Chapitre III
« Certains
traquent goulûment, parmi tous les résultats de la physique, ceux qui
pourraient ouvrir les portes du mysticisme ou donner une assise rigoureuse
aux mythologies, comme si la science était une espèce de grande soupière où
chacun pouvait venir chercher le fait ou l’explication qui l’arrange ou le
conforte. » Étienne Klein, 3e Millénaire,
janvier 1991. Cette mise en garde ne
doit pas nous quitter, la physique quantique ne peut s’expliquer avec des
mots familiers mais essentiellement avec des concepts mathématiques non
élémentaires. Nous devons nous contenter d’approximations et de métaphores. À
chaque fois qu’un parallèle est fait entre le Tout de la pensée
traditionnelle et celui du monde quantique, il ne s’agit que d’une piste en
exploration, que l’on devra demain abandonner peut-être. Une analogie n’est
pas une démonstration. C’est la science qui progresse et nos idées qui
doivent s’y adapter et non l’inverse bien évidemment. La prudence doit nous
guider, et un point d’interrogation ponctuer chacun de nos enthousiasmes. « Le
rôle de la religion va se transformer, passant progressivement de l’état de
réponse à celui de question ! » Hubert
Reeves, Nouvelles Clés septembre 1991. Tout l’univers peut
se concentrer en un point. À l’inverse ce point d’énergie, en explosant (le BigBang)
recrée l’univers. L’Un, que l’on peut appeler également la Totalité, le Tout,
l’Univers, est en nous comme en chacune de nos cellules. L’Un fusionne dans
le Tout. Comme la vague dans l’océan : dans chaque vague il y a l’océan,
comme dans l’océan il y a toutes les vagues. On ne peut séparer la vague de
l’océan. Organiquement ils ne font qu’un. « Le moi est la vague et le soi est l’océan. Le soi peut
exister sans le moi, mais le moi ne peut paraître sans le soi ». RamanaMaharshi. « [La notion
d’ordre enveloppé ou impliqué signifie que] la totalité de l’univers devait,
en quelque sorte, être enveloppé (enfolded)
en chaque chose, et chaque chose enveloppée dans le tout. Il en résulte que
tout s’enveloppe ou s’implique dans tout, mais de telles manières que, dans
des conditions expérimentales ordinaires, les choses possèdent une grande
part d’indépendance relative […] Il s’ensuit que chaque élément se trouve
intérieurement relié au tout, et en conséquence, à tous les autres
éléments ». David Bohm, 3 eMillénaire,
juillet 1991. Pour David Bohm, à
l’inverse de ce que la physique classique croyait, les déplacements électroniques
cachent un processus coopératif mettant en jeu un très grand nombre
d’électrons qui produisent les vibrations du plasma. Un plasma est un état de
la matière constitué de particules chargées, d'ions et d'électrons. Bohm a l’intuition que ce plasma est un
être vivant. Ce qui est nouveau, c’est que le macroscopique n’est pas plus
complexe que le microscopique, et en découpant la matière de plus en plus
finement, l’on n’arrive pas toujours à quelque chose de plus simple, et en
particulier, l’électron semble beaucoup plus complexe que nous pouvions le
penser. « La plus importante caractéristique de la conception
orientale du monde est la conscience de l’unité et de l’interaction de toutes
choses et de tous évènements, l’expérience de tous les phénomènes du monde
comme autant de manifestations d’une unité primordiale. Tous les phénomènes sont
conçus comme solidaires et inséparables dans cet ensemble cosmique ; en
tant que manifestations différentes de la même réalité ultime, indivisible,
qui est en toute chose, et dont toute chose est partie […] Dans la vie ordinaire, nous ne sommes pas conscient de cette unité de toutes les choses,
mais divisons le monde en objets et évènements distincts. Cette division est,
bien sûr, utile et nécessaire pour faire face à notre environnement
quotidien, mais ce n’est pas une caractéristique fondamentale de la réalité. […] L’unité fondamentale de l’univers n’est pas seulement la
caractéristique centrale de l’expérience mystique, elle est aussi l’une des révélation les plus importantes de la physique
moderne. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 134. C’est ainsi que selon
la « pensée relationnelle » de Arne Næss, (dans Écologie,
communauté et style de vie), les organismes et les personnes ne sont pas
isolables de leur milieu. Les organismes et leur milieu ne sont pas deux
choses mais une seule ; « un organisme est une interaction »,
et « rien n’existe à part ». Rien
dans l’univers n’est inerte ; c’est un système vivant. Chaque
organisme vivant sur la terre est utile à la vie, au développement de la
terre, de la lune, du soleil et de l’univers. Rien
ne nous sépare de la totalité de l’univers, comme rien ne sépare la vague de
l’océan. L’humanité
est un tout dont a besoin le Tout-Univers. « L’homme
vrai voit toutes choses d’un même regard… de sorte qu’elles se confondent
dans l’unité. […] Dans
le monde des apparences, chacun semble mener une existence distincte, mais
cela n’est qu’illusoire. Le vrai, c’est que tout être, toute chose, est un
membre d’un seul et même corps. » J.-C. Cooper, La philosophie du Tao. Renoncer à son moi
social pour se fondre dans l’Un, c’est ce qu’on appelle dans la terminologie
taoïste, découvrir sa vraie nature et, dans les textes bouddhistes il est dit
qu’on devient ce que déjà on était. « Le
postulat de l’interdépendance universelle fonde la structure absolue […] La
conséquence immédiate de la structure absolue, c’est qu’il y a du positif
partout, et que par conséquent, les situations les plus difficiles, les plus
détestables et apparemment les plus négatives, contiennent leur positivité,
en sorte qu’il n’y a pas au fond, de jugement de valeur possible ».
Raymond Abellio,Approches de la Nouvelle Gnose. Ce
déterminisme n’est effrayant que pour ceux qui se croient sortis de la cuisse
de Jupiter. Quelle paix en revanche de savoir que nous ne sommes qu’epsilon,
tout en faisant partie du Tout. « Le dernier acte d’Hamlet est déjà dans la première scène,
même si le spectateur l’ignore […] Comme dans une tragédie
grecque, le destin finit toujours par s’accomplir, quelque soit la manière
dont chaque personnage exerce entre-temps sa liberté de choix. » Edmund
Leach. « Nous sommes
chez nous sur cette terre, elle est notre mère. Elle est la nourriture par où
nous viennent toutes les énergies de l’univers. » PlacideGaboury,
Le voyage intérieur. Pour Hermès
Trismégiste, la matière est un reflet de l’esprit. Shankara (fin du VIIe siècle) qui s’est attaché à démontrer
l’absolue unité de l’être, voit également, dans les Upanishad, toute la
diversité sensible du monde réduite à une substance unique, indifférenciée, le brahman, Conscience universelle à
l’origine de l’univers. « Le
principe dont tous les êtres naissent, dont ils vivent une fois nés, où ils
rentrent quand ils meurent, tu dois chercher à le connaître : c’est
Brahman. Quiconque se voit dans tous les êtres et vit tous les êtres en lui
devient Un avec Brahman suprême. » « Ce
Brahman est bien, sans aucun doute, cet immense tissu de l’univers qui, bien
qu’invisible, nous constitue nous-mêmes […] Vous
vous croyez une entité séparée de tout parce que vous avez réussi à vous
isoler dans un corps et à mettre unMoi dans ce corps ? Allons
donc ! Le corps n’est qu’un assemblage provisoire : la toile très
fine et très complexe dont vous avez illusoirement fait un Moi différent des autres Moi. Différent parce que vous
l’avez circonscrit, défendu, nourri comme s’il était unique. Ce Moi-tissu limité vous a voilé
l’immense tissu de l’univers, du Tout. Et ce Tout n’est fait, en définitive
que des vibrations fluctuantes dont votre Moi n’est qu’une vague minuscule »
Ida Rabinovitch, Les bases du psychisme. « Chaque parcelle du monde, du plus
petit au plus grand est une étincelle de conscience. » Edmond Fieschi, op.cit.
L’atman-brahman, principe
premier et absolu, éternel, ineffable, englobe tout, forme la substance même
de notre conscience comme de toute vie et de toute chose, il est donc présent
au sein de toutes les créatures ; mais il demeure fondamentalement
dépourvu d’intention, étranger à tout plan et à tout dessein. À l’instar
d’Ahura Mazda et du Dieu des gnostiques. « Si le brahman venait à être cause de quoi que ce
soit, il serait modifié par sa propre opération de causation et dérogerait
par là même à son essence ». Michel Hulin, Sankara et la non-dualité. La
concentration sur le brahman ou sur le Tout, déboucherait sur une
saisie intuitive de la non-dualité, donnant accès à la délivrance.
Une pensée totalement affranchie de ce dualisme occidental qui, comme nous
l’avons déjà précisé, différencie l’esprit et le corps, l’un serait
immatériel, l’autre matériel, alors que Tout est seulement Energie. Et comme
l’explique Ouspensky,
ils ne sont que les deux extrêmes d’une même chose. Comme un bâton a deux
bouts, comme le yin rejoint le yang. En effet tout dans le
monde est mouvement, et plus précisément vibration. « Tout est en
résonance, en échange de vibrations, d’informations, d’énergie… La matière
est faite d’ondes plus larges, plus lentes, elle contient moins d’énergie,
alors que l’esprit est en ondulations plus fines… En méditation, l’être
humain et le système planétaire entrent en symbiose ondulatoire. » Placide Gaboury,
Le voyage intérieur. « Les vibrations qui émanent d’une
forêt, d’un fleuve, peuvent s’infiltrer en nous si nos cellules sont prêtes à
les absorber. » Bertrand de Jouvenel (1903-1987). « Dans de nombreuses
cultures dites primitives, une des conditions de l’initiation tribale est un
séjour prolongé dans la solitude des montagnes ou des forêts, séjour qui doit
faire découvrir à l’adolescent ce que signifient la solitude et la
non-humanité de la nature. Il parvient ainsi à la conscience de ce qu’il est vraiment,découverte quasi impossible tant que la
communauté lui dicte ce qu’il est ou devrait être. Celui qui subit
l’initiation découvre alors que le sentiment de solitude n’est que la crainte
masquée d’un inconnu qui est lui-même. […] L’initié, une fois franchi le mur
de la solitude, voit son sentiment d’isolement éclater en vertu de son
paroxysme pour se résoudre en un sentiment d’accord avec l’univers tout
entier. » Alan Watts, Amour
et connaissance. « La
diète des aliments nous rend la santé du corps, et celle des hommes la
tranquillité des âmes ». Bernardin de Saint-Pierre. La montagne inspire
aussi le respect de la nature, parce qu’elle incite à l’humilité devant sa
majesté. Se
retirer de l’agitation humaine pour se fondre dans l’univers, permet, non pas
d’entendre des voix, mais de capter des fulgurances. Comme le radio amateur
qui reste en permanence attentif aux ondes courtes, il s’agit de saisir au
vol ces illuminations par essence, fugitives, et de méditer sur leur
signification.
