peut se découvrir, si on se prive de la part féminine de tout être humain. Sa résurrection, n’y est pas présentée comme corporelle, mais comme spirituelle, en tous ceux qui le comprennent, homme ou femme.
« Et quand du mâle et du femelle un seul vous ferez… » Évangile de Thomas.
On comprend mieux pourquoi Jésus a été crucifié. Ses idées étaient fondamentalement révolutionnaires, elles le sont encore aujourd’hui.
« Jésus ne se définit jamais, dans ces textes retrouvés [à Nag Hammadi], comme le Fils du Dieu-Père, mais bien comme le fils de la Mère primordiale d’où tout est issu, Mère-Esprit ou Mère-Lumière qui contient le Père. On le voit au contraire se défendre d’un rattachement au Dieu-Père, considéré comme un aspect fragmentaire du divin, car mutilé de sa partie féminine. » Françoise Gange, Jésus et les femmes.
À noter que selon Henry Corbin, dans les langues sémitiques, « Esprit » est du genre féminin. Selon Edmond Fieschi, dans la kabbale, les Aelohim sont des anges, mais « ruach aelohim » signifie « les dieux-déesses » et désigne l’Énergie-Esprit, l’énergie kundalinienne, « shekinah ».
On comprend que l’Évangile de Marie Madeleine (Maria de Magdala), fut déclaré Évangile apocryphe et détruit par l’Église. Il montre que Marie-Madeleine était la disciple préférée de Jésus, et que leur intimité était à la fois charnelle, intellectuelle et spirituelle.
Si les gnostiques étaient persécutés par l’Église, certains responsables ecclésiastiques se montraient très tolérants et c’est ainsi que des peintures comme La Cène de Léonard de Vinci ou celle d’Alonso Vazquez montrent à l’évidence Marie-Madeleine quasiment sur les genoux de Jésus (pour l’ Église, il s’agirait de Saint Jean !). En déduire comme Dan Brown une postérité à Jésus ne relève que de la fiction, puisque la caractéristique de Marie-Madeleine en tant qu’archétype de la femme libre, porteuse du message de Jésus, être « entier », c’est à dire à la fois yin et yang, c’est qu’elle a dépassé le stade de la maternité.
Les Évangiles canoniques qualifient Marie-Madeleine de pécheresse, parce qu’à l’époque seuls les hommes étaient censés accéder à la connaissance et étudier la Torah. La seule raison étant que si les femmes, soumises, quasiment réduites en esclavage, avaient eu la possibilité de savoir ce que Dieu leur reprochait, elles auraient pu se défendre, argumenter, convaincre, et ainsi sans doute, récupérer leur autorité, mais en revanche, saper également les bases de la religion. C’est d’ailleurs ainsi qu’en 415, Hypatie, une païenne grecque, professeur de philosophie et de mathématiques à Alexandrie fut sauvagement lapidée par les chrétiens sous l’impulsion de l’évêque Cyrille. Le message de Jésus : réintroduire la dimension féminine dans l’homme est incompréhensible pour les apôtres trop imprégnés de culture juive et pour qui la femme est faite pour servir et obéir.
Où est l’humain, après lui avoir ôté le Principe féminin ? Jésus avait appelé ses disciples a devenir pleinement Humains, c’est à dire à réintroduire le Principe féminin en eux, et ils ne l’ont pas entendu ! « Devenons l’Être humain dans son entièreté, laissons-le prendre racine en nous et croître comme Il l’a demandé. » Évangile de Marie.
Marie-Madeleine sentait l’homme intérieur en elle-même, et étant « entière », pouvait alors comprendre le Tout, avoir une compréhension globale des choses, une compréhension non fragmentée, car le Tout est indivisible.
« Celui qui connaît la virilité mais contient la féminité, deviendra un bassin où s’accumule toute la force du monde. » Lao-tseu, Tao Te King.
Notons au passage que la compréhension non fragmentée, compréhension globale des choses, est également un principe essentiel du taoïsme.
Seule Marie-Madeleine put recevoir cette initiation, ainsi que Thomas qui était dans l’incapacité d’expliquer ce fameux message aux autres apôtres :
« Jésus l’emmena à l’écart et lui dit trois mots… Quand Thomas revint vers ses compagnons, ceux-ci l’interrogèrent : "Que t’a dit Jésus ?" Thomas leur répondit : "Si je vous disais une seule des paroles qu’il m’a dites, vous prendriez des pierres et les lanceriez contre moi ; et du feu en sortirait pour vous brûler". » Évangile selon Thomas.
