Les Origines

- Zoroastre ( vers 650 av. J-C.)

    Zoroastre ou Zarathoustra, réformateur du mazdéisme, contemporain du Bouddha, observe que les peuples semblent avoir été uniquement destinés à l'esclavage, aux massacres, aux déportations ou à un malheur continuel et sans espoir.

    Aux caprices des Grands auxquels les hommes demeurent entièrement soumis, s'ajoutent les cataclysmes naturels, les maladies, les famines ou les épidémies.

    Pour Zoroastre, en créant le monde, Ahura Mazda a fait également naître deux entités, deux Esprits jumeaux: Spenta Mainyu qui choisit la voie du Bien et Ahriman qui choisit la voie du Mal. Le Dieu Suprême n’est donc pas à l’origine du Mal. La création de la matière et de la vie nécessite l’interaction du bien et du mal. Comment pourrions nous vivre si nous n’avions pas « mal » en touchant un fer brûlant ? L’équilibre entre le mal et le bien est le symbole même de la vie, et même de toute existence.

Le Mal est donc inhérent au monde, et en fait,  Ahura Mazda est le symbole de la transcendance de toutes les contradictions (à l’instar du Tao qui permet le dépassement des contraires).

    Si le zoroastrisme prône la vie sédentaire et pastorale, plutôt que celle des nomades et des chasseurs, c’est pour se tenir autant que faire se peut, à l’écart du mal. A cette époque, les nomades vivaient surtout de razzias. C’est là que Zoroastre fait intervenir Ahura Mazda, pour aider les sédentaires à s’approprier les terres parcourues par les nomades. Les mazdéens sont donc partisans de la lutte agressive de l’Ordre contre l’Erreur. Leur Dieu est un Dieu de Justice qui ne connaît pas la miséricorde et qui emploie au besoin la violence et la guerre. Le Zoroastrisme dont les origines sont indo-iraniennes, a pu influencer la religion juive puis chrétienne et enfin musulmane.

    Toutefois ce recours  possible à la force ne se retrouve pas dans le christianisme primitif, non-violent à l’instar du bouddhisme et du taoïsme, prêchant compassion et miséricorde. 

 Taoïsme, bouddhisme et christianisme primitif à la différence des religions de la Bible, sont des visions du monde, caractéristiques des voies spirituelles capables de s’affranchir des barrières culturelles et sociales. Seules, elles peuvent donc être qualifiées d’universalistes.

    Le zoroastrisme est une religion de l’espoir avec l’avènement à la fin des temps, du Royaume de Justice. C’est la promesse d’une vie après la mort : en traversant le Pont de Činvat, les âmes sont dirigées vers le paradis, l’enfer ou le purgatoire. Enfin, à la fin des temps, l’avènement du Saoshyant (qui dans la Bible devient "le Messie"), permettra  la résurrection et la régénération du monde. Les adeptes de Zoroastre, les Parsis, c’est à dire les Purs, donnèrent leur nom à la Perse. Mais la conversion forcée à l’islam de toute la population iranienne, lors de la conquête de la Perse par le calife Omar (581-644), n’a laissé subsister qu’environ 40.000 fidèles parsis, en Iran, aujourd’hui.

- Manès ou mani (216-274)

    Perse né en Babylonie, Manès est un Parsi, il se voit comme le « sceau des prophètes », titre repris par Muhammad quatre cents ans plus tard. Le manichéisme a d’ailleurs fourni à l’islam une partie de sa prophétologie et formulé pour lui quelques unes des bases de son rituel (prières, jeûne, aumône).

    Au retour d'un voyage en Inde, la vision du monde de Manès se modifie, il se déclare même le successeur du Bouddha.

    Pour lui, toutes les religions détiennent une part de la vérité indivisible. Sa doctrine se veut donc une synthèse entre Zoroastre, Bouddha et Jésus.

    Pour Manès, l' « homme primitif » est né de la confrontation du Bien et du Mal, du combat de La Lumière et des Ténèbres. Le Bien ayant été vaincu, l' « homme actuel » est uniquement l'œuvre du Mal.

    « D’origine sanscrite, le mot "guru" résume une formule symbolique que traduisent les syllabes "gu" (ténèbres) et  "ru"  (lumière). » Edmond Fieschi, op.cit.

L'existence du Mal est scandaleuse, incompréhensible, inexplicable, inacceptable, inexcusable, insoutenable. Heureusement, si le corps est issu de la matière, donc des Ténèbres, l’esprit vient du Royaume de Lumière.

    Manès révèle donc l'illusion de toutes choses et prône l'ascétisme. En conséquence, il faut s'abstenir de toute œuvre destinée à modifier ou à améliorer l'emprise de la matière. C'est à dire ne pas bâtir, ne pas semer, ne pas récolter, et si possible, ne pas procréer !

    « La vie n’est qu’une passerelle, emprunte-la, mais ne construis rien sur elle ». (Parole attribuée à Jésus et que l’empereur Akbar (1542-1605 ), a fait inscrire en arabe sur la mosquée du « Vendredi » à Fatehpur-Sikri en Inde).