Rappelons que dans la pensée chinoise il n’y a aucune distinction entre la
matière et le rythme.
Le contraste du yin et du yang compose une sorte de spectacle qu’un
ordre musical semble régler… Une manière de symphonie cosmique… Chez les hindous,
selon les Sivasutra,
la suprême vibration de Shiva met en branle la manifestation de l’infinie
variété des choses. La vibration est la libre puissance qui éclaire, donne
vie et mouvement à tout ce qui existe ; c’est la Conscience universelle,
et comme tout est vibration, tout est conscience ! Pourquoi l’homme serait-il le seul à avoir une
conscience et pas la Terre (Gaïa), la mer, l’univers…
Il n’y a pas l’Esprit et la Matière, tout est Énergie, tout est vibration,
tout est conscience, tout est vie. « Les
sciences nouvelles, telles la physique quantique des champs et la biologie
systémique nous présentent les particules ultimes de la matière, tels les
électrons sous la forme de tourbillons vivants d’énergies possédant
conscience et intelligence ». Robert Linssen David Bohm (1917-1992), dans La plénitude de l’univers,
fait l’hypothèse qu’il n’y ait en fait, ni esprit ni matière, mais une
réalité supérieure qui leur est commune et qui les génère. « Les termes "matière" et "énergie"
désignaient autrefois des entités distinctes ; aujourd’hui, la célèbre
équation E=mc² unifie les deux concepts. Il en est de même pour
l’espace et le temps, qui sont maintenant liés dans la nouvelle
mécanique relativiste. Deux évènements ne sont plus séparés dans l’espace par
une distance absolue, ni par un intervalle temporel fixe pour tous les
observateurs ». Michel Fleury, L’atome
et l’éternité. Nous prenons pour la
réalité les apparences du monde extérieur et celles de notre ego. Il n’y
aurait selon la physique quantique, d’espace que par rapport aux objets qui
s’y trouvent, et il n’y aurait de temps que par rapport aux évènements qui
s’y déroulent. « Plus nous pénétrons dans le domaine inframicroscopique et plus nous réalisons que le
physicien moderne, comme le mystique oriental, en est arrivé à comprendre le
monde comme un système composé d’éléments indivisibles et interdépendants, et
en mouvement perpétuel, l’homme étant partie intégrante de ce système […] Les découvertes de la physique moderne ont profondément
modifié des notions telles que celles d’espace, de temps, de matière,
d’objet, de cause et d’effet […] De ces changements a émergé une nouvelle
vision du monde, radicalement différente, encore en voie de formation dans
les recherches scientifiques en cours […] La théorie des quanta et la
théorie de la relativité nous ont contraints d’adopter une vision du monde
beaucoup plus subtile, cohérente et organique […] Selon la théorie de la relativité, l’espace n’est pas
tridimensionnel et le temps n’est pas une entité séparée. Tous deux sont
intimement liés et forment un continuum à quatre dimensions, l’Espace-Temps […] La plus importante
conséquence de cette modification consiste en la compréhension, que la masse
n’est rien d’autre qu’une forme d’énergie. Même un corps au repos contient de
l’énergie emmagasinée dans sa masse, et le rapport entre les deux est donné
par la célèbre équation E =
mc², c étant la vitesse de la lumière […] La théorie générale de la relativité d’Einstein abolit ainsi
totalement les notions d’espace et de temps absolu. Non seulement toutes les
mesures concernant l’espace et le temps sont relatives, mais aussi la
structure globale de l’espace-temps dépend de la répartition de la matière
dans l’univers et la notion d’« espace vide » perd son sens […] Loin d’être des petits corps durs et solides qu’ils étaient
censés être depuis l’Antiquité, les atomes se révélèrent être de vastes
régions d’espace dans lesquelles d’extrêmement petites particules, les
électrons, tournaient autour du noyau, liées à lui par des forces
électriques. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages 25, 56,64, 65, 66, 67. « L’espace
et le temps ne sont plus des cadres statiques, ils sont reliés, relatifs et
en devenir. L’espace-temps-matière est une seule chose. Le tout et la partie
sont liés : la cellule est dans l’être et l’être dans l’information
génétique de la cellule » Sophie Perenne, La
vision paradoxale… Les cartésiens se demandent comment la
vie peut émerger des particules dénuées de vie ! Quelle courte vue.
Pourquoi décider que les particules sont dénuées de vie, alors que nous ne
pouvons les voir ? À l’opposé, la nouvelle physique de la gnose de
Princeton a émis l’hypothèse que chaque grain de matière-énergie est aussi un
grain de conscience. C’est d’ailleurs la responsabilité du monothéisme
biblique d’avoir dénié toute sensibilité à la nature (eau, plantes, animaux,
insectes), avec les conséquences écologiques que l’on connaît. Dans la mesure
où tout corps, inerte ou vivant est doté de conscience, nos rapports avec lui
sont différents, à l’instar des animistes, que nous devrions redevenir. Dans Dialogues avec un sauvage, La Hontan(1666-1716) note
l’animisme des Indiens d’Amérique qui organisent le monde comme une
totalité vivante et qui donc, interagit. Dans toute chose, ils voient le Grand Esprit. Ils
vivent selon une sorte de communisme primitif, avec la propriété collective
des terrains de chasse. « La Terre ne nous appartient pas, c’est nous qui
appartenons à la Terre. » Sitting Bull
(vers 1834-1890). « La
première fois qu’elle respira du pétrole, [ma grand mère illettrée] dit
" Ce liquide est issu de la corruption, il faut le laisser à la place que
Dieu lui a assignée, sinon le monde en sera corrompu ". En écoutant la
"caisse parlante" que représentait pour elle la radio, elle
dit : " Les Roumis sont des magiciens, mais ils font des miracles
par orgueil, c’est pour cela que les vrai miracles échappent à leur
entendement…" » Pierre Rabhi, Parole
de terre.
Selon la gnose de Princeton, la matière s’organiserait d’elle même, comme
l’enfant, qui, avec sa conscience des choses, met en ordre un puzzle. Les
particules seraient à la fois ces pièces du puzzle et ce qu’elles sont dans
le mental de l’enfant qui les met en ordre (Raymond Ruyer, La gnose
de Princeton). « Dans une des
traditions les plus répandues [en Inde], on raconte qu’à l’origine apparut la
musique, ou plus exactement une série de vibrations harmonieuses, comme des
ondes qui, pendant des temps incommensurables, se répandirent dans le
cosmos. » Jean-Claude Carrière, Entretiens sur la fin des temps.
P 166.
Dans Récit de Belzébuth à
son petit-fils, roman de G.I.Gurdjieff,
Belzébuth, un extraterrestre, est séduit par un derviche, musicien, créateur
d’instruments de musiques, grand explorateur des harmonies, qui, grâce à ses
recherches dans la « science des vibrations », réussit à composer
des « mélodies sacrées », qui par « vivification des
vibrations », produisent de l’énergie, qui peut se révéler
bienveillante ou maléfique.
Pythagore (580-480) voyait dans la musique un acte mathématique, Dieu,
disait-il, est la musique suprême dont la nature est l’harmonie. Le grand alchimiste
et disciple de Paracelse, Heinrich Khunrath (1560-1605),
précisait déjà dans Amphiteatrum sapientae aeternae, que sa quête de la sagesse divine
passait par la cabale et la musique. De
même les adeptes de l’ordre soufi Chishtiatteignaient le Tout, par la musique : « Les bienfaits apportés par quelques moments d’écoute de
musique sont aussi grands que ceux que pourraient apporter des centaines
d’années de pénitence, mais les gens ne le savent pas… » Un
orchestre en effet, est composé d’instruments divers, qui pourtant
réussissent à créer l’harmonie. Aujourd’hui, où la musicothérapie prend de
plus en plus d’importance, paradoxalement, la musique étant devenue un
produit de consommation de masse, elle peut aussi, influer négativement sur les
mentalités. « Vu l’importance du rôle
que joue la musique dans la vie, il faut souligner que celle-ci est une
véritable magie, capable d’abaisser et d’avilir celui qui l’écoute, ou de
l’exalter et de l’élever vers les régions lumineuses de son être… « Les lois de l’harmonie ne sont pas
basées sur des règles arbitraires, mais sur une étude, effectuée au long des
siècles, des longueurs d’onde des différentes notes et de leurs harmoniques
qui sont inaudibles d’ordinaire. C’est pourquoi, lorsque la musique est
construite en combinant les notes d’une façon erronée grammaticalement, sans
que l’auditeur le réalise, elle détruit son être… » Salim Michel,
3è millénaire, n°54. « Ceux
qui en condamnaient l’usage [de la musique en pays d’Islam], ne voyaient en
elle qu’un divertissement profane. En revanche ce que nos mystiques ont
produit, c’est quelque chose comme l’équivalent de ce que nous appelons
musique sacrée ; et la raison en est si profonde que, si nous l’avons
comprise, toute musique, à condition qu’elle soit adonnée à sa finalité
suprême, nous apparaîtra comme ne pouvant être qu’une musique sacrée. »
Henry Corbin, Cahiers de
l’Herne. Selon Henry Corbin, la
conscience globale du passé et de l’avenir, par delà les limites de la
chronologie, ne peut atteindre son caractère absolu que musicalement, comme
lorsque les mystiques chantent le Masnavi,
le « Coran persan ». L’écoute d’incantations musicales des
mystiques persans, peut soudain, faire de nous des « clairs
voyants ». « La physique moderne nous a révélé que le rythme et le
mouvement sont des propriétés essentielles de la matière ; que toute
matière, que ce soit sur Terre ou dans l’Espace, participe à une continuelle
danse cosmique. [Or les mystiques orientaux] ont employé l’image de la danse
pour traduire leur intuition de la nature […] Alexandra David Neel dans Voyage au Tibet, rapporte sa
rencontre avec un lama qui se présenta lui-même comme un « maître du
son » et lui donna le résumé suivant de sa conception de la
matière. « Toutes choses sont des agrégats d’atomes qui
dansent et qui par leurs mouvements émettent des sons. Lorsque le
rythme de la danse varie, le son produit change également. Chaque atome
chante perpétuellement sa chanson, et le son, à chaque instant, crée des
formes lourdes ou subtiles. « La similitude de
cette vision et de la physique moderne devient particulièrement remarquable
lorsque nous nous rappelons que le son est une onde possédant une certaine
fréquence qui change lorsque le son varie, et que les particules,
l’équivalent moderne du vieux concept d’atomes, sont aussi des ondes aux
fréquences proportionnelles à leur énergie. Selon la théorie des champs,
chaque particule en effet « chante perpétuellement sa chanson »,
produisant des systèmes rythmiques d’énergie (les particules virtuelles) sous
des « formes lourdes ou subtiles ». La métaphore de la danse
cosmique a trouvé son expression la plus profonde et la plus belle dans
l’hindouisme, avec la danse du dieu Shiva. Selon la croyance hindoue,
toute vie participe d’un immense processus rythmique de création et de
destruction, de mort et de renaissance, et la danse de Shiva symbolise ce
rythme éternel vie/mort qui se prolonge en des cycles infinis. »Fritjof Capra, Le Tao de la Physique,
page 246.
