Les Cathares
Le terme de cathare vient du grec katharos qui signifie « pur ». On les appelait aussi les « Parfaits », parfois par dérision. Eux-mêmes s'appelaient les bonhommes ( los bons omes). Pourtant, la définition bouddhiste du Parfait leur va « comme un gant ».
« Sans colère dans ce monde de colère, sans défense dans ce monde guerrier, sans désir dans ce monde de désir, voilà un Parfait. » Le Dhammapada.
Ils cherchaient à fuir le monde pour se réfugier dans « la chambre secrète de l'âme ». Chambre secrète où ne pénètrent ni fracas ni fausses lumières : « Ce que l'on voit est transitoire, ce que l'on ne voit pas est éternel. »
Explorer la chambre secrète de l'âme, c'est un peu le « connais-toi toi-même » de l'oracle de Delphes et le « Deviens ce que tu es » des mystiques de l’Orient et de l’Extrême Orient, repris par Nietzsche, sans doute dans une autre perspective.
Il est dit que dans les dix dernières années de sa vie, Nietzsche sombra dans la folie. Parce qu’il s’est muré dans le silence ?
Alors que sa fougue, sa lucidité, son intelligence aigue l’ont conduit à reconstruire l’homme à l’image qu’il s’en faisait, c’est-à-dire à imaginer le surhomme, après l’avoir dépouillé de ses infantiles croyances, brusquement, à la charnière des années 1889 et 1890, il eut l’Illumination. Il comprit enfin ce que signifiait le Nirvana. Dans une ultime fulgurance il perçoit la vanité de vouloir faire un dieu de cet animal dénaturé, dépassé par sa propre bassesse, en un mot de cet être de déséquilibre permanent en quête de stabilité illusoire.
Un dieu marchant à quatre pattes, puis à deux, puis à trois, c'est-à-dire dont l’aboutissement est la décomposition sur le grabat. Nietzsche, visionnaire, voit bien que l’homme du XIXe, du XXe et du XXIe siècle sera toujours petit, mesquin, endoctrinable. Il comprend son erreur, son échec : avoir cru en la destinée de l’homme.
Dans L’épopée de Gilgamesh, les dieux sumériens ont crée les hommes par manipulation génétique, pour être leurs esclaves. Puis les dieux ont quitté cette planète et alors, les hommes, abandonnés, n’ont pas plus de destin que les chevaux qui tiraient leurs calèches il y a encore peu de temps. « Deviens ce que tu es », mais l’homme n’est rien. C’est ce que Nietzsche a compris et c’est pourquoi il s’est plongé dans le Silence, parce qu’il n’y avait plus rien à dire, plus rien à espérer.
Nietzsche aurait voulu que l’homme se désencombre enfin de toutes les injonctions reçues depuis l’enfance de la part de la société. Et en effet l’homme moderne s’éloigne de plus en plus de ces sages conseils, lui qui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, devient ce que le marché veut qu’il soit !
Se connaître soi-même c'est s'affranchir de l'amour-propre inculqué par les autres. L'amour propre, ce mélange subtil d'orgueil et de sentiment de culpabilité et d'infériorité. Qui sont les autres pour que mon image corresponde sans cesse à leurs souhaits ? Dans ce monde mauvais, nul ne détient le droit ou le privilège d'imposer ses critères, ses stéréotypes, ses conditionnements. Il s'agit de rester imperméable, sans état d'âme devant les jugements, les excommunications comme devant les louanges et les flatteries.
Héritiers des gnostiques, les cathares sont arrivés à l’évidence de la relativité des choses et de leur inanité. Ils ne croient pas à la résurrection. D’ailleurs, quelle dérision : souhaiter revenir dans un monde qui se fout du monde, quelle vanité des vanités !
Ils refusent le sacrement du mariage parce que son but est la procréation et lui préfèrent l’union libre et la contraception (pour plus de détails, voir Bienheureux les stériles). C’est une des raisons de leur extermination. À quoi serviraient l’État et l’Église si les naissances se réduisaient notablement ? Les « sorcières », qui détenaient le savoir des plantes abortives furent également brûlées sous des prétextes de possession du diable pour la même raison (Les putains du Diable, Armelle Le Bras-Chopard).
À noter que les Indiens d’Amérique connaissaient les vertus des plantes abortives, ce que révèle entres autres La Hontan (1666-1716) dans Dialogues avec un sauvage.
Le catharisme fut la première et la seule pensée religieuse à établir l’égalité de l’homme et de la femme. Dans toutes les gnoses, les femmes ont accès à la prêtrise.
Rappelons que dans l’Évangile de Thomas, Évangile apocryphe gnostique, Marie-Madeleine est le disciple préféré de Jésus, et dans Pistis Sophia, le plus important texte gnostique, elle est « Celle qui peut concevoir le Tout ».