    Cette vision d’un monde mené par le Malin, attirait à lui les déshérités et les révoltés et engendrait la contestation de l’ordre établi. Il était donc urgent pour les pouvoirs en place, de faire passer Manès pour fou. Il est mort dans un cachot où il a passé ses dernières années, attaché par de lourdes chaînes.

    Pourtant le manichéisme se répandit partout, de l’Afrique du Nord (avec Augustin) à la Chine. Mais les manichéens subirent aussi les plus féroces persécutions.

    Manès était avant tout un auteur ; il a écrit de nombreux ouvrages en araméen oriental, pour que son message demeure dans les siècles des siècles. Mais ses ennemis se sont acharnés à les faire disparaître, et sa doctrine n’est connue qu’à travers quelques commentateurs critiques.

    Le manichéisme demeurait, en fait, l'ennemi le plus redoutable de toutes les religions et en particulier du christianisme qui n'a eu de cesse de le dénigrer. Aujourd'hui encore, « manichéen » est toujours employé dans le sens péjoratif de « borné ». Le dualisme  manichéen a été caricaturé puisque le « Principe du Mal » n’est pas un dieu égal au Dieu bon, ni chez Zoroastre ni chez Manès.

    « Si les hérisiologues consentaient (et ce serait là, de leur part, un minimum d’objectivité), à employer le vocabulaire des "hérétiques" qu’ils étudient et non point celui des "inquisiteurs", s’ils appelaient le bon principe "Vrai Dieu" à la façon des cathares, peut-être trouveraient-ils plus naturel et sans doute plus "scientifique" de ne point faire de l’autre, le Faux, son égal. » René Nelli (1906-1982), Les Cathares.

    La pensée de Manès est très riche et toute en nuances ; sous l’influence du  bouddhisme, elle prend précisément en compte la nécessité pour l'homme de se situer dans un monde dont le Bien et le Mal sont les composantes incontournables.

 « Toutes les écritures qui nous parlent du bien et du mal, de lumières et de ténèbres, du Dieu bon et du mauvais démiurge, sont les échos plus ou moins glacés du fonctionnement binaire du cerveau humain. » Jean-Yves Leloup, Les profondeurs oubliées du christianisme.

« Pour la pensée hindoue, il n’y a pas de problème du mal. Le monde relatif, conventionnel, est nécessairement un monde où s’affrontent des oppositions. La lumière est inconcevable sans l’obscurité, l’ordre ne signifie rien sans le désordre, le haut sans le bas, le bruit sans le silence, le plaisir sans la peine ». Alan Watts, Le bouddhisme zen.

La Lumière et les Ténèbres ont dû fusionner pour créer la matière :

    « … A l'intérieur même de la lumière il y a l'obscurité… A l'intérieur même de l'obscurité il y a la lumière… »( Un maître zen ).

    À la différence de Yahvé, qui prétend avoir créé Behémoth, Léviathan et autres Lucifer… afin que l’homme soit prétendument libre de choisir le mal ou le bien.

    C’est ainsi que pour Plotin (205-270), c’est parce que l’homme peut faire le mal consciemment, qu’il se distingue de l’animal. C’est le corrélat de sa liberté, qui lui permet de choisir entre faire le bien ou le mal, choisir son destin, c’est à dire, exister. Au Paradis, Adam vivait, mais n’existait pas. Il aurait gagné sa liberté par la désobéissance. Le prix de la liberté serait donc l’injustice, le crime et la misère du monde ? Pour disculper Dieu, Plotin n’est pas à une astuce près.

    Toutefois, en faisant abstraction de toute religion, n’est-ce pas là, en effet, la véritable histoire de l’humanité. Les êtres humains, dans la préhistoire, dans des micro-sociétés régies par la Mère, vivaient en accord parfait avec la nature. Ils étaient proches des animaux, loin des idées, des idéologies, et donc loin du libre-arbitre, et loin de pouvoir faire le Mal en soi, puisque les rites et les us et coutumes lassaient peu de place pour enfreindre une morale qui n’existait pas encore, qui n’avait pas encore été formulée.

    Cette interprétation du péché originel rejoint d’ailleurs le mythe de Prométhée, qui désobéit à Zeus en donnant le feu à l’homme, et symboliquement également les armes, l’art de la guerre, la technique, et la « science sans conscience [qui] n’est que ruine de l’âme »  (François Rabelais, Pantagruel), puisque Zeus devait penser, comme Lucifer dans Les Légende des Juifs, que l’homme était incapable de maîtriser ces forces.

    En fait, c’est avec la culture judéo-chrétienne, et l’exclusion d’Adam du paradis pour avoir « péché », pour avoir désobéi, que les notions de mal et de bien ont pris une telle importance et ont contribué à fonder la morale occidentale tout en créant l’illusion de l’espoir. Le Dieu vengeur de la Bible, pour un gnostique, est une idée farfelue, ridicule, la divinité ne peut être personnifiée, c’est une réalité absente, inconnaissable.

                En ce sens, Manès ou Mani était un gnostique.

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