Notre corps nous apparaît solide, alors qu’il n’est qu’une superposition de
milliards de milliards d’ondes. « L’emprisonnement
des électrons dans un atome produit une vitesse considérable, d’environ 1000
kilomètres-seconde. Ces vitesses élevées font apparaître l’atome comme une
sphère rigide, de la même façon qu’une hélice en rotation rapide apparaît
comme un disque. Il est très difficile de comprimer davantage les atomes,
ainsi donnent-ils à la matière son aspect solide et familier. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 72 Pour Ouspensky,
bien avant Placide Gaboury, la matière présente une vibration très faible et
une forte densité, alors que l’esprit présente une vibration élevée, et une
densité très faible. Entre l’esprit et la matière, tout est question de degré
et non de nature. Une théorie occultiste présentée par l’auteur de Fragments d’un enseignement
inconnu il y a déjà près d’un siècle et qui remonte en fait, à
Hermès Trismégiste. Le dieu Thot (Hermès
Trismégiste) dépose le cœur du défunt sur l’un des plateaux de la
balance du Jugement. L’autre plateau porte une plume de
la déesse de la Vérité (Maat).
L’homme dont le cœur est pesé, doit donc avoir connu des vibrations très élevées
pour que son cœur soit aussi léger qu’une plume, et que les plateaux
s’équilibrent. Cet équilibre, c’est le signe que le cœur de cet homme est en
harmonie, en communion, avec l’ordre de l’univers. De
même le Bouddha, représenté ou décrit comme souriant et serein a pesé le
monde, l’a trouvé bien lourd et dense (à la différence de la Bible qui le
trouve trop léger), s’est libéré de ses attaches afin d’atteindre la grande
paix.
C’est lorsque l’harmonie intérieure est parfaite, qu’il y a symbiose entre le
Tout et l’Un, entre le « Ciel » et soi-même, entre Dieu et le
croyant. Cette théorie est
tellement proche de celle des « cordes » des physiciens actuels,
qu’on peut se demander si cette dernière ne s’en inspire pas. « Le physicien sait bien que ce qu’il
appelle matière est une composition de particules
qui sont de l’énergie… Matière et énergie sont deux termes qui
désignent concrètement la même réalité. » Charles Tresmontant, Sciences de l’univers et
problèmes métaphysiques.
Seul, n’existe que le mouvement général de l’énergie, dont nous ne percevons
pas les vibrations, mais dont nous voyons la couleur, c’est à dire la
lumière, la chaleur, les sons etc. Nous sommes le récepteur de ces
vibrations, sans pouvoir connaître leur origine et leur raison d’être. « Les pensées,
les désirs, les actions, manifestations actives à travers la matière de la
Connaissance, de la volonté et de l’Energie, sont tous constitués par des
vibrations, mais leurs phénomènes sont différents à cause du caractère
différent des vibrations. » Annie Besant, Le pouvoir de la pensée.
Pour le professeur Étienne Guillé (Revue 3e millénaire août 1982), nos cellules comme
l’ADN, sont des supports vibratoires d’énergie, mesurables par leur amplitude
et leur fréquence. Une énergie, qui peut être transférée de support
vibratoire à support vibratoire, et plus les fréquences des vibrations sont
élevées, plus est grand le champ de conscience. La « théorie
des cordes », due à Gabriele Veneziano, permet l’unification des lois
qui régissent le macrocosme, selon la « théorie de la relativité
générale » d’Albert Einstein, et celles qui régissent le
microcosme, selon la « théorie des quanta ». Il s’agirait d’une équation
unique, englobant l’infiniment petit et l’infiniment grand. Avec
la théorie des cordes, les particules élémentaires ne sont plus représentées
par des points, mais par de petites cordes, des sortes de cils, des brins
d’énergie, tellement microscopiques qu’on ne pourra jamais les voir, mais qui
vibrent, et qui, en vibrant selon des fréquences différentes, donneraient
leurs propriétés aux particules qui pourraient ainsi passer de l’électron, au
quark, au photon etc., jusqu’au graviton, porteur de la force de gravitation.
À l’instar d’une corde de viol on pouvant émettre toutes les notes de
la gamme. Et en l’occurrence la gamme serait infinie. Et nous ne vivrions pas
dans un espace à trois ou quatre dimensions, mais à onze dimensions. Cela
semble aussi difficile à imaginer que l’idée selon laquelle l’information de l’ensemble
de l’univers est contenue dans chaque être, alors que nous admettons
aujourd’hui que chacune de nos cellules contient toute l’information
permettant la reproduction de l’ensemble du corps. La vision du Bouddha,
elle, traversait les millénaires.
« C'est à l'intérieur de ce corps même, de six pieds de long seulement,
tout mortel qu'il soit, que sont, je vous le dis, le monde et l'origine du
monde et la fin du monde et aussi la voie qui mène à la libération. » Le Bouddha,Samyatta Nikaya.
Ainsi que pour Jésus : « Le Royaume des cieux est en vous. »
Grâce à l’enseignement d’Hermès Trismégiste, grâce à la théorie des
vibrations et à la théorie des cordes, on peut mieux comprendre ce que
représente le karma* (en sanskri, kammaen
pâli) bouddhiste. C’est l’enchaînement des causes et des effets. Chaque
action génère inéluctablement la suivante. Chaque problème résolu suscite de
nouveaux problèmes. C’est un engrenage, non pas à trois dimensions, ce qui
est déjà difficile à concevoir, mais à un nombre incalculable de dimensions,
où toutes les roues dentelées seraient toutes en interaction constante. Le
karma, c’est en fait, le piège du monde. *
« Dans la philosophie hindoue, karma désigne aussi bien l’action
motivée, ou dotée d’un but, que la cause et l’effet. Karma est le type même
d’action qui tient l’homme en esclavage. Poursuivant des buts, il ne les
atteints jamais et ne fait que perpétuer la poursuite. Résolvant des
problèmes, il s’en crée sans cesse de nouveaux. » Alan Watts, Amour et connaissance. « Pour
prendre une comparaison tirée de la physique moderne, on pourrait considérer
le corps et la psyché comme une succession de quanta, guidés par une onde psi qui serait le karma, c’est-à-dire la
résultante des actions passées, sans que l’on puisse trouver dans ce karma
quelque chose de matériel. On pourrait parler d’un champ qui oriente des
vecteurs en succession, conditionnés. Cette continuité serait assurée après
la mort, qui n’est en sorte qu’un moment de la continuité, tout comme la mort
d’une pensée, après qu’elle est née et qu’elle s’est développée, tout comme
la mort d’une cellule du corps. Ce n’est que lorsque l’individu ou la personne
sont « nirvānés », tous facteurs
d’existence éteints (et donc le karma), qu’il y a arrêt des combinaisons
phénoménales qui formaient un « moi ». Le Nirvāna n’est donc pas individuel ou
personnel, il est transphénoménal. » Commentaires
sur le Dhammapada, Spiritualités vivantes, Albin Michel. Un exemple donné par Krishnamurti dans La première et la dernière
liberté peut également
faire comprendre ce qu’est le karma : « La
guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne.
Elle n’est que l’expression de notre état intérieur, un élargissement de nos
actions habituelles. Encore qu’elle soit plus spectaculaire, plus sanglante,
plus destructrice que nos activités individuelles, elle en est le résultat
collectif. Par conséquent, vous et moi sommes responsables de la guerre, et
que pouvons nous faire pour l’arrêter ? Il est évident que celle qui
nous menace ne peut être arrêtée ni par vous ni par moi, parce qu’elle est
déjà en mouvement : elle a déjà lieu, bien que, pour le moment, ce soit
principalement au niveau psychologique. Comme elle est déjà en mouvement,
elle ne peut être arrêtée ; les forces en jeu sont trop nombreuses, trop
puissantes et déjà engagées. » Tous nos actes ont une importance dans
l’univers, comme le vol du papillon a symboliquement une influence epsilon
sur la force du vent de l’autre côté de la terre. « Si je
tends la main, si je lève le bras, je modifie la gravitation universelle
puisque je change, je déplace le centre de gravité de la terre et par
conséquent je modifie la marche de l’univers jusqu’aux confins des galaxies.
Je la modifie certes d’une quantité infinitésimale, mais je la modifie quand
même. » Raymond Abellio, Approches
de la Nouvelle Gnose. Et
les lois de l’univers règlent aussi bien les basses vibrations que les
hautes, c’est à dire la matière dense que la matière subtile. De même pour G.