Si le catharisme s’est développé surtout dans le Languedoc, c’est parce qu’il ne s’y exerçait aucune rivalité de langue, de religion ou de race. L'esprit de tolérance avait toujours régné sur l’Occitanie médiévale, seul pays d’Europe où les Juifs et les Arabes ne faisaient l’objet d’aucune discrimination, où ils pouvaient vivre en paix et exercer tous les métiers, où les philosophes et médecins arabes étaient appréciés.
« …Ici ce n’était point cette chevalerie du Nord, ignorante et pieuse… Ces nobles du Midi étaient des gens d’esprit… Il n’y en avait guère qui, en remontant un peu, ne rencontrassent dans leur généalogie quelque grand-mère sarrasine ou juive… » Jules Michelet, Histoire de France.
C’était une terre de danger pour la suprématie de l’Église. Toulouse était la Rome de l’hérésie, de l’Église hérétique.
Le pape craignait des accords entre les musulmans et les rois chrétiens ; Henri II, avait déjà menacé de se faire « mahométan ». Raymond VI, comte de Toulouse avait chassé des évêques de sa cour, pour s’entourer d’hérétiques et de juifs.
Pour le Nord, le Sud choquait par ses costumes moresques et ses décorations sarrasines ; il était peuplé de mangeurs d’ail, d’huile et de figues « Le Languedoc leur semblait une autre Judée. » Jules Michelet, op.cit.
Le Languedoc était un des états les plus puissants de l'Europe, avec des villes opulentes, une agriculture florissante et un commerce dynamique, en contact permanent avec l’Orient. Les cités méridionales avaient gardé de l'Antiquité le goût de l'indépendance et de la liberté. Cette ouverture d'esprit allait de pair avec une ouverture commerciale, qui d’ailleurs, n’avait rien à voir avec l’idéologie actuelle de la mondialisation de la Finance et de la surconsommation.
« Au XIIe siècle, autour de Toulouse, la plus haute pensée vivait dans un milieu humain et non pas seulement dans l’esprit d’un certain nombre d’individus. » Simone Weil (1909-1943).
L’Inquisition contre les cathares, les Albigeois et les Vaudois fit plus de deux millions de morts. Les grands gagnants de ce génocide, au XIIIe siècle, furent les rois de France, organisateurs de la répression de l'hérésie, de Philippe Auguste à Philippe le Bel en passant par Saint Louis (Louis IX).
« Le pape Innocent III… offrait le paradis à celui qui aurait ici-bas, pillé les riches campagnes et les cités opulentes du Languedoc. » Jules Michelet, Histoire de France.
Les cathares, malgré leur diagnostic extralucide sur le monde, ne pouvaient s’empêcher d’imaginer un autre royaume de lumière, hors de l’univers pervers connaissable. En ce temps-là, il était impossible à un Occidental, même à un hérétique, baignant malgré tout dans la culture judéo-chrétienne, d’imaginer l’univers sans Dieu.
À la lumière des connaissances actuelles, peut-on encore adhérer, aujourd’hui, à l'intuition transcendantale qui faisait croire au gnostique qu'il préexistait à lui-même dans le Plérôme (le Royaume de Lumière) ? Il n’est nulle part précisé que dans le Plérôme, les êtres ont conscience de leur vie terrestre. Les cathares n’ont jamais décrit non plus, ce Royaume de Lumière. Comme Wittgenstein plus tard, ils savent qu’il n’y a pas de mots pour l’inconnaissable et l’inconcevable.
« Dieu ne se révèle pas dans le monde » Ludwig Wittgenstein Tractatus logico-philosophicus.
L'âme est la notion la plus floue du vocabulaire. Chacun y met ce qu'il veut pour se persuader qu'il détient en lui une parcelle de divinité. Si la science un jour, découvre la réalité des « éons » chers à Jean Charon, il sera bien temps d'en tirer les conséquences.
Pour Jean-Émile Charon, physicien néo-gnostique, les électrons ne sont repérables que par leur charge électrique, ils sont invisibles et sans masse, parce que leur volume est du côté invisible de l'univers.
Parmi les électrons des atomes qui composent notre corps, certains seraient « psychiques » et seraient porteurs de la lumière de l'Esprit. Comme ils sont éternels, ils porteraient la mémoire de l'univers et permettraient ainsi toutes les fonctions innées, comme la respiration ou les battements du cœur. Rappelons-nous une fois de plus la métaphore de l’hologramme, si importante pour saisir l’insaisissable.
Durant la vie d'un individu, animal ou humain, les « éons » acquerraient également une mémoire. À la mort de l'individu les atomes étant dispersés, cette mémoire acquise se fondrait avec la mémoire innée. Ces « éons » seraient de minuscules corpuscules sphériques en vibration, composées d’un gaz de lumière porteur d’informations psychiques.
À l’aube du IIIe millénaire, nous n’avons plus besoin de la divinité pour comprendre ce monde, même si nous savons que nous ne pourrons jamais l’embrasser dans sa totalité.
