoir », Francis Bacon (1561-1626), Novum Organum.
Comme Descartes Bacon pense que la science permettra à l’homme de recréer l’Eden et de s’affranchir de ce « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Genèse III, 17-19).
« Rien n’est plus étranger aux Orientaux que cette idée d’un progrès linéaire de l’humanité. Hindouistes et bouddhistes croient, à l’inverse, en un temps cyclique, et admettent donc parfaitement la possibilité d’une régression tant pour l’homme individuel que pour l’humanité en général ». Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident.
Lao-tseu et le Bouddha n’ont-ils pas marqué un sommet du développement spirituel et non pas le commencement d’une courbe ascendante ?
La maladie mentale des millénaristes, des messianistes et autres imbibés de versets bibliques est d’avoir cru qu’avec l’aide de leur Dieu, ils allaient créer le paradis sur terre, alors que le progrès a surtout réussi aux banquiers, aux affairistes et aux marchands.
Et cette recherche incessante d’une rédemption, d’un futur prometteur, fait obstacle à la recherche de sa propre liberté dans le présent.
L’exemple frappant de l’inversion des valeurs après la prise du pouvoir par les mâles, se trouve dans le récit du déluge mésopotamien, où l’oiseau qui rapporte un rameau d’olivier est un corbeau, et dans la bible, une colombe.
La Déesse Mère est également à l’origine des arts : filage et tissage, mais aussi la flûte, la charrue, le joug pour les bœufs, et même le bateau. Le plus ancien "orchestre", daté de –18000 ans, avec des instruments fabriqués en os de mammouth gravés de symboles de la déesse, a été découvert en 1975 en Ukraine (Le langage de la déesse, page 103)
« Remarquable absence d’images de guerre et de domination masculine ; l’art centré sur la déesse, révèle un système social équilibré, ni patriarcal, ni matriarcal. » Marija Gimbutas
Les conclusions des recherches de l’archéologue sont contestées par quelques uns de ses collègues. Des contestations très polémiques, qui sortent de leur contexte les réflexions de Marija Gimbutas. Il faut dire que Le Langage de la déesse porte un coup irrémédiable aux idéologies patriarcales issues de ce monothéisme biblique, qui conditionne encore l’Occident et l’Orient. Dans la préface, Jean Guilaine, professeur au Collège de France relève que « Les historiens du genre ont mis en garde contre certaines spéculations susceptibles d’entraîner des dérives … » Quelles dérives pourrait entraîner une théorie concernant la préhistoire, en dehors du fait qu’elle pourrait remettre en cause des croyances religieuses ? Sommes-nous encore au XIX° siècle, lors de la découverte des tablettes sumériennes qui montraient l’antériorité du récit du Déluge de « L’Épopée de Gilgamesh » sur celui de la Bible ? Même si les conclusions de Gimbutas sont à nuancer, elle a fournit un travail fondamental qui s’insère dans une recherche interdisciplinaire avec des linguistes et des historiens des mythologies comme Françoise Gange (Les dieux menteurs). Gimbutas ne montre pas un âge d’or, un paradis matriarcal sans aucune tension ; le passage d’une société régie avec équilibre entre le pouvoir des hommes et celui des femmes, à une société totalement patriarcale, s’est déroulé sur la durée. Jean Guilaine, à la fin de sa préface, écrit que Marija Gimbutas est proche de la vérité « quand elle évoque, dans les sociétés néolithiques, ce souci constant de l’alliance, de la reproduction et de la pérennité. Convenons qu’elle a magistralement versé au débat une fresque anthropologique de grand souffle, servie par une robuste érudition archéologique… »
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