I. Gurdjieff tout dans l’univers est régi par la Loi d’équilibre des vibrations :
natalité, mortalité, disparition d’espèces, cataclysmes etc. C’est ainsi qu’il y a
soixante millions d’années, une météorite tombée dans le golfe du Mexique
aurait provoqué la mort des dinosaures. Mais les dinosaures par leur
prolifération, étant devenus une aberration de la nature, ne serait-ce pas la
Grande Harmonie de l’Univers qui, seulement par la cohérence des choses,
aurait fait que la météorite chût ? Ainsi, les êtres humains, suite à
leur aveuglement à croître sans cesse au détriment des autres espèces,
fabriquent inconsciemment des produits chimiques (phtalates,
bisphénols, parabènes et autres médicaments de synthèse), qui absorbés en
toute ignorance, perturbent leurs possibilités de reproduction ou leur
donnent des cancers. Malgré leur dispendieuse médecine, ils seront
décimés à plus ou moins brève échéance. Si notre corps a ses propres
régulateurs, pourquoi l’univers n’en aurait-il pas ? Le monde microscopique
comme le monde subatomique ou le monde invisible, a autant d’importance
dans l’auto-organisation cosmique que le monde macroscopique. Ce n’est pas parce
qu’on ne le voit pas où que nos instruments ne le voient pas, que cela
n’existe pas. Ce monde encore
inconnu, nous l’avons pourtant déjà perturbé par notre « science sans
conscience », c’est-à-dire, entre autres, la génétique et les
« nanotechnologies ». Nous déversons avec
insouciance nos égouts prétendument décantés dans les rivières et la mer,
alors qu’ils comportent encore des traces (homéopathiques) de médicaments, de
poisons. Par exemple des contraceptifs qui modifient génétiquement le vivant
des océans, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul genre et donc plus de
reproduction possible. L’être vivant, qu’il
possède un petit cerveau ou un gros, doit de toute façon disparaitre s’il
n’est plus en phase avec l’harmonie de la nature, c'est-à-dire
avec l’équilibre cosmique et son auto-organisation. Dans le cadre de la
physique quantique, tout dans l’univers n’est-il pas en interaction mutuelle
et perpétuelle ? Deux particules, issues d’une même source, en
interagissant, semélangent comme deux ondes pour n’en former
qu’une seule. Même si elles sont séparées par de très grandes distances,
toute information de l’une semble être communiquée à l’autre instantanément,
comme si elles étaient douées de télépathie. Il s’agit de la théorie de la
non-localité quantique, ou non-séparativité. Une
sorte d’abolition de l’espace et du temps dans l’infiniment petit. Une notion
qu’on retrouve dans le taoïsme. Dans ces conditions, comment ne pas penser
que l’univers est doté d’une conscience ? « Ce
qui est adharma,
ce n’est point le "péché" au sens théologique, non plus que le
"mal" au sens moral, notions qui sont aussi étrangères l’une
que l’autre à l’esprit hindou ; c’est simplement la
"non-conformité" avec la nature des êtres, le déséquilibre, la
rupture de l’harmonie. Sans doute, dans l’ordre universel, la somme de tous
les déséquilibres particuliers concourt toujours à l’équilibre total, que
rien ne saurait rompre ; mais, en chaque point pris à part et en
lui-même, le déséquilibre est possible et concevable, [notion de probabilité
dans la physique quantique] et, que ce soit dans l’application sociale ou
ailleurs, il n’est point besoin de lui attribuer le moindre caractère moral
pour le définir comme contraire, selon sa portée propre, à la "loi
d’harmonie" qui régit à la fois l’ordre cosmique et l’ordre
humain ». René Guénon, op-cit. « Nulle part dans les airs,
ni au milieu des océans, ni au fond d’une profonde grotte, il n’existe un
endroit où l’homme puisse échapper aux conséquences de ses actions ». Le Dhammapada. De
même pour Raymond Abellio (Les
yeux d’Ezéchiel sont ouverts), rien ne peut se produire quelque part qui
ne soit présent en pensée dans la totalité de l’univers. Le
Tout est Cohérence. « Les étoiles et les
yeux des hommes ne sont pas des objets étrangers, mais en relation par simple
confrontation ; la relation est une sorte d’identité. Soleil, étoiles et
planètes assurent les conditions dans lesquelles et à travers lesquelles
surgissent des organismes vivants. Leur structure particulière contient
virtuellement les organismes, et ceux-ci impliquent en retour un univers qui
ait précisément cette structure particulière. Si bien que s’il n’y avait pas
d’organismes vivants, la structure de l’univers serait entièrement
différente. » Alan Watts, Amour
et connaissance. Pour analyser et
comprendre, la science est obligée de découper ce qu’elle étudie en autant de
morceaux qu’elle croit indépendants. Or la physique quantique montre que tout
dans l’univers est en interaction mutuelle, et que la somme des éléments ne
peut véritablement expliquer l’ensemble. Le tout ne se réduit pas à la somme
des parties. Même le cerveau n’est pas seulement un réseau complexe de
câblages. « Si
la réalité est un tout indivisible qu’on ne peut pas ramener à la somme des
parties, elle doit alors nécessairement comprendre, en plus des parties elles-mêmes, un facteur organisant qui les lie entre elles de façon
cohérente et conforme à un projet situé sur un plus haut niveau d’existence.
Il en résulte donc que la réalité est constituée, non plus exclusivement de
"matière" (ou masse énergie), mais aussi de "forme"
(ou information) ». Roberto Fondi, La
révolution organiciste. Déjà
le Tao montrait qu’en cherchant à tout comprendre, notre intelligence est
obligée de morceler la réalité, de ne pas tenir compte de l’extrême
interdépendance de toutes choses. Or la Vérité, la véritable compréhension
est dans l’indistinction
primordiale, le "Principe
Unique" dont procède
toute la matière de l’univers. « Tous les
phénomènes naturels sont en fin de compte interdépendants et, pour expliquer
n’importe lequel d’entre eux, nous devons comprendre tous les autres, ce qui
est évidemment impossible. Ce qui permet l’avance de la science est la
découverte que des approximations sont possibles. Si l’on se contente d’une
"compréhension" approximative de la nature, l’on peut décrire des
groupes choisis de phénomènes, en en négligeant d’autres moins pertinents […] Toutes les théories et tous les modèles scientifiques sont des
approximations de la vraie nature des choses[…] [Lors d’expériences mystiques ] l’univers
apparaît comme un réseau parfait de relations mutuelles, où tous les
phénomènes et les évènements sont en interaction, de telle façon que
chacun d’eux contient en lui-même tous les autres […] Le sutra Avatamsaka montre
que cette interpénétration est essentiellement dynamique et se produit non
seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. L’espace et le temps sont
considérés comme s’interpénétrant. » Fritjof Capra, Le
Tao de la Physique, pages
292 et 298. Chaque événement de notre vie est
dépendant des autres évènements qui constituent l’univers. Tous les
phénomènes sont d’une manière ou d’une autre en état de dépendance mutuelle.
Se sentir personnellement responsable d’un événement particulier est une grande
illusion (maya). « L’intelligence parcellarisée, compartimentée,
mécanistique, disjonctive, réductionniste brise la complexe du monde en
fragments disjoints, fractionne les problèmes, sépare ce qui est relié, unidimensionnalise le multidimensionnel ». Edgar Morin,Terre-Patrie. Pour Tchouang-tseu : « l’excès d’intelligence met du
désordre dans le rayonnement de la lune et du soleil, effrite les montagnes,
dessèche les fleuves et perturbe la succession des quatre saisons ». Et
pour Chuang-tzu, « l’intelligence qui n’est pas
consciente du positif et du négatif implique que le cœur est à
l’aise. »
Et encore plus aujourd’hui, qu’il y a deux millénaires et demi.
L’univers est Un, parfaitement indivisible. Pour pouvoir se sentir
responsable d’un événement il faudrait être responsable du Tout. « Penser, c’est morceler en idées
nettes et incompatibles le réel complexe, dont l’essence est l’indivisibilité
concrète. » LiouKia-hway (préface
à la traduction de Tchouang-Tseu). Il s’agit donc de
renoncer à tout morcellement de l’intelligence et d’accepter avec sérénité
tout ce qui arrive, jusqu’à ce que l’homme et la nature fusionnent. L’Eveil,
c’est la fin de la division du soi, la fin de la dualité.
Alors aucun mal ne peut plus atteindre le moi, disparu dans
l'ataraxie-nirvâna. Une vision pénétrante, une « rentrée en soi »,
appelée entase par Mircea Eliade. C’est
l’anéantissement de la conscience personnelle, Fanâ chez les Soufis (le soufisme, c’est
apprendre la parole silencieuse d’une rose…). C’est la délivrance, la
libération et la fin de l’autofrustration. Un état
de conscience où la beauté, comme la cruauté de la nature, ne provoquent
aucun état d’âme. L’apathie c’était également l’état dans lequel se trouvait
le sage antique après avoir fait taire en lui toutes ses passions, ses
émotions et ses affections. Mais c’est tellement
improbable dans le monde actuel, que dans le Larousse, l’apathie est devenue
une maladie, une mollesse, l’état d’une personne sans énergie, un état dépressif.
Celui qui est en relation avec la Totalité, a dépassé toutes les oppositions,
il ne peut avoir d’ennemi, il peut fréquenter n’importe qui, communiquer avec
n’importe qui. Il n’y a aucun obstacle à sa compréhension. La physique quantique
nous révèle que les différents concepts et les outils dont nous disposons
pour appréhender la réalité sont totalement inadéquats. Admettons donc qu’à
chaque fois que nous cherchons à interpréter la réalité nous nous leurrons.
Nos organes sensoriels et notre cerveau ne peuvent nous apporter qu’une des
multiples apparences de la réalité. La réalité, comme des poupées gigognes à
l’infini, cache des milliards de possibles, à côté de notre vision des choses. D’ailleurs,
chaque découverte scientifique ne change-t-elle pas, à chaque fois, notre
vison du monde ? Le monde n’est
peut-être qu’un cadre virtuel pour nous donner l’occasion de mieux nous
connaître nous-mêmes. Il n’y a aucune morale dans le monde et dans la nature,
ce n’est qu’un terrain neutre pour expériences individuelles. S’il s’agit
d’un terrain d’expériences collectives, alors il dépasse notre intelligence,
nous ne pouvons le comprendre et nous ne pouvons strictement rien en dire, ce
serait absurde. Mais chacun doit trouver sa propre voie. La raison d’être de
chacun ne peut venir que de son propre Être.
De même que l’on meurt seul, il faut chercher seul. Comme nous l’avons déjà
précisé, toute aide de l’« autre », ne sert qu’à glorifier son ego,
donc elle ne peut rien nous apporter. L’« autre » respecte toujours
ce qu’on possède, ce qu’on a, mais jamais ce qu’on est. Ce n’est pas en
dépendant de l’« autre », que l’on peut trouver sa propre voie. On
ne se débarrasse pas de ses névroses en s’accrochant à celles de
l’« autre ». Les « autres » ne supportent pas qu’on se
suffise à soi-même. Le plus difficile est d’apprendre à être inutile aux
autres et de ne jamais rien désirer de ce monde. Pour cela il faut se situer
au-dessus des contradictions apparentes. Cela
nécessite un travail, un véritable effort de compréhension. L'individu ne
doit pas se contenter d'être seulement ce que la société veut qu'il soit.
S'il accepte de n'être qu'un rouage dans la mécanique sociale, il n'existe
pas, seuls ses conditionnements, ses habitudes et ses instincts existent. Ce sont
eux qui poussent à agir et non le « moi ».