Plus la science progresse, plus l’homme apparaît petit, plus le sens de l’humanité lui échappe, mais paradoxalement plus l’unité de l’univers se manifeste.
« Les théories cosmologiques matérialistes modernes, bien qu’elles se veuillent hautement rationnelles, présentent un univers paradoxal.
[…] Rien dans l’univers n’est plus immatériel que la matière décrite par les théories modernes.
[…] Comment croire à la solidité des montagnes quand les blocs de substance fondamentale, les électrons, les quarks, sont si évanescents ?
Comment croire à l’espace, au temps, à l’énergie, quand le vide fourmille de particules virtuelles ?
[…] Les frontières de l’intériorité-extériorité sont paradoxales ». Michel Fleury, L’atome et l’éternité.
Michel Fleury se demande si, comme les mystiques, l’on ne pourrait pas atteindre le réel de l’intérieur.
Nous savons surtout aujourd'hui, que Lumières et Ténèbres ne sont que des mots, et que mal et bien sont inhérents à la nature, comme le négatif et le positif nous permettent d'appréhender l’énergie électrique pour l'utiliser.
C’est lorsque l’énergie positive du ciel rencontre l’énergie négative de la terre (ou le contraire, mais qu’importe) que l’éclair illumine l’espace. Cela révèle que le positif ne peut exister sans le négatif. Ils rythment tous deux « ce qui est ». Pierre de Combas révèle même que, selon les prêtres étrusques, ce n’est pas parce que les nuages se rencontrent que jaillit l’éclair, c’est afin que jaillisse l’éclair, que les nuages se rencontrent. Le taoïste dirait plutôt que les deux propositions sont également vraies : elles représentent l’interdépendance de toutes choses.
Pour Héraclite, les opposés coopèrent :
« Ainsi en va-t-il des scieurs de bois : l’un tire, l’autre pousse. L’autre fait le contraire de ce que je fais, et ce contraire est utile… » Cité par François Jullien dans L’ombre au tableau.
Pour la sagesse ancienne, qu’elle soit grecque ou d’Extrême-Orient, aucun bien n’est isolé d’un mal correspondant.
« Le Shiva hindou joue un rôle destructeur qui n’est que la phase négative qui précède toute construction. Il faut apprendre à voir le divin en tout, même dans le mal… en acceptant tout ce qui est, sans jugement. Tout aimer, car si l’on « hait » le Satan, on ne fait que le nourrir. Le divin est inséparable du démoniaque… »
Placide Gaboury, Le voyage intérieur.
Les sophistes (de sophiê, habileté), n’étaient-ils pas aussi habiles à convaincre du contre, après avoir argumenté en faveur du pour ?
« Ainsi les Sophistes proclamèrent-ils avec un audacieux courage ce conseil fortifiant : "Ne t’en laisse pas conter", répandant un enseignement émancipateur : "En toute chose, use de ton entendement, de ton esprit et de ton agilité ; un bon entendement et dûment exercé, est le meilleur viatique pour ce monde, la clé de la meilleure destinée, de la vie la plus agréable"…
Mais tout en professant que l’esprit est une arme utilisable dans tous les domaines, ils n’en restaient pas moins très éloignés de l’affirmation de son caractère sacré : il n’est pour eux qu’un moyen, une arme, comme pour les enfants la ruse et l’obstination. Leur esprit, c’est l’incontournable entendement. » Max Stirner, L’Unique et sa propriété.
Certes Socrate les combattait, mais c’est que, malgré sa grande lucidité et son art d’accoucher les esprits, il n’était pas non plus exempt de préjugés, comme sa croyance irréductible en la bonté de l’homme et en l’éducation du cœur. Aristote, suivi par les Pères de l’Église, puis par les philosophes musulmans, a également dénigré les sophistes. Pour ceux qui veulent imposer leur Vérité, toute contradiction ne peut être basée que sur une erreur logique, alors que ce sont souvent leurs arguments qui ne tiennent pas debout.
« Au Ve siècle avant notre ère, avec les sophistes, s’est développée une véritable Auflärung, un siècle des lumières, où l’existence des dieux est mise en question comme n’étant qu’une fiction poétique ou une convention sociale ». Pierre Hadot, Le voile d’Isis.
La logique classique du tiers-exclu d’Aristote, qui a formaté l’esprit occidental et qui a encore, malheureusement, de beaux jours devant elle, énonce qu’il n’existe pas de tierce position entre une proposition et son contraire. Toute proposition est dont soit vraie, soit fausse, sans autre alternative. L’exemple le plus évident est l’imposition par la peur du bûcher, de la croyance selon laquelle le soleil tourne autour de la terre * ; où sont les sophistes ?
* « … Il eut été plus heureux, mille cinq cents ans avant Copernic, d’écouter Aristarque de Samos, qui plaçait le Soleil au centre du monde […] Cela aurait simplifié les subtilités mathématiques de la théorie. Mais il y eut Platon et Aristote, qui forgèrent des remparts conceptuels puissants autour de la perfection du cercle et de la centralité de la Terre ». Michel Fleury, L’atome et l’éternité.