Il est bien curieux qu’on retrouve cette parabole chez le Soufi Abû Hurayra : « J’ai gardé précieusement dans ma mémoire deux trésors de connaissance que j’avais reçus du messager de Dieu ; l’un, je l’ai rendu public, mais si je divulguais l’autre, vous me trancheriez la gorge. »
Quels peuvent bien être ces trois mots ? Pourquoi pas : « Retrouve la femme qui est en toi » ou « en toi est la femme » ? Parce qu’aucune autre parole n’aurait pu mettre hors d’eux les autres apôtres, surtout Pierre.
Marie Madeleine est la première à avoir vu Jésus ressuscité ; non pas avec des « yeux de chair », mais par la vision « imaginale des prophètes ». Jésus lui demande d’annoncer l’évènement aux apôtres et de les envoyer évangéliser de par le monde. Pierre en est choqué :
« Pierre : " Est-il possible que le Seigneur se soit entretenu ainsi avec une femme, sur des secrets que nous, nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes et écouter cette femme ? L’a-t-Il vraiment choisie et préférée à nous ? " » Évangile de Marie.
Pierre n’aimait pas particulièrement les femmes. Il se méfiait même de sa propre fille :
« En effet, sa fille étant jolie à voir, et ayant déjà provoqué un scandale à cause de ses belles formes, il se mit en prière et elle devint paralysée…
« Grâce à l’autorité de son père, Pétronille (nom de la fille de Pierre), mourra "sainte, vierge et martyre" . Ce qui choque surtout Pierre, c’est qu’une femme puisse avoir une primauté sur lui et sur ses hommes et qu’elle en sache plus qu’eux. Pour un Juif de l’époque, c’est quelque chose d’impensable. Comme chaque homme pieux, chaque matin, Pierre remerciait Dieu de ne pas l’avoir créé "infirme, pauvre ou femme". Pour Pierre les femmes sont créées pour servir, obéir et satisfaire les hommes. » Jean-Yves Leloup, L’Évangile de Marie.
Il n’est donc pas étonnant que Pierre montre de l’animosité envers Marie-Madeleine, mais Jésus lui rappelait que c’était parce que la compréhension de Marie, était supérieure à la leur :
« "Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous ? " Le Sauveur répondit : "Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu’elle ? " » Évangile de Marie.
Plus récemment, dans les années 1970, fut retrouvé en Moyenne-Égypte, L’Évangile de Judas, mentionné d’ailleurs dès le IIe siècle par le pourfendeur des doctrines gnostiques, saint Irénéé. Cet Évangile révèle la croyance de Jésus et de Judas en « Barbélo », Principe féminin issu de l’Entité divine inconnaissable, transcendante et parfaite.
« Comme le faisait remarquer Graf Dürckheim (1896-1988), la découverte du spirituel aujourd’hui comme hier, passe par une réconciliation avec le féminin… et au plan universel, une rencontre sans opposition et sans confusion entre Orient et Occident. » Jean-Yves Leloup, L’Évangile de Marie.
Même si les « Pauliniens » se heurtaient avec la secte des judéo-chrétiens encore plus radicaux, et qui voulaient conserver la circoncision et le sabbat, Pierre et Paul ont essayé et réussi une sorte de « récupération judaïque » du message révolutionnaire de Jésus. L’Assemblée de Jérusalem dans les Actes des Apôtres (XV,6) est révélatrice à cet égard.
« Je suis d’avis qu’il ne faut pas tracasser les païens qui se convertissent à Dieu. Qu’on leur signifie seulement qu’ils ont à s’abstenir des viandes offertes aux idoles, de la débauche, de l’usage des viandes étouffées, et du sang. Car Moïse, depuis de nombreuses générations, a dans chaque ville, ses prédicateurs, puisqu’on en fait l’étude dans les synagogues tous les sabbats ».
Les textes gnostiques du début du christianisme, ne renferment aucune référence à Moïse. Même dans les Évangiles canoniques, Jésus ne parle jamais d’Ève ni du péché originel !