Si la Société est Tout, l’individu n’est rien. Alors les fourmis et les
termites sont plus performants que nous. Si l’individu est Tout et la société
rien, alors nous avons le devoir en temps qu’homo sapiens, de
découvrir sous le conditionnement social, notre véritable identité, si tant
est qu’elle puisse exister hors du social, ce qui n’est pas sûr non plus. Mais nous croyons
nos mégalopoles plus sophistiquées que les termitières ; nous
pensons que nous ne faisons pas partie du même ordre des choses. Nous croyons
que nous avons la capacité de nous révolter, que nous avons la liberté de
faire ou de ne pas faire, et qu’a contrario, le termite et la fourmi sont
menés par leurs instincts, par les phéromones de la reine. Mais au moins les instincts animaux
sont naturels, alors que nos instincts sociaux sont artificiellement
programmés. « Nous
sommes aussi loin de nous-mêmes que nous le sommes de la nature ». FrançoisCouplan, La
nature nous sauvera. Nous
sommes en fait, incapables de nous rendre compte du dérisoire de nos
révoltes, de nos révolutions, de nos querelles, dont les motivations nous
échappent toujours. Ce n’est qu’un siècle après la Révolution « du
peuple », que les historiens ont établi le rôle de la bourgeoisie
naissante, et de l’obstacle que représentait pour son développement, la
sclérose d’une noblesse et d’un clergé refusant obstinément de perdre
quelques « privilèges acquis ». Les fourmis ont colonisé la Terre
il y a trois cents millions d’années. Peut-être qu’au début de leur
développement, certaines d’entre elles, croyaient à leur liberté, à leur
possibilité de révolte et de contestation, avant que leur société ne devienne
si sophistiquée. L’être humain est si jeune à côté ; bientôt, grâce au
progrès fulgurant des nanotechnicitésappliquées à l’information, il aura
atteint l’efficacité des fourmis et autres termites ; il « marchera
droit », sans besoin de « réfléchir », simplement guidé par
des « nanopuces » dont il ne soupçonnera
même pas l’existence. Plus
l’on parle de liberté, plus nous sommes encombrés de codes, d’interdictions,
de réglementations et d’obligations, dont se repaissent les bureaucraties au
détriment de la démocratie, jusqu’à sa totale paralysie, prélude à la guerre
et à l’anarchie. Plus
l’on parle de liberté, plus nous sommes enfermés dans des normes pondues par
des diplômés incultes, tirant des traits méprisants sur des siècles de
savoir-faire. Plus l’on parle de liberté, plus nous
sommes emportés, soûlés et perdus dans le tournis du changement permanent,
dans le manège de la grande machinerie des bandits marchands, pas manchots
pour nous tromper, nous subjuguer, nous illusionner. Plus l’on parle de liberté, plus nous
sommes submergés d’informations inutiles et d’images truquées ;
plus le dérisoire est monté en épingle et l’essentiel noyé, dénaturé ou
falsifié. Plus
l’on parle de liberté, plus la réalité est fragmentée, morcelée, pour servir
les intérêts des lobbies, des partis pris, des idéologies, plus s’obscurcit
ainsi la compréhension globale, plus il y a d’ignorance, et plus s’estompe
l’espoir de résistance. L'individu n'existe
qu'en se libérant, en explorant son psychisme, en découvrant sa propre nature. « Meurs avant de mourir et
enterre ton moi dans la tombe du non-désir, alors tu auras atteint le
bonheur ». Le poète
soufi Rûmi
(1240). « La connaissance pure est inconnue de
tous ceux qui ne sont pas dépouillés de leur moi et de toutes les choses
matérielles. »Maître Eckhart (1260-1327).
Seule l’abolition du Moi délivre des vies « verrouillées de
l’intérieur » H. V. Kleist (1777-1811).
Il faut dégonfler l'ego, l'enflure du moi.
Se connaître c'est se nier, constater sa vacuité ( faire le vide de ces
conditionnements qui nous donnent l’illusion de jouir d’une existence propre)
et donc se guérir de ses attachements, de ses désirs ; désir de réussir,
désir d’être le meilleur, désir d’impressionner les autres. Des désirs après
lesquels nous courons, une recherche de plaisirs toujours insatisfaits, des
évasions multiples que nous offre la société de consommation :
télévision, jeux vidéo, cinéma, lectures, pour nous distraire, portraits
psychologiques imaginés, alors que nous ne faisons aucun effort pour nous
connaître nous-mêmes. C’est ainsi que la vie s’identifie au shopping.
Mais tout cela nous occupe, tant nous fuyons la solitude, le vide de
l’existence, parce que sinon, la dépression nous guète.
Pourquoi pas ? dira l’un. Et pourquoi tant d’efforts ? dira
l’autre. Pour aller où ? Pour passer le temps ? Pour tuer le
temps ? Pour se rapprocher de la mort ? Sans avoir pris le temps de
se regarder ?
Le monde actuel n’est pas fait pour l’homme qui se questionne. Et la dépression
n’est pas une maladie comme voudraient nous le faire croire ceux qui sont
chargés de ramener les veaux dans le corral. À partir d’une rupture dans le
traintrain quotidien, d’un choc existentiel, c’est la peur du vide. C’est
donc une occasion fantastique à saisir pour changer de Voie. La dépression
est définie comme une incapacité à prendre une décision, à s’engager dans une
action. C
Il faut s’éloigner de nos attaches, de nos adhésions, de nos croyances. Il
faut se retirer dans un coin du monde différent de l’environnement
habituel, là où les relations avec les choses et les autres n’ont pas encore
été faussées. Pour regarder, sentir et écouter la nature, les hommes, les
femmes et les enfants qui malgré ou grâce à la pauvreté, ont encore le regard
clair.
Et éventuellement revenir ensuite chez soi, comme Ulysse, « plein
d’usage et raison », avec une autre vision du monde, une autre
mentalité. On a sans doute tout perdu, mais gagné la paix intérieure.
Si pour le Bouddha, il n’y a pas de « Soi » en soi, c’est à dire de
parcelle divine en soi, il enseigne toutefois à se chercher soi-même, à se
former soi-même.
C'est une démarche de création de soi, pour « une deuxième
naissance », afin de naître de son propre être. Devenir son propre père,
comme l’enseignaient les Esséniens. Parce que le
véritable « être » est à l’intérieur, il est seul et unique, alors
que l’être social est à l’extérieur, polymorphe, multiple. L’être social
n’est qu’une accumulation d’opinions contradictoires, de désirs et
d’interdits. Telle une Gorgone, il est doté de milliers de têtes qui se
déchirent. C’est pourquoi Nagarjuna (philosophe indien du 1er siècle) à l’instar des sceptiques
grecs, réfute tout point de vue tranché et n’admet qu’une chose,
l’impossibilité de toute affirmation, la suspension du jugement… … C’est
ainsi que la vacuité, c’est-à-dire la paix de l’âme, n’est
possible qu’après l’extirpation de toutes les opinions, de tous les préjugés
personnels ou sociaux. Ainsi Pyrrhon (360-275 av. J.-C.) prône, comme les
taoïstes, l’aphasie, l’arrêt du discours. « Les vérités différentes
en apparence sont comme d’innombrables feuilles qui paraissent différentes et
qui sont sur un même arbre. » Gandhi (1869-1948).
Il s’agit de fermer les yeux et les oreilles, qui sont faits pour voir et
entendre à l’extérieur, afin de voir et d’entendre à l’intérieur de soi.
Toutefois il est difficile de voir à l’intérieur de soi, tant nos
conditionnements ont placé de barrières autour de notre nature profonde. Pour
percevoir ces barrières, il faut s’observer de l’extérieur, comme si nous
étions un autre. Se regarder dans une glace qui révèlerait nos peurs, nos
angoisses, nos complexes originels. Peur de notre nudité, peur du sexe, peur
des autres, peur de la solitude, peur de la violence, peur de
l’incompréhension, peur de la morale, de la loi et des us et coutumes
sociales, peur du vide de l’existence. À chaque fois il s’agit simplement de
découvrir l’irréalité de ces peurs, leur artificialité, l’illusion qu’elles représentent. Il s’agit de découvrir
que ces peurs ne sont pas « soi », qu’elles viennent du monde, et
qu’elles doivent retourner au monde. Nul n’y arrive sans l’Attention ;
les pensées surgissent de toute part en tournoyant, mais avec de la patience,
la paix s’installe dans le monde du soi, limité, ni par l’espace ni par le
temps.
« Toute voie spirituelle est d’abord une voie de l’attention (vigilance,
pleine conscience, présence à soi-même, rappel de soi). » Arnaud
Desjardins. Pour David Hume
(1711-1776), le « Soi » n'existe pas puisqu'en le cherchant on ne
trouve que des perceptions. Le « Soi » n'est pas non plus dans la
conscience qui est toujours la conscience de quelque chose. Une conscience
qui n'existerait donc pas sans ces multiples « quelque chose », qui
jamais, ne sont « Soi ». Il en déduit peut-être trop rapidement
qu’il n’y a donc pas de « Soi » intérieur à chercher, « parce qu’en regardant à l’intérieur
de moi, je ne trouve rien… rien qu’un chaos ». Pour
Jean-Paul Sartre, le sujet n’existe que par l’objet ; le sujet et
l’objet naissent et meurent ensemble et sans la conscience, rien n’a de sens,
mais en fait, elle n’est elle-même que néant. Et pour éviter le néant, il ne
voit qu’une solution : s’engager vis à vis des autres. Mais comme nous
l’avons déjà souligné, il ne s’agit que d’un jeu de rôle, une comédie de la
mauvaise foi, et une recherche de l’oubli de soi.
Les hindous diraient qu’ils ont sans doute manqué de patience et de méthode,
pour ne pas avoir su apercevoir au sein de ce chaos ou de ce néant, la petite
fenêtre qui permet à l’Un, à l’indifférenciation originelle, de s’envoler
vers la Totalité, vers le Tao, vers le Brahman (chez Shankara),
vers l’Eveil, vers le Royaume, vers l’Essence de l’Univers, vers le Soi,
l’Atman, l’âme personnelle qui n’est pas séparée de l’âme du monde.
« L’ultime bonheur de l’homme est dans la pleine union de notre
intelligence particulière à l’intelligence totale et
primordiale. » Pic de la Mirandole (1463-1494). « Le Soi, c’est
la plénitude de l’homme revenu de ses dispersions, de ses dualismes, de ses
oppositions… » Jean-Yves Leloup, l’Évangile
de Marie.
La révolution du bouddhisme vis à vis de l’hindouisme, c’est justement de
montrer que la connaissance de soi, la recherche du maximum de conscience de
ce qui est, de lucidité sur nous-même et sur le monde, n’est pas une
recherche d’un Soi transcendant, qui serait en fait encore une recherche de
notre ego, de ce Moi qui n’est qu’illusion. À la différence de tous ceux qui
tentent de démontrer la réalité des réincarnations, comme Rudolf Steiner, le
Bouddha ne se livre à aucune spéculation intellectuelle sur un hypothétique
monde ultrasensible. Parce
que l’atman (l’âme), se prête trop facilement à des malentendus
d’interprétation qui écartent de l’Éveil. Les spéculations sur un Soi
transcendant sont un piège, un objet d’attachement et ce qui est plus grave,
une bouée de sauvetage. Et on en voit bien les dégâts dans les religions
monothéistes et leurs luttes incessantes, chacune considérant qu’elle
« possède » le vrai Dieu, les autres étant des infidèles ou des
hérétiques à tuer ou à brûler sur la place publique. Toutefois,
l’Extinction des désirs et des vouloirs, le Nirvâna, (satori dans le bouddhisme
zen, fanâ,
annihilation du soi dans le soufisme), ouvre également une fenêtre sur
l’Un, la Totalité, le Silence, la Vacuité. Mais ce n’est en aucune façon le
signe que nous faisons partie d’une divinité quelconque, ce qui renforcerait
notre ego. Nous ne participons pas plus que le papillon, à l’Intelligence de
l’Univers. Le Tao, c’est
également la Voie qui mène à la compréhension du monde et non quelque part,
ou à une divinité quelconque. C’est la seule différence, minime en fait,
qu’il y a avec la gnose chrétienne, qui a du mal à s’extirper du concept d’un
Dieu, même agnostos, inconnaissable, mais qui peut aussi
être rapproché du « Ciel » taoïste.