Or le fait qu’apparemment le soleil tourne autour de la terre, ne contredit pas qu’en réalité, se soit la terre qui tourne autour du soleil. Tout dépend de quel point de vue l’on se place. Cette intolérance de l’esprit est due à la croyance que la terre a été créée par un Dieu extérieur à elle, et pour la seule satisfaction de Sa créature privilégiée : l’homme. Cette erreur est donc idéologique.
Ce qui est extraordinaire, c’est que des êtres humains, certains au demeurant paraissant sensés, raisonnent en matière religieuse ou métaphysique comme si la terre était encore le centre du monde, comme si l’univers n’était pas composé de milliards de galaxies composées chacune de milliards d’étoiles, comme si l’homme n’était pas arrivé dans l’univers qu’après des milliards d’années et comme si la vie de l’humanité n’était pas comptée, comme celle de toutes les espèces.
« Le principe du tiers-exclu est le fondement du dogmatisme, de l’intégrisme, du fanatisme, de l’extrémisme, du totalitarisme, mais aussi de l’idéalisme universaliste : mes valeurs ont une portée universelle, je sais comment les peuples doivent penser et agir, mon utopie est la solution totale et définitive […] La pensée unique débouche sur l’esprit missionnaire, le prosélytisme et le militantisme aveugle, qui peut être religieux ou idéologique » Sophie Perenne, La vision paradoxale.
C’est ainsi que la logique qui tient compte des contraintes de la physique quantique comporte trois variables : le vrai, le faux et l’indéterminé. L’indéterminé étant en potentialité de se révéler vrai ou faux, en fonction de toutes les interactions qui vont s’exercer. En effet, dans le monde de la microphysique, tout n’est qu’équilibre précaire entre diverses forces dynamiques, c’est-à-dire en perpétuel mouvement.
En fait tout raisonnement, ne pouvant s’appuyer sur l’ensemble des paramètres qui régissent toute chose, est sophiste.
Mais personne n’accepte cette évidence qui enlèverait à chacun les quelques certitudes qui lui permettent de donner un sens à sa vie. En revanche, pour mettre les gens devant leurs contradictions et leurs sophismes inconscients, il est nécessaire d’être plus sophistes qu’eux, et d’avoir recours à la sophistique à l’instar du marquis de Sade. Sade met face à face les valeurs et leurs apories, leurs contradictions insurmontables : le christianisme face à l'impossibilité de vivre les Évangiles, et la philosophie des Lumières face aux conflits d'intérêts.
Celui qui, parce qu’il ne croit pas en la justice de son pays, se venge lui-même du salaud qui l’a plongé dans le malheur sera fortement condamné. Mais le soldat qui tue des gens qu’il ne connaît pas et qui ne lui ont rien fait, sera décoré.
Le Marquis de Sade est bien gnostique en révélant la confusion des exigences antagonistes comme l’amour et la violence, la paix et la compétition :
« Le Mal est absolument utile à l’organisation vicieuse de ce triste univers » ?
Le néognostique se contenterait de dire aujourd’hui que « le mal est absolument utile à l’organisation de cet univers ». Et tous ceux qui prêchent la vertu, ne sont que des hypocrites, puisqu’elle est en contradiction avec le système même du monde. Seuls les cyniques et les exploiteurs sont à l’aise dans ce monde qui semble fait pour eux. Afin de se fermer les yeux, de refuser de voir la réalité, les bien-pensants n’ont fait que renvoyer à Sade sa vision du monde, en inventant le mot sadisme.
Il s’agit aussi pour Sade de révéler le rôle fondamentalement néfaste du puritanisme judéo-chrétien, des refoulements et des frustrations d’origine sexuelle. C’est la confusion entre la procréation et l’amour, essentiellement à cause des trois religions monothéistes, qui a eu des conséquences dramatiques sur le psychisme des êtres. Une confusion mentale à l’origine de tant d’atteintes à la liberté, de tant d’exactions quotidiennes, de condamnations, de misère, de tortures, de mises au bûcher, et de guerres.
Dans Dialogues avec un sauvage, La Hontan révèle que l’amour chez les Indiens d’Amérique ne provoque jamais de passions aveugles, d’agressivité, de querelle entre les hommes et les femmes qui ne connaissent pas la jalousie, ni d’ailleurs l’envie.
« Ils aiment si tranquillement qu’on pourrait appeler leur amour une simple bienveillance… leur amitié, quoique forte, est sans emportement, veillant toujours à se conserver la liberté du cœur, laquelle, ils regardent comme le trésor le plus précieux qu’il y ait au monde ».
Cette liberté sexuelle des Indiens va évidemment indisposer les prêtres et les pasteurs qui ne vont cesser de les culpabiliser, pendant que d’autres conquérants européens leur échangeaient des armes et de l’alcool contre des peaux. Voilà comment s’est réalisée notre œuvre civilisatrice et humaniste.