Les gnostiques ne reconnaissent pas le Dieu de la Bible, ce démiurge créateur d’un monde inique. Qui se recommande du Dieu biblique, qui le sert, s’embourbe dans la malédiction. Pour Simon le Samaritain gnostique éminent, appelé, dans les Évangiles, Simon le Magicien, du Silence Invisible naît le Père, une puissance mâle et femelle, conformément à la puissance infinie préexistante qui n’a ni commencement ni fin.
C’est ce qu’explique la Pistis Sophia (Foi-Sagesse ou Foi de la Sagesse), qui fait partie du « Codex de Londres » (British Museum). En grec, « pistis », c’est la foi, la fidélité.
C’est un traité de 178 feuillets, découvert en Égypte au XVIIIe siècle, datant du IVe siècle, écrit en copte par Valentin et qui relate les dialogues entre Jésus, Marie- Madeleine et les apôtres.
Pour certains gnostiques comme les nicolaïtes, s’inspirant de la Pistis Sophia, c’est également Barbélô, la Mère céleste, Mère des Vivants, émanation de l’Esprit suprême, qui aurait engendré par erreur le créateur de ce bas monde, Ialdabaôth, ou Sabaôth, le démiurge devenu le Père , le Dieu de la Genèse.
Dans L’Hypostase des Archontes, l’Archonte, le démiurge, en fait Yahvé, « a souillé Ève », la dépouillant de son âme pour la rendre « uniquement charnelle » afin de pouvoir la dominer, et il a endormi Adam, « le jetant dans le sommeil de l’ignorance », et les rivant ainsi tous deux au monde de la matière, en leur interdisant les fruits de l’Arbre de la Connaissance qui leur permettrait de retrouver leur dimension spirituelle.
Quant aux ophites (ophis = serpent), ils vénéraient le Serpent, symbole de la Mère (Sophia), qui devait apporter la vérité à Adam et Ève, leur ouvrir les yeux grâce à la gnose afin qu’ils comprennent que ce Dieu qui se dit « suprême », n’est qu’un démiurge, usurpateur du pouvoir de la Mère. Mais le Dieu de la Bible, fou de colère, jeta le Serpent en bas des cieux et le maudit à jamais ainsi qu’Adam et Ève. Le symbole du serpent qui promet à Ève de lui donner le pouvoir de Dieu, c’est en fait le serviteur de la déesse qui tente de lui rendre son pouvoir usurpé par le Mâle. Comme Lilith, elle sera rejetée de l’Eden. Précisons qu’Adam et Ève n’ont pas été chassés du paradis parce qu’ils se seraient accouplés, puisque bien antérieurement, Yahvé leur avait enjoint de « croître et de multiplier ». Cette séquence sur la soudaine honte devant leur nudité relève de la pudeur excessive des hébreux en général et des rédacteurs de la Bible en particulier. Elle sera à l’origine du puritanisme, une « névrose judéo-christiano-musulmane », qui sévit encore.
La plupart des sectes gnostiques vénèrent une Mère primordiale que son fils, appelé démiurge, Ialdabaôt, Sabaôt ou Yahvé, aurait rejetée et qui aurait créé ce monde imparfait. La tâche de Jésus étant de ré-instaurer le Principe féminin perdu.
La colombe, c’est l’oiseau, le symbole de la Mère, récupéré par le christianisme comme symbole du mystérieux Saint-Esprit, qui n’est autre, selon Françoise Gange, « que le 3e membre de la sainte Famille : la Mère réintroduite au statut divin, à côté du Père et du fils, dans ce message révolutionnaire de réconciliation du féminin et du masculin que venait apporter Jésus ». Un message qui a donc été occulté.
« Jésus dit : "Celui qui ne haïra pas son père et sa mère comme moi ne pourra pas devenir mon disciple. Et celui qui n’aimera pas son père et sa mère comme moi ne pourra pas devenir mon disciple. Car ma mère charnelle m’a engendré à la mort, mais ma mère véritable, elle, m’a donné la Vie". » Évangile de Thomas, Logion 101.
À comparer avec Luc, 14, 26-27 : « Si quelqu’un veut venir à moi sans haïr son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peur être mon disciple ».
La parole de Jésus semble ici tronquée, et la signification limitée au fait que pour le suivre, il faut se détacher de tout, même de ce qui est le plus cher. Mais pourquoi donc employer des paroles si révoltantes pour exprimer quelque chose de si banal ?
Alors que pour Jésus, sa Mère, c’est le Saint-Esprit, la grande Mère, symbole du Principe féminin. Jésus le fils est venu ré-instaurer le Principe féminin, le Saint-Esprit afin de rétablir l’intégrité du Père. (H.C. Puech, En quête de la Gnose tome II, page 247).