Vus du « Ciel » taoïste, les contraires se
révèlent complémentaires, le yin et le yang participent à la même
harmonie de la nature, Tout est compréhensible. C’est la Voie de la Paix et
non de la Peur de la vengeance du Dieu de la Bible. Le
yin et le yang sont les symboles du changement perpétuel du monde ; ils
représentent les deux composantes, complémentaires et indissociables, du
processus du Tao. Le Tao n’a rien à voir avec une volonté divine, mais
il est Le Principe de toutes choses. C’est-à-dire, ce
qui rend toutes choses, qu’elles soient microscopiques et macroscopiques, présentes,
passées et futures, cohérentes dans le Tout. « [Dans
l’idéogramme du Tao], l’interaction du Yin et du Yang y est figuré par des
sortes de haricots enlacés, un noir et un blanc. Dans le blanc, un point
noir ; dans le noir, un point blanc. Le noir et le blanc sont en
potentialité l’un dans l’autre » Sophie Perenne, La vision paradoxale. Ce qui signifie
également que tout élément mâle comporte un principe femelle et que tout
élément femelle comporte un principe mâle. Et c’est ainsi que des
forces contraires peuvent entrer en interaction. D’ailleurs dans la
réalité physique, les hormones féminines, les estrogènes, sont tout à fait
essentielles chez le mâle et vis-versa les androgènes, hormones masculines
sont autant essentielles chez la femme. C’est ainsi que l’homme et la femme
ne peuvent se passer l’un de l’autre et que chacun a autant d’importance dans
la vie que l’autre. « Au
lieu de reconnaître que la personnalité de chaque homme et de chaque femme
est le résultat de l’influence réciproque entre les éléments féminin et
masculin, nous avons établit un ordre statique et rigide, où tous sont
supposés être masculins et les femmes féminines, et nous avons donné aux
hommes les rôles de commandement et al plupart des privilèges de la
société ». Fritjof Capra, 3e Millénaire
mars 1987. « [Le Yin et le Yang classent et
animent tout ensemble] les aspects antithétiques de l’Ordre universel :
le Tao, le Yin et le Yang évoquent synthétiquement, suscitent globalement,
l’ordonnance rythmique qui préside à la vie du monde et à l’activité de l’esprit.
La pensée chinoise semble entièrement commandée par les idées jointes,
d’ordre, de total et de rythme. » Marcel Granet, La pensée chinoise. « La cosmologie
chinoise étant fondée sur l’ordre cyclique, le taoïsme n’a bien entendu pas
souscrit aux théories évolutionnistes. Comme le dit Emerson : « La
société jamais ne progresse. Même si d’un côté elle progresse, elle
rétrograde de l’autre à une vitesse égale... Le véridique progrès ne se
réalise qu’en dehors du temps. » J.-C. Cooper, La
philosophie du Tao. Selon un antique texte
chinois dont parle d’ailleurs FritjofCapra un peu plus loin, « Le yang ayant
atteint son point culminant, se retire en faveur du yin, le yin ayant atteint
son point culminant, se retire en faveur du yang ». C’est le Grand
Équilibre du balancier, quoi qu’il puisse arriver, il y aura toujours un
retour à l’équilibre. Nous nous demandons souvent pourquoi les évènements
penchent toujours du côté des extrêmes : trop de sévérité ou trop de
laxisme, trop de richesses ou trop de pauvreté etc. Il est difficile de
l’admettre, nous qui sommes victimes de ces excès, mais n’est-ce pas tout
simplement l’effet de ce balancier cosmique, tout cela n’est-il pas naturel,
et en aucune façon la faute des hommes ni la punition ou la récompense d’un
Dieu ? Toutes notions
antithétiques révèlent la constitution rythmique de l’univers. Le Tao est le
chef d’orchestre du yin et du yang. La musique est le
symbole même de cette Totalité. C’est ainsi que,
pour les Chinois, le calendrier représente une loi où le Yin et le Yang
régissent les principes du rythme des saisons (le Yin correspondant aux
énergies destructrices : l’hiver ; le Yang aux énergies vivifiantes
: l’été), c’est à dire également, l’activité sociale.
Marcel Granet cite comme exemple la chasse et la pêche, interdites tant que
la loutre et l’épervier n’ont pas inauguré par un sacrifice, la saison où ils
tuent oiseaux et poissons. « [Le Tao], "la Voie" c’est le chemin, ou
processus, de l’univers, l’ordre de la nature […] La caractéristique
principale du Tao est la nature cyclique de son mouvement et de sa
transformation incessants. Le
retour est le mouvement du Tao, dit Lao-tseu, etl’éloignement
implique le retour. L’idée est que tous les mouvements dans la nature,
tant ceux du monde physique que des situations humaines, révèlent les modèles
cycliques de va-et-vient, d’expansion et de contraction […] Les Chinois
croient que, chaque fois qu’une situation se développe jusqu’à son extrême,
elle est obligée de se retourner et de se transformer en son contraire. Cela
a conduit à la doctrine du juste milieu à laquelle adhèrent taoïstes et
confucianistes […] Les deux points du
diagramme [du yin et duyang]
symbolisent l’idée que, chaque fois que l’une des deux forces atteint son
extrême, elle contient déjà en elle-même le germe de son opposé […] Selon les
taoïstes, tous les changements dans la nature sont des manifestations de la
relation dynamique entre les pôles opposés yin et yang, ainsi en
arrivèrent-ils à la conclusion que n’importe quel couple d’opposés forme une
relation bipolaire où chacun des deux pôles est relié dynamiquement à
l’autre. Il est fort difficile à un esprit occidental de saisir cette notion
de l’unité implicite de toutes les contradictions. Il nous semble très
paradoxal que des expériences et des valeurs que nous avons toujours crues
opposées soient, en définitive, des aspects d’une même réalité
fondamentale. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, pages 107, 108, 110, 116.
L’opposition du Yin et du Yang n’a rien à voir avec le Bien et le Mal mais
révèle le changement rythmique de rôle, nécessaire selon l’observation de la
nature. Le Yin et le Yang sont unis par une interdépendance manifestée par
leur succession cyclique. . « Le Yin et le Yang ne
s’opposent pas à la manière de l’Être et du Non-Être,
ni même à la manière de deux Genres. Loin de concevoir une contradiction
entre deux aspects yin et yang, on admet qu’ils se complètent et
se parfont l’un l’autre, dans la réalité comme
dans la pensée. » Marcel Granet, La
pensée chinoise. Pour l’occultiste Éliphas Lévi également, à toute force, il
faut une résistance pour appui, à toute lumière une ombre, à toute saillie un
creux etc. Il rappelle que Salomon, influencé par d’autres traditions que
celle du judaïsme, fit placer devant la porte du Temple deux colonnes de
bronze (Jakin et Boaz),
représentant le fort et le faible, l’homme et la femme, la raison et la foi,
le pouvoir et la liberté… « La lumière, sans l’ombre, serait invisible
pour nos yeux ».
Quant à Marcel Granet, il relève le rythme dans une transposition poétique
d’une antique symphonie relative au mythe de Hi-ho, due
à Tchouang-tseu : « … Un temps de plénitude, un temps de
décrépitude…un temps d’affinement, un temps d’épanouissement…un temps de vie,
un temps de mort… » À
rapprocher bien sûr de l’Ecclésiaste (3,
1-15), texte biblique dont l’origine n’est bien évidemment pas
hébraïque :
« Il y a un temps pour tout, il y a un moment pour chaque chose sous les
cieux : Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir… un temps
pour démolir et un temps pour bâtir… un temps pour déchirer et un temps pour
recoudre…un temps pour aimer et un temps pour haïr…un temps pour la guerre et
un temps pour la paix… » « Le
"Ciel" chinois est le contraire d’un "sur-monde", situé
au dessus de la terre et au-delà du monde des mortels, le "Ciel"
n’exprime pour les chinois, que le principe auquel toutes les choses,
qu’elles soient visibles ou non, et tous les êtres, sans exception, sont
soumis. » Jacques Gernet, Essai sur la philosophie de Wang Fuzhi. « Le Tao est ce par quoi les choses
sont… Et ce qui fait que les choses sont choses n’est pas une chose… Seul ce
qui échappe à l’univers des choses, qui est Non-être ou Néant, est capable de
créer l’Être et d’en avoir le contrôle… La pensée chinoise ancienne postule
la prééminence du Non-être sur l’Être. » Jean Levi, Religions et Histoire n°4. « Le Tao n’est pas lui-même une cause
première. Il n’est qu’un Total efficace , un
centre de responsabilité, ou, encore, un milieu responsable. Il n’est point
créateur. Rien ne se crée dans le Monde, et le Monde n’a pas été créé » « Le Tao est considéré tout ensemble
comme le milieu et comme le centre des vérités transitoires, des équivalences
et des contrastes, des attractions, des répulsions… qui constituent
l’évolution giratoire de l’Univers… Il règle le rythme des choses… Il est le
rythme de l’Espace –Temps. » Marcel Granet, La pensée chinoise.
La Voie n’est donc aucunement un chemin tracé par l’homme, qu’il soit roi,
prêtre, imam, rabbin ou législateur. « Le Tao ne cherche pas à s’imposer ni à rayonner en
majesté comme un monarque ; il agit plutôt dans l’ombre, et comme
anonymement, en donnant l’impression que ses accomplissements sont l’œuvre
des autres. Comme l’écrit Lao-tseu : "Le
grand Tao coule partout, à gauche et à droite.
Toutes choses tirent de lui son existence.
Et il ne les abandonne jamais.
Il n’élève aucune prétention sur ses œuvres.
Il chérit et nourrit toutes choses également,
sans les tenir sous sa domination." » Alan Watts, Amour
et connaissance. Quelle
différence avec la Violence du Verbe de Yahvé !
La pensée chinoise ne dépend pas des dieux, ni de la Révélation, ni de la
Providence. Elle n’a jamais envisagé la bouée de secours du paradis ou de
l’immortalité d’une âme qu’elle n’a pas non plus imaginée. Elle se suffit de
ce qu’elle a sous les yeux. Pour le taoïste, au
moment de la mort, certaines parties de l’être « s’en retournant vers le
haut, se fondent dans le souffleyang, tandis
que d’autres, retournant à la terre, rejoignent les énergies yin, [cela] ne saurait
assurer de véritable survie ». François Jullien, Nourrir sa vie. « L’idée d’un bien
éternel n’est qu’une abstraction verbale qui ne se peut imaginer ou sentir,
ni même réellement souhaiter. Une telle idée ne peut être prise au sérieux
que par ceux-là mêmes qui n’ont pas radicalement exploré la nature du
sentiment, et qui sont privés se tout contact avec cette réalité humaine
qu’ils proclament à l’image de Dieu. » Alan Watts,Amour et connaissance.