Pourtant tout dans la nature relève de la perpétuation de l’espèce. Les plantes n’existent que pour se reproduire ; et les graines qui ne pousseront pas serviront de nourriture à des animaux ou des insectes. Les animaux ne vivent que pour se reproduire, et parallèlement pour que d’autres espèces vivent. Certains mollusques pondent plusieurs millions d'œufs pour que seulement deux d'entre eux perpétuent l'espèce. Les autres serviront de nourriture.
Les animaux ne vivent que pour la reproduction.
Les animaux n’existent que pour la survie de leur espèce.
Toute l’extraordinaire organisation du vivant semble n’avoir qu’un seul but : le renouvellement au sein d’un cycle permanent.
Tout se compose et se décompose, seul le cycle est infini.
L’espèce humaine, quelles que soient ses prétentions spirituelles, comme l’animal, est programmé pour la reproduction.
Dans la nature, l’animal ou l’insecte qui a accompli sa tache reproductive, meurt. Même le lion, remplacé par un plus jeune est exclu du groupe, erre sans but et meurt de faim parce que, bien qu’il soit le roi des animaux, la nature, ne l’a pas programmé pour la chasse. Ce sont les femelles qui le nourrissent jusqu’au moment où il s’avère inutile.
Réfléchissant à l’impasse qu’est la vie, l’homme s’est inventé aussitôt des échappées célestes et a construit des sociétés organisées à partir de cette peur, de cette fuite face à une réalité si angoissante.
Dans le monde vivant, seuls les hommes et les bonobos ont des rapports sexuels qui peuvent être indépendants de la reproduction. Chez les bonobos ces rapports sexuels servent à la cohésion du groupe, à aplanir les tensions internes, à calmer l’agressivité naturelle des mâles.
Malheureusement chez les humains le sexe, de moyen, est devenu une fin en soi, sous le doux euphémisme de l’amour, surtout dans les sociétés issues du judéo-christianisme.
« C’est étonnant à quel point les gens sont obsédés par le sexe. Enchaînés à leur mission reproductrice. »
Théodire Roszak, L’enfant de cristal, page 332.
Chez l’homme, l’agressivité naturelle du mâle est devenue permanente, comme son obsession sexuelle, entraînant un besoin inconsidéré de puissance, de pouvoir. Il lui faut satisfaire son désir malgré ses limites physiques, malgré son âge ; alors tous les moyens sont bons pour atteindre ce seul but. Tout le reste n’est que comédie, mensonge. Et c’est pourquoi l’homme, malgré son hypocrite prétention à se proclamer fils de Dieu, a si mal géré la Terre.
« Étrangers comme nous le sommes à la nature, la possession d’un corps est une grande source d’embarras. » Alan Watts, Amour et connaissance.
Pour le Tao en revanche, nous l’avons vu, il s’agit d’éviter toute affirmation ou négation catégorique et de percevoir leur complémentarité. C’est la compréhension du monde, la conscience de l’équilibre cosmique.
« Pour illustrer à quel point bien et mal, chance et malchance sont des notions mouvantes et alternantes, Lie-tseu cite l’histoire charmante d’un vieillard pauvre qui vivait avec son fils unique dans une fortification ruinée au haut d’une colline et dont la fortune se résumait à un cheval. Or il arriva qu’un jour celui-ci prit la fuite. Apprenant la nouvelle, les voisins accoururent pour témoigner au vieillard leur affliction devant un tel malheur. "Est-ce là de la malchance ?, leur demanda-t-il, je ne sais." Or, voici que quelques jours après, le cheval revint accompagné de plusieurs chevaux sauvages. Ce que voyant, les voisins se hâtèrent de dire au vieil homme qu’en fait il avait bien de la chance. Mais celui-ci sceptique, se contenta de hocher la tête en murmurant : "Est-ce de la chance, est-ce de la malchance, qui sait au juste ?" Son fils décida alors de dresser l’un après l’autre les chevaux sauvages et, ce faisant, il se cassa la jambe. Une fois de plus les voisins accoururent pour exprimer au vieillard toute leur sympathie. Mais celui-ci toujours hochait la tête et ne se prononçait pas. L’année suivante, la guerre éclata. L’armée vint au village pour enrôler les jeunes. Le vieillard put garder son fils auprès de lui, celui-ci ayant, à cause de son invalidité, été jugé inapte. J.C. Cooper, La philosophie du Tao.
« Des choses opposées en apparence peuvent en fait œuvrer ensemble ». Rûmi, poète et mystique soufi.
« Vouloir le bien sans le mal, la raison sans le tort, l'ordre sans le désordre, la justice sans l’injustice, c'est montrer qu'on ne comprend rien aux lois de l'univers; c'est rêver un ciel sans terre, un yang sans yin, le positif sans le négatif. » Tchouang Tseu.