L’Esprit, Pneuma ou « Souffle », est le « Principe féminin »
Et le blasphème contre l’Esprit, est impardonnable :
« Qui a blasphémé contre le Père, on lui pardonnera… qui a blasphémé contre l’Esprit, on ne lui pardonnera pas, ni sur terre, ni dans le ciel. » Évangile de Thomas, logion 49.
« Négliger ou dévaluer la part féminine de tout être humain, comme cela a été fait dans les religions, c’est priver la spiritualité d’une de ses voies privilégiées d’accès au divin. » Arlette Fontan, Cachez ce sexe que je ne saurais voir.
La tâche du gnostique, hier comme aujourd’hui, est donc de réhabiliter le principe féminin, déjà en soi-même.
Selon l’Évangile de Vérité de Valentin (IIe siècle), à travers l’illumination (satori) et la connaissance, le salut peut atteindre non seulement l’âme individuelle, mais l’univers tout entier. De même que pour les bouddhistes, on ne peut sauver le monde sans se sauver soi-même.
Comme l’a exprimé Henri Corbin, la gnose est une philosophie prophétique.
Toutefois il ne faut pas oublier la difficulté de synthétiser la gnose, tant elle est diverse, et si rares sont les documents, puisque l’Église s’est acharnée à brûler tout ce qui lui tombait entre les mains. Les Pères de l’Église ont concouru à la confusion en qualifiant souvent de gnostiques tous les hérétiques, qu’ils connaissaient mal, mais qui pour eux, étaient tous dans l’erreur.
Certains gnostiques pensaient que le corps du Christ était virtuel, et qu’il était donc une partie de ce Dieu inconnaissable auquel ils croyaient.
Basilide et Valentin, niaient la dimension humaine du Christ (docétisme), pour en faire une entité purement divine, ce qui est en contradiction avec le fait que « l’agnostos theos » n’ait rien à voir avec notre monde. Certaines théories sont contradictoires d’une école, d’une région, d’une époque à l’autre.
Certaines sectes gnostiques ont élaboré des systèmes de croyance totalement incohérents pour notre époque, avec de nombreux niveaux de dieux, d’anges, d’esprits, de démons, qui se mélangent avec des héros des mythologies orientales et même de la mythologie grecque.
Le rejet de l’Ancien Testament, amène certains à en prendre même le contre-pied. Par exemple les caïnites
prennent la défense de Caïn, agriculteur pacifique, contre Abel, éleveur et nomade, qui, soutenu par Yahvé, devait pratiquer des razzias contre les cultivateurs-cueilleurs, soutenus par la déesse-Mère.
Et en effet, les païens (de « paganus », paysan, en latin), des agriculteurs du pays prospère de Canaan seront envahis et asservis par les Hébreux, et leur croyance en
la déesse Mère interdite, punie de mort.
De même les caïnites cherchent à réhabiliter les habitants de Sodome et Gomorrhe qui selon eux, refusaient d’adorer Yahvé-Satan et restaient fidèles à la déesse Mère. Comment un anthropologue comme René Girard dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, peut-il rester aveugle à ces évidences et en rester à son explication du meurtre fondateur : « … la leçon biblique c’est que la culture née de la violence doit retourner à la violence ». Alors que c’est Yahvé (inventé pour justifier le pire des patriarcats), qui justement est le seul responsable de la violence contre la Mère et de l’injustice vis-à-vis de Caïn l’agriculteur.
C’est ainsi également que L’Évangile de Judas, d’inspiration caïnite, voit dans Judas,
non un traître, mais celui par qui l’Esprit du Christ sera délivré de son enveloppe charnelle : « Car tu sacrifieras l’homme qui me revêt ». Des systèmes qui toutefois, ne sont pas plus absurdes que ceux qui sont issus de la Bible, du Coran, ou des spéculations des Pères de l’Église.
En revanche, il y a une constante chez tous les gnostiques. En particulier, pour eux, ce n’est pas la résurrection de Jésus qui mène au salut, mais la Connaissance. Les points communs sont également dans le refus de ce monde et le refus de la procréation sous le joug du patriarcat, tout en militant pour une réintégration du féminin déchu.
Du gnosticisme, les cathares ont su tirer la substantifique moelle.
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