Chacun essaie d’échapper à lui-même en s’attachant aux choses extérieures
comme la richesse ou le pouvoir. Afin de voir à l’intérieur de soi, le regard
ne doit plus se laisser obscurcir par les désirs, les rêves, l’envie, le
ressentiment, les frustrations, l’espoir, le passé, le futur, qui sont autant
de morcellements, qui nous plongent dans la « séparativité »,
qui nous laissent « hors de l’Unité » « Et le
multiple renvoie toujours à l’UN.
Je vous l’annonce, ne séparez pas,
Déplacez-vous parmi les séparations […]
Les frontières sont la souffrance
Car la souffrance est le toi
Et le moi qui se rêvent deux. » Évangile de Marie-Madeleine. « La connaissance [la
gnose], conduit à l'unité, comme l'ignorance conduit à la diversité. »
Ramakrishna (1836-1886). « Les
mots permettent d’isoler des choses inséparables dans la nature parce que ce
ne sont que des étiquettes et des principes de classification qu’on peut
combiner à son gré. Formellement le terme "être" se présente
dissocié de "néant" comme "plaisir" de
"douleur". Mais ces termes constituent dans la réalité une relation
aussi indissoluble que le devant et le derrière d’un objet […] Aucun mot ne
peut dire ce qu’est le monde… » « De
même qu’il est parfois nécessaire de se taire pour entendre ce que les autres
ont à dire, la pensée elle-même doit faire silence pour pouvoir penser à
autre chose qu’elle-même. Comment s’étonner, que faute de ce silence, notre
esprit soit hanté par des mots et encore des mots ? Un pas de plus, et
l’on tombe dans l’idée absurde ["à l’origine, le Verbe fut"] que le
mot est antérieur à la nature elle-même, alors qu’il est seulement antérieur
aux classifications qu’il permet d’opérer dans la nature. » « Il
faut distinguer la science et la connaissance. Du fait qu’elle recherche
l’efficacité avant tout, la science est obligée d’établir des divisions, elle
distingue le vivant et le non-vivant, l’organique et le minéral. La
connaissance n’accepte pas ces séparations. Pour elle il y a de la vie et de
la conscience partout, même dans la plus petite quantité de matière et jusque
dans les cailloux du chemin » Raymond Abellio,Approches de
la Nouvelle Gnose.
La conscience est une unité, et les divisions que nous y introduisons sont,
ou bien créées pour faciliter l’étude, ou bien des illusions, dues à ce que
notre puissance de perception est limitée par les organes au moyen desquels
elle s’exerce. « Des
problèmes traités comme des entités séparées par les scientifiques, les
politiciens, les économistes [sont] en réalité interconnectés et cette
interconnexion du vivant [est] effectivement le fondement de toute vie sur
terre et de ses pouvoirs régénérateurs ».
Maria Mies, Ecoféminisme (page 9). Il est évident que
l’économie politique ne tient aucun compte de l’interdépendance entre les
biens et la façon avec laquelle ils sont liés au reste du monde. Que signifie
un Produit Intérieur Brut qui s’accroît avec le nombre d’accidents de la
route ? L’efficacité, la productivité, le profit, pour qui, et aux
dépens de quoi et de qui ? D’accidents du travail, de licenciements,
d’épuisement des ressources, de la destruction de la biodiversité, de
déplacements arbitraires de populations ? « Dans
le subtil organisme qu’est la nature, notre technologie se comporte comme un
corps étranger, et il y a maintenant de nombreux signes de rejet. Nous avons
un besoin urgent d’une base philosophique nouvelle pour l’économie et la
technologie, une nouvelle vision fondamentale du monde. Une telle vision du
monde est fournie par la physique moderne ». FritjofCapra, 3 e Millénaire, n°4, 1986. « [La
théorie quantique] montre que nous ne pouvons décomposer le monde en ses plus
petites unités existantes. Lorsque nous explorons la matière, la nature ne
nous montre aucune "première pierre" mais apparaît plutôt comme un
réseau serré de relations complexes entre les diverses parties d’un
tout. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 70. Pour comprendre le monde nous l’avons
divisé en de multiples parties, et nous nous éreintons à recomposer sans
cesse ces morceaux du puzzle sans jamais percevoir ou même imaginer la
Totalité. Notre dispersion nous use, seule le non-penser nous repose, et nous
permet de trouver la plénitude. « En physique
atomique, les particules subatomiques n’ont pas de signification comme
entités isolées, mais doivent être comprises comme des communications
réciproques entre la préparation d’une expérimentation et les mesures
ultérieures. La théorie quantique révèle ainsi l’unicité de l’univers. Elle
montre que nous ne pouvons décomposer le monde en ses plus petites unités
existantes. Lorsque nous explorons la matière, la nature ne nous montre
aucune "première pierre" mais apparaît plutôt comme un réseau serré
de relations complexes entre les diverses parties d’un tout. » Fritjof Capra, Le Tao de la Physique, page 70. Pour
comprendre le monde nous l’avons divisé en de multiples parties, et nous nous
éreintons à recomposer sans cesse ces morceaux du puzzle sans jamais
percevoir ou même imaginer la Totalité. Notre dispersion nous use,
seule la non-pensée nous repose, et nous permet de trouver la plénitude. Nos
parents, l’école, la religion, la société, nous font croire que nous sommes
unique, que nous sommes un individu séparé, que notre conscience est
« notre » conscience, qu’elle est personnelle, alors que dans
l’univers physique rien n’est séparé, tout est interdépendant ; même les
idées circulent et ne sont la propriété de personne. L’intuition profonde de la réalité
ne peut nous être donnée par une accumulation de connaissances, ni
grâce au développement des sciences et des techniques, ni par l’immersion
dans les affairements de la vie sociale, qui nous laisseront toujours sur
notre soif. Elle se situe à la croisée des paradoxes et des apparentes
contradictions. « Nous
fonctionnons encore en primates gérés par l’émotion et la peur du changement,
ainsi que dans une mentalité binaire qui simplifie, sépare et oppose. Incapables
d’appréhender le complexe, le multifactoriel, le transdisciplinaire, nous
sommes des analphabètes écologiques dépassés par le monde que nous avons
engendré. » « Quitter
l’opposition entre mon désir et la réalité conduit à la vrai liberté. Quitter
l’opposition entre moi et autrui conduit à la vrai fraternité. Quitter
l’opposition entre la vérité et l’erreur conduit à la vraie tolérance. » « La
vision paradoxale ne consiste pas à opposer une chose à sa négation :
les droits à l’absence de droit. Ce qui relativise les droits individuels ce
sont les devoirs sociaux, et les droits ne sont que la conséquence des
devoirs. Il n’y aurait rien à revendiquer si tout le monde avait le respect
absolu de son prochain. » Sophie Perenne, La vision paradoxale. Sophie Perenne précise qu’il est normal que notre
mental procède de façon binaire ; nous prenons conscience de la santé
par rapport à la maladie, de la nuit par rapport au jour etc. La vision
dualiste a permis d’accéder à de nombreuses connaissances. Mais à partir de là,
des penseurs ont cru à l’exclusivité de la vérité et considéré comme Aristote
que toute contradiction révélait une erreur de raisonnement, et fustigé les
sophistes entre autres, comme nous l’avons déjà signalé. L’intuition profonde
de la réalité ne peut nous être donnée seulement par une accumulation
de connaissances, ou grâce au développement des sciences et des techniques,
ni par l’immersion dans les affairements de la vie sociale, qui nous
laisseront toujours sur notre soif. Elle se situe à la croisée des paradoxes
et des apparentes contradictions.
Selon les mystiques, lorsque l’énergie se tourne vers l’intérieur, apparaît
un espace hors de la souffrance du monde, l’Être, qui est de l’Énergie
consciente. Un espace infini d’harmonie, de compréhension, de compassion et
donc de paix. À l’extérieur, sur la terre, là où sont bien implantés nos
pieds, c’est la guerre, l’enfer, un monde étrange et étranger. « Parcourir les nouvelles m’a toujours
donné l’impression extrasensorielle d’appartenir à une autre planète. »
Henri Miller. Ce qu’on voit au
travers du mental est le monde du multiple. Le « Troisième Œil »,
c’est l’œil qui voit par-delà le mental. Le Tout, l’Un, ne se perçoit qu’en
regardant par-delà le mental et en particulier par-delà les mots. Les mots
nous écrasent, nous emprisonnent dans notre monde extérieur, nous enlèvent
toute légèreté, toute liberté. Ne pas laisser les mots faire écran entre soi
et l’univers. Car la réalité est une, indivisible. Il n’y a ni montagne ni
vallée, ni haut ni bas, ni bonheur ni tristesse. Il n’y a plus de dualité et
toute agitation a cessé. « Gandhi
a tiré sa force et son inspiration de la BhagavadGita. Ce texte contient plusieurs énoncés
centraux qui peuvent être considérés comme le dénominateur commun à un grand
nombre de sections de la philosophie indienne. Le plus remarquable est le
chapitre 6, verset 29 : "Il se voit en tous les êtres et tous les
êtres en lui." ». Arne Næss, Écologie,
communauté et style de vie (page
282). « Je suis tout, la source
de tout. Tout vient de moi et tout se dissous en moi… » Les Upanishads. « Quand
vous ferez le deux Un,
et le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas, et quand du mâle et du femelle un seul vous
ferez… » « Je suis la source de tout, je suis
l’alpha et l’oméga (le
Principe et la Fin). Tout vient de moi et tout retourne à
moi… » Évangile
de Thomas. « La
lumière et les ténèbres, la vie et la mort, la droite et la gauche sont sœurs
les unes des autres ; elles sont inséparables. C’est pourquoi ni les bons
sont bons ni les méchants méchants,
ni la vie est vie, ni la mort est mort. En conséquence chacun sera dissous
dans sa nature originelle. » Évangile de
Philippe.