« Faute d’apercevoir la corrélation des termes opposés, on se met à rêver à un état de choses où la vie existe sans la mort, le bien sans le mal, le plaisir sans la douleur, la lumière sans l’obscurité, où le sujet, l’âme peut s’émanciper des limites concrètes de l’objet, du corps ».
« Les domaines du bien et du mal sont, comme les règles de grammaire, des conventions de communication. Quand le Bien et le Mal sont inscrits dans l’Absolu, dans le fond, les règles deviennent non seulement trop rigides, mais se trouvent sanctionnées par une autorité beaucoup trop pesante […] Cette absolutisation a favorisé au contraire, par contrecoup , les violentes révolutions idéologiques (contre une autorité intolérable) qui caractérise l’histoire de l’Occident.
« Psychologiquement, le diable est l’ombre projetée inconsciemment par Dieu. Le problème du mal apparaît dès qu’il y a un problème du bien, c’est à dire dès qu’apparaît, sous diverses étiquettes, l’idée de quelque chose à faire pour "améliorer" la situation présente [en particulier la nature].
Alan Watts, Amour et connaissance.
C’est la compréhension du monde, de l’équilibre naturel.
Pour les taoïstes, le soleil brille sur toutes choses, sur le mal comme sur le bien.
« Je me demande si l’Illumination ne consiste pas à précisément à réussir à regarder le monde tel qu’il est et à le considérer comme parfait […] tout est exactement à sa place […] Car même mon aspiration à un monde meilleur, plus spirituel, est faite de désir ; et d’une chose encore plus terrible, de devenir… Comprendre que c’est parfait et que ça ne devient pas », p 448/49. Tiziano Trezani, La fin est mon commencement.
« Si l’univers est rationnel, comme le disent les Stoïciens ou Einstein, alors, ce qui t’arrive répond probablement à un besoin de ta nature profonde. » Jacques de Coulon.
« Pour les stoïciens, Dieu est logos, c’est même le logos du monde. Ce logos grec est à la fois la raison et le langage. Dieu est, pour les stoïciens, le principe omniprésent qui structure l’univers, dont il est un peu comme le code génétique, présent en toute chose de manière en quelque sorte holographique ». Jean-Joël Duhot.
De même que matière et esprit sont indissociables, il en est ainsi de la création et de la destruction, de la folie et de la sagesse. Le Tao n’enseigne pas de vaincre le mal qui, comme le bien, est inhérent à la nature humaine, mais à les « chevaucher » tous les deux.
« Reconnaissant la relativité entre le bien et le mal, et ainsi de toutes les conventions morales, le sage taoïste ne s’efforce pas d’atteindre le bien mais tente plutôt de maintenir un équilibre dynamique entre le bien et le mal. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 117.
« Toutes les distinctions sont fausses. Dès que vous dites : ceci est bien et cela est mal, vous avez divisé la vie et l’avez tuée. » Lao-tseu.
« Yüan-wu dit :
" Si vous êtes un homme véritable, vous avez absolument le droit de partir avec le bœuf du paysan , ou de vous emparer de la nourriture d’un homme qui meurt de faim."
Ceci, simplement pour montrer que [ le Zen] se place au-delà de l’éthique, dont la sanction doit être recherchée non dans la réalité, mais dans l’agrément mutuel des humains. Si l’on veut l’universaliser ou lui donner un caractère absolu, l’éthique interdit alors toute possibilité d’existence, car nous ne pouvons vivre un seul jour sans détruire la vie de quelque créature. » Alan Watts, Le bouddhisme zen.
« Pour le Christ, [le système de la morale] engendre de l’injustice, parce qu’il ne s’intéresse qu’au comportement extérieur, non à l’attitude intérieure de celui qui pose l’acte, parce qu’il ignore, par suite d’une répartition abstraite entre prétendus bons et prétendus mauvais, l’implication vivante de tous dans la faute, l’entrelacement psychologique de tous dans le bien et le mal. » Eugen Drewermann, De la naissance des dieux…
La pensée de Jésus, une fois de plus est très éloignée de l’Ancien Testament. Essénienne, elle est proche de la tradition de l’ancienne Égypte où l’équilibre du monde se fait par la réconciliation de la contradiction inhérente à toute chose qui, dans la nature, est constituée de couples antagonistes complémentaires. Une pensée proche également du taoïsme et du bouddhisme.
« Ne cherchez pas à séparer le bon grain de l’ivraie, en arrachant l’ivraie, vous risqueriez d’enlever aussi le froment. » Matthieu 13-30.
« Atteindre à la maturité, à l’intégralité, suppose l’acceptation et la réconciliation de tous les opposés : bien et mal, lumières et ténèbres, vie et mort ». J. C. Cooper, La philosophie du Tao.
Lorsque Jésus dit qu’il est venu pour accomplir les Écritures, ne se réfère-t-il pas plutôt au Dhammapada, les « paroles du Bouddha » qu’à l’Ancien Testament qui est tellement aux antipodes de son message de compassion, d’amour et de tolérance ?