L’entrée dans le Royaume, c’est à dire la connaissance du Tout
pour le gnostique, la paix intérieure pour l’agnostique, ne peut donc
se faire tant que la dualité n’a pas été réduite en unité, et abolit toute
distinction entre l’intérieur et l’extérieur, le haut et le bas, l’avant et
l’après, l’homme et la femme. Il s’agit donc de se dégager de toute
servitude, de toutes divisions ; d’abolir les contradictions, les
déchirements, les dispersions. « Il apparaît aussi
de plus en plus aux esprits même les plus froidement intellectuels que nous
ne sommes pas placés dans un monde morcelé. Les grossières divisions entre
esprit et nature, âme et corps, sujet et objet, la discrimination brutale
entre ce qui exerce le contrôle et ce qui le subit, sont de plus en plus
considérées comme de fâcheuses conventions de langage. Ce sont des termes
boiteux qui ne s’appliquent plus à la description d’un univers où tout est en
interdépendance, d’un univers qui se présente comme un vaste complexe de
relations subtilement équilibrées, comparable à unnœud
sans limites, dépourvu de la terminaison qui permettrait de le défaire
afin de l’assujettir à un ordre donné. » « La démarche
linéaire de l’intellect lui interdit de comprendre vraiment le système de
relations où tout se passe simultanément ; il parvient tout au plus à se
le représenter approximativement. Chercher à rendre compte du Tout par
l’intellect reviendrait à charger la conscience de toutes les fonctions de
notre corps, de peur, que, faute d’y penser, des glandes, des nerfs, et
artères ne puissent remplir leur tâche. » L’ignorance
pour le bouddhisme résulte de l’inconscience, qui voit l’univers comme un
assemblage de choses séparées. La conscience est
d’autant plus pure, élevée en vibrations, qu’elle s’est affranchie des
préjugés, croyances, conditionnements, endoctrinements. Elle peut alors
atteindre des sommets, la conscience du Tout, c’est à dire la compréhension
des mystères de l’univers : « connais-toi
toi-même et tu connaîtras les mystères de l’univers », dit l’oracle de Delphes.
Jésus est plus proche de Krishna que de Yahvé. En effet la croyance en Yahvé
ou en Allah, n’incite pas l’homme à regarder à l’intérieur de lui-même,
puisque Tout provient de Lui. Jésus est révolutionnaire en ce qu’il demande
de regarder en soi-même :
« Le brin de paille qui est dans l’œil de ton frère tu le vois mais la
poutre qui est dans ton œil tu ne la vois pas ». Comme
dans le Dhammapada : « Facilement
vues les fautes des autres, difficile à voir nos propres fautes ; comme
de la menue paille on trie la faute des autres, mais on cache les siennes
comme se dissimule un habile oiseleur »
Pour le juif, le chrétien, ou le musulman, l’homme a été créé par Dieu, il
n'y a donc pas lieu de chercher à comprendre le monde, il suffit d'obéir à Sa
Loi. Alors que le
bouddhisme, le taoïsme et Épicure (342-271), menant leur réflexion hors
du conditionnement social et des idées reçues, postulaient la pluralité des
mondes, l’infiniment grand et l’infiniment petit. Cinq cents ans avant
Jésus Christ, les enfants savaient que la terre était ronde. Leurs parents
leur montraient pour les convaincre, les voiles des bateaux qui arrivaient,
visibles bien avant la coque. Mais pendant plus de mille ans l’Église a
condamné comme hérétiques, ceux qui refusaient de croire que la terre était
plate, comme semblait l’énoncer la Bible.
Le bouddhisme comme le taoïsme sont des
Voies pour comprendre le monde, ce ne sont pas des vérités transcendantes.
Celui qui cherche et trouve sa voie l’empruntera ou non.
La recherche de notre propre spiritualité ne semble rien apporter au monde,
elle semble inutile et pourtant selon les sages taoïstes, elle participe au
monde. Plus l’utile tombe dans l’abject, plus
l’inutile devient noble. Martin Heidegger se
demandait justement« comment faire en sorte d’amener les hommes
d’aujourd’hui jusqu’aux questions simples, à ces questions au fond,
parfaitement inutiles ? » Cité par Frédéric de Towarnicki.
Que considère-t-on comme utile ? Faire des études, embrasser une carrière,
vendre du vent pour gagner un maximum d’argent, faire de la politique pour
acquérir du pouvoir par la seule force tranquille du mensonge ?
Et dans quel but ces choix très sérieux ? Dans quels buts ces
compétitions ? Pour satisfaire des désirs sexuels et les chimères du
plaisir. C’est l’âne qui court derrière une carotte.
« Tout ce qui satisfait les désirs de ce monde est inutile.»
Tout ce que nous croyons utile (pour la société), nous rend esclave, aliène
notre liberté, est donc inutile pour la connaissance de nous-même. Pour le Tao,
l’Efficace, qui nécessite indépendance et autonomie, est exactement le contraire
de l’utilité profane.
Tout ce que nous croyons superflu (pour la société), est fondamental pour la
découverte de soi. Et après quarante mille ans de conquête du monde, l’homme
pourrait tenter de mettre le cap sur la conquête de soi.
« De celui qui dans la bataille, a vaincu mille milliers d’hommes et de
celui qui s’est vaincu lui-même, c’est ce dernier qui est le plus grand
vainqueur ». Le Dhammapada.
Au départ il n’y a pas d’échelle de valeur puisque le premier venu peut la
mettre à l’envers et l’imposer par la publicité, le conditionnement, la
propagande, l’endoctrinement, jusqu’à nous faire aimer ce qui est nuisible et
rejeter ce qui nous est favorable…
Une échelle n’est inoffensive qu’allongée par terre. Il est urgent de prendre
conscience de l’inutilité de toute
chose.
Ainsi Tchouang-tseu (environ 350 av. J.-C.) avait
fait vœu d’inutilité. « Alors qu’il traversait une montagne, Tchouang-tseu vit un grand arbre aux longues
branches et au feuillage luxuriant. Un bûcheron qui coupait du bois près de
là ne touchait pas à cet arbre. Tchouang-tseu lui
demanda pourquoi. – Parce que son bois n’est
bon à rien dit le
bûcheron. – Grâce à son inutilité,
cet arbre atteindra sa durée naturelle, conclut Tchouang-tseu.
Les arbres de la montagne s’attirent les attaques ; la graisse
combustible se voit brûlée ; le cannelier comestible est écorcé ;
l’arbre dont la laque est utilisable subit l’incision. Tout le monde connaît
l’utilité de l’utile, mais personne ne sait l’utilité de
l’inutile. C’est en renonçant à toute recherche de l’utilité immédiate que
l’homme peut rejoindre le Tao en tant qu’utilité en soi à laquelle tout être
a recours et de laquelle tout être tire ses ressources. » Tchouang-tseu. « Le
contentement suprême, c’est de n’avoir rien qui contente… Le non-agir, voilà
le contentement suprême ». Tchouang-tseu. Dans ce monde sans
Jugement ni Résurrection, il y a, non pas à "sauver son âme", mais
à sauve-garder sa vitalité », écrit François
Jullien dans Nourrir
sa vie. « L’action et l’inaction, quand elles procèdent du désir
d’un mieux, sont toutes deux vouées à l’échec. Reconnaissant le piège,
l’esprit n’a d’autre alternative que d’abdiquer cette "poursuite du
bien" propre à l’Ego. Mais ce n’est pas une abdication calculée,
destinée à améliorer la situation. C’est une abdication sans conditions, non
parce qu’il est bien de ne rien faire, mais parce qu’il n’y a rien à
faire ». Alan Watts, Amour
et connaissance. Pour le Tao, la
distinction entre l’utile et l’inutile est toute
relative. Comme Tchouang-Tseu, Cioran (1911-1995),
voit dans toute règle morale et sociale une source de conflit, alors que si
chacun ne cherche que sa propre perfection, les rivalités n’auront plus
d’objet. Quand le bon sens disparaît sous les coups du conditionnement, les
lois et la morale apparaissent. « Plus croissent les lois et les
règlements et plus augmentera le nombre de voleurs et de brigands »
« Si le Sens est perdu, de même la Vie, si la Vie est perdue, l’amour
est perdu, si l’amour est perdu, la justice est perdue. La coutume est
insuffisance de fidélité et indigence de la foi, et le commencement de la
confusion » Lao-tseu. Et en effet notre
société, caractérisée par un légalisme outrancier, par des dizaines de
milliers de lois souvent contradictoires et résultant de votes sous
l’impulsion de groupes de pression, nous revoie à ce que nous révèlent nos
journaux : une criante injustice quotidienne.
« Ce qui est trop parfait est une cause de maux. En pratiquant la bonté
et la justice, vous introduirez sous peu l’hypocrisie dans votre conduite… « Les actes bons et
justes ne sont généralement qu’hypocrisie et sont mis alors au service de la
convoitise et de l’appât. De même que d’un coup d’œil on ne peut embrasser
tous les aspects d’un objet, de même les jugements d’un seul homme ne peuvent
gouverner le monde… » Tchouang-tseu.
En effet, si le courage est élevé au rang de vertu, alors face aux téméraires
et aux effrontés que vont devenir les timides qui cachent souvent de grandes
qualités ?
Si la libre concurrence est adoptée, ne va-t-elle pas ouvrir la voie à
l’individualisme et à l’exploitation de l’homme par l’homme ?
Si l’entraide sociale est érigée en principe, l’esprit d’initiative va
s’essouffler, chacun comptant sur les autres. Plus les lois entrent dans le
détail, plus elles génèrent des dysfonctionnements. Par exemple, il n’y a pas
si longtemps, les subventions pour les établissements s’occupant d’enfants
déficients mentaux ont été doublées par rapport à celles reçues par les orphelinats, ce qui
partait d’une bonne intention. Mais l’enfer est déjà pavé depuis longtemps de
bonnes intentions. La conséquence fut la transformation de la plupart des
orphelinats privés en cliniques psychiatriques. Ne sachant où caser les
orphelins, certains d’entre eux furent envoyés chez les fous, ce qui entraîna
leur destruction physique et psychologique.
Le refus de la distinction entre l’utile et l’inutile, c’est le refus
d’introduire tout volontarisme humain dans le fonctionnement de la nature, à
l’inverse de l’attitude conquérante de l’idéologie occidentale héritée du
judéo-christianisme. C’est la leçon des sages, qu’ils soient taoïstes,
bouddhistes ou gnostiques occidentaux. De même, à la
différence de la Bible, les mythes mésopotamiens comme les
mythes grecs n'ont pas la prétention de régenter notre vie. Ils sont censés
nous montrer où mènent la prétention et la cupidité des dieux comme celles
des hommes. Jason et Prométhée à la différence d’Orphée, sont punis parce
qu’ils ne recherchent pas la sagesse, mais la puissance et la richesse. La
cause des malheurs de l’homme se lit entre les lignes des textes
mythologiques. En fait, le rôle de la plupart des mythologies est
inavouable ; il s’agit de justifier le patriarcat, qui a supplanté la
Culture matrilocale, après des luttes sans merci contre les femmes qui
détenaient naturellement le pouvoir. Avec tout ce que nous savons du taoïsme, du bouddhisme, de la gnose et de la physique quantique, nous devrions tout abandonner et vivre dorénavant comme les bonobos. [Retour sommaire][Accueil][Haut de page][Les livres][L'auteur][Contact] |
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