Notre lucidité nous incite à ressentir le plus profond mépris pour l’espèce humaine. Mais le gnostique, le bouddhiste et le taoïste, nous enseignent la compassion. La compassion bouddhique est objective, basée sur l’observation de la nature des choses, qui détermine une théorie immuable et logique des causes et des effets. Elle n’a pas de valeur sociale qui est toujours relative, impermanente et fonction des raisons changeantes du cœur, de l’époque et du lieu.
Elle n’a rien à voir avec les bons sentiments. Elle ne s’attache pas à un individu particulier, mais à la condition même du vivant, et en particulier à la condition aussi dramatique qu’inéluctable, de l’espèce humaine. Elle a donc peu de choses à voir avec la pitié enseignée par l’Église et qui fait appel à la sensibilité, et même le plus souvent à la sensiblerie, quand ce n’est pas encore une façon de gonfler son ego.
Un occidental exprime sa pitié devant les souffrances physiques ou morales subies par des êtres vivants ; des souffrances sur lesquelles, en général il ne peut rien ou pas grand chose : quelques actions dérisoires pour se donner bonne conscience. En revanche le taoïste, le bouddhiste et le gnostique n’ont de la compassion que pour celui qui n’est pas dans la Voie ou sur le chemin de l’Eveil. C’est ce que les Occidentaux d’hier comme ceux d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à comprendre. La compassion ne concerne que le domaine spirituel.
« … une compassion profonde, mais totalement dénuée de sentiment, à l’égard des humains engagés dans leurs tentatives désespérées pour parvenir au salut. » Alan Watts, Le bouddhisme zen.
La compassion n’est pas l’apanage de l’humanité. Afin qu’ils arrêtent le massacre, Paul Watson, le pirate écolo, était monté sur un cachalot harponné par des pécheurs en pleine illégalité ; Il perçut dans l’œil de l’animal mourant, une grande compassion devant la rage que mettait l’humanité à s’autodétruire, dans sa volonté totalement irrationnelle à tuer et tuer sans cesse, jusqu’à l’extinction de toute vie.
La morale gnostique et bouddhique est philosophique et non sociale :
« Milarépa expie pour le préjudice causé à son propre perfectionnement et non pour le préjudice causé à ses victimes. » Milarépa, Jacques Bacot.
« Les sages ne s’apitoient ni sur ce qui meurt, ni sur ce qui vit. » La Bhagavad-Gîtâ.
Le Bodhisattva Avalokitésvara, celui qui observe du « Ciel », d’en haut, vers le bas, représente le principe féminin qui incarne la compassion ultime. En effet, il est le symbole de tous ceux, qui, ayant acquis l’état de bouddha, refusent le nirvâna par compassion (karuna) pour tous les êtres encore plongés dans l’ignorance, afin de leur apporter leur aide spirituelle.
La notion de mal relève du jugement et donc de la morale, alors que le négatif relève de la compréhension.
Celui qui n’a pas la connaissance du Tout, ne doit pas s’ériger en juge et vouloir éradiquer le mal parce que, souvent, c’est un mal encore plus fort qui va ainsi pouvoir se développer. Par exemple, on va faire disparaître un animal prétendu nuisible et laisser libre de se reproduire sans limite de nombreux parasites dont il était le prédateur.
« Nous ignorons la place exacte que bien des créatures antipathiques, tels virus, antivirus ou bactéries, occupent dans le grand équilibre du cosmos. En les désignant comme agents exclusifs de maladies aux causes multiples et complexes, on justifie la guerre chimique et biologique menée contre eux, pour le plus grand profit des trusts pharmaceutiques [et phytosanitaires], sans en connaître le prix ». Serge Latouche, La Mégamachine.
Le mal et le bien sont essentiellement relatifs. Chacun juge le bien par rapport à ce qu’il croit. Celui qui fait le mal, de son point de vue, c’est le bien. Nul ne fait le mal pour nuire ; c’est toujours pour un bien, le bien du peuple, le bien de la famille, le bien de la patrie, pour obéir à Dieu, ou tout simplement, pour se sentir bien soi-même. Ce sont les préjugés qui empêchent de comprendre la logique du bien et du mal, leur complémentarité, leur action commune. Toute action, toute attraction ne peut exister qu’à partir de forces opposées. Comme les deux parties d’une voûte qui se soutiennent en se dressant l’une contre l’autre (également symboliques du yin et du yang).
Le cathare ne voit pas le mal partout, il comprend, avec compassion, qu’en fait, le négatif fait partie du monde, qu’il est l’un des moteurs de la vie.
Pour le cathare, la seule réalité, c’est que la souffrance est inéluctable, que la cause en soit le mal ou le négatif.
Le manichéisme et le catharisme ont été éradiqués avec violence parce que leur vision du monde ôtait toute légitimité aux pouvoirs, religieux et politique. En effet si la lutte entre le Mal et le Bien est une affaire cosmique, à quoi riment nos propres combats pour des pouvoirs qui ne changeront rien à l’ordonnancement du monde ?
Le monde vu par le manichéisme et le catharisme est aux antipodes de celui que cherchent vainement à construire ceux qui détiennent ou veulent détenir le pouvoir, et qui, derrière des mots vides de sens, révèlent leur croyance en la Divine Providence ou en l’Etat Providence.
Ainsi Emmanuel Kant pense pouvoir instaurer une « paix perpétuelle entre les peuples », (Projet de paix perpétuelle, 1795) sous prétexte que le « droit » serait « naturel ». Or ce n’est pas la paix qui règne dans la nature, mais l’« Équilibre ».
De même, il pose le principe selon lequel on doit obéir à la loi parce que c’est la loi ; or les lois ne sont justement pas identiques selon l’espace et le temps, elles sont relatives et non universelles. En fait, son raisonnement procède de sa croyance en la Providence, en un ordre des choses régi par un principe divin, à l’instar de la quasi totalité des penseurs des vingt derniers siècles !
Cette croyance que la Providence avait le pouvoir de favoriser le bien face au mal , nous savons aujourd’hui, à la lumière des conséquences désastreuses de toutes les bonnes intentions de ces deux derniers siècles, que c’est exactement le contraire qui arrive, c’est le mal qui gagne sur le bien malgré les efforts conjoints de tous les « humanistes ». Le Mal est malgré tout, omniprésent, hier comme aujourd’hui, et nos agitations n’y peuvent rien.
L’absence de dogme, l’individualisme des gnostiques, leur totale indépendance vis-à-vis de la morale commune, impermanente, font que le gnosticisme ratisse large, de l’ascète au nihiliste libertin.
Toutefois ceux qui ont tenté de récupérer le catharisme en l’accommodant à la sauce empoisonnée du nazisme sont en plein contresens. Le nationalisme et le racisme se situent aux antipodes des préoccupations des cathares qui n’ont surtout pas la prétention de changer l’homme et le monde.
En revanche, pour Serge Hutin, de nombreux penseurs, écrivains et poètes ont exprimé une sensibilité gnostique : William Blake, Goethe (dans Faust), Novalis, Gérard de Nerval, Baudelaire (qui comme Sade se révolte contre la Nature et la Loi de Moïse), Arthur Rimbaud : « La vraie vie est absente... Nous ne sommes pas au monde », ou Lautréamont, précurseur du surréalisme, qui redécouvre la révolte des gnostiques contre la Création.
« Toi-même [Dieu], recule plutôt devant moi, te dis-je, et va laver ton incommensurable honte dans le sang d’un enfant qui vient de naître : voilà quelles sont tes habitudes… » Maldoror, Chant V.
Le surréalisme est certes une doctrine anti-religieuse et matérialiste, pourtant, par des techniques d’illuminations, il rejoint la pensée d’un Pierre Teilhard de Chardin « Tout ce qui monte converge », ce qui signifie, encore une fois, que les contraires se fondent dans l’harmonie universelle :
« Tout porte à croire qu’il existe un point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. » André Breton, Le second manifeste.
À noter qu’Aldous Huxley (1894-1963), dans Les portes de la perception, affirme que la mescaline lui a permis de prendre conscience de cet espace intérieur :
« Comme la Terre d’il y a cent ans, notre esprit possède encore ses Afriques, ses Bornéos et ses bassins amazoniens non répertoriés sur les cartes ».
De même Henri Michaux dans Lointain intérieur :
« J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie : Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !..
« [Je] m’unis à l’Escaut… Je résolus de faire un avec lui. Je me tenais sur le quai à toute heure du jour. Mais je m’éparpillai en de nombreuses et inutiles vues.
« Et puis, malgré moi, je regardais les femmes de temps à autre, et ça, un fleuve ne le permet pas, ni une pomme ne le permet, ni rien dans la nature…
« Subitement, ayant renoncé à tout, je me trouvai…, je ne dirai pas à sa place, car pour dire vrai, ce ne fut jamais tout à fait cela… »
Plus près de nous, selon l’ethnobotaniste Romuald Leterrier (La danse du serpent), les plantes possèdent leur propre langage ; il tente de montrer que l’Ayahuasca, une plante hallucinogène d’Amérique du Sud aurait le pouvoir de communiquer au chamane des connaissances sur les autres plantes de la forêt. Tout le vivant serait relié dans une sorte de réseau d’informations.
Les thèmes gnostiques ne sont pas absents des préoccupations des écrivains contemporains : l’absurde, la cruauté, la perversité, le sentiment d’être étranger parmi ses semblables, l’omniprésence du mal, de Sartre à Camus en passant par Lovecraft. H. P. Lovecraft décrit un monde dominé par des dieux aussi puissants que stupides. Les révélations d’Azathoyh, sultan des démons et souverain de l’univers, sur la véritable nature des choses, ne sont comprises que par des fous, grâce à « l’illumination